• jeu. Oct 3rd, 2024

Camarade Pablo Neruda, présent !, par Carlos Pardo (Le Monde diplomatique, octobre 2024)

ByVeritatis

Oct 3, 2024


Embrasser les mille cinq cents pages des « œuvres choisies » de Pablo Neruda regroupées sous le titre Résider sur la terre (1) permet au lecteur d’inscrire la production foisonnante du poète dans un parcours biographique exceptionnel, au cœur des tragédies politiques et des mouvements culturels du XXe siècle. Né en 1904 d’un père cheminot et d’une mère institutrice, il grandit à Temuco, dans l’Araucanie, frontière historique de l’empire espagnol avec le territoire mapuche. En ce début de siècle, cette province constamment balayée par les pluies australes est en cours de « pacification ». Sang, vent et pluie  piano de l’enfance »), tout comme la nature des lieux (forêts, montagnes et océan), seront les sources des premiers écrits de Neruda, empreints de modernisme et de surréalisme. Son deuxième recueil, Vingt Poèmes d’amour et une chanson désespérée, qualifié par Julio Cortázar de « livre de chevet pour amoureux », connaît un succès immense.

À l’instar de son aînée Gabriela Mistral, le poète mènera une carrière diplomatique. Nommé consul en Birmanie à 23 ans, puis à Ceylan, Singapour et Batavia, il est de nouveau confronté aux horreurs du colonialisme, à une solitude extrême mais aussi à ses propres turpitudes, comme le montre La Solitude lumineuse, qui n’est pas incluse dans Résider sur la terre (2). Le pire apparaît dans les extraits de ses Mémoires, J’avoue que j’ai vécu, qui concernent son séjour en Asie, et où il dénonce les ravages du colonialisme, quand Neruda avoue, en passant, avoir violé une femme de ménage. Naissent en Asie les poèmes de Résidence sur la terre, dont la version définitive sera publiée à Madrid en 1935. En poste dans la capitale espagnole à la veille de la guerre civile, Neruda fréquente la « génération de 27 » : Rafael Alberti, Jorge Guillén, Miguel Hernández… Et Federico García Lorca, pour qui Neruda était un poète « plus proche de la mort que de la philosophie, plus proche de la douleur que de l’intelligence ». Après le putsch franquiste en juillet et l’exécution de Lorca en août 1936, Neruda prend position pour la République, et sera immédiatement relevé de ses fonctions. Sa poésie prend dès lors une tournure résolument politique. L’Espagne au cœur envoie le général Francisco Franco aux enfers. Et son Chant à Stalingrad rendra hommage à la résistance soviétique en 1942.

Nommé consul général en 1940 à Mexico, Neruda fréquente les peintres muralistes (David Siqueiros, Diego Rivera…), dont son Chant général (Canto general, publié au Mexique en 1950), qui fut interdit au Chili, épouse l’esthétique. « Poète des peuples » revendiqué (3), il prône une identité sud-américaine. Élu sénateur en 1945, il adhère au Parti communiste, mais sera contraint à l’exil — le parti est hors la loi de 1948 à 1958. Il gagne clandestinement Paris puis visite l’URSS, la Pologne, la Hongrie. En 1958, il soutiendra la première candidature à la présidence du socialiste Salvador Allende. Désigné par son parti à la présidentielle en 1969, il se désistera en faveur de son ami Allende, enfin élu après trois tentatives. En 1971, il est ambassadeur à Paris lorsque le prix Nobel de littérature lui est décerné. Un hommage populaire lui est rendu l’année suivante au stade national de Santiago, là où, après le coup d’État du général Augusto Pinochet, seront emprisonnés et torturés des milliers de Chiliens.

Le 11 septembre 1973, le palais de la Moneda est bombardé, et Allende poussé au suicide. La junte saccage la résidence du poète à Valparaíso et brûle ses livres. Souffrant d’un cancer depuis quelques années, il s’éteint douze jours plus tard dans une clinique de la capitale. Ses obsèques constitueront la première grande manifestation d’opposition aux putschistes. L’an dernier, la thèse d’un assassinat par empoisonnement refaisait surface, et la justice chilienne décidait la réouverture de l’enquête sur la mort du poète.



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