Le WWF France et l’UFC-Que choisir ont publié le 2 octobre un baromètre de la progression des SUV en France, réalisé en collaboration avec l’IMT-Iddri. Dans ce nouveau rapport, les associations alertent sur la « SUV-isation » du marché automobile français et pointent la responsabilité de Renault, Peugeot et Dacia dans cette dynamique. Mais il est encore temps de changer de braquet pour les constructeurs français, explique Jean Burkard, responsable du plaidoyer à WWF France.
Reporterre — Dans votre nouvelle étude sur les SUV, vous parlez de « SUV-isation » du marché automobile. De quoi s’agit-il ?
Jean Burkard — Les SUV ont en quelque sorte écrasé le marché. Aujourd’hui, quand vous êtes un consommateur, vous avez le choix entre acheter une petite voiture ou acheter un SUV. On a vraiment une bipolarisation du marché avec une disparition des modèles qui étaient entre les deux.
On vend moins de berlines, par exemple. Le monospace, qui était la voiture familiale typique, a disparu. À la limite, on pourrait se dire : « Les monospaces, qui étaient quand même des gros véhicules, ont juste été remplacés par les SUV. » Mais le monospace, c’était 20 % des ventes de voitures neuves et il était essentiellement acheté par des familles. Le SUV, lui, c’est 50 % des ventes ! Ce qui signifie que ce ne sont plus seulement les familles qui achètent les gros véhicules, mais aussi des individus qui vont rouler seuls dans leur grosse voiture, et qui n’auraient jamais acheté un monospace auparavant.
Les SUV représentent 56 % des ventes des constructeurs étrangers. Mais seulement 41 % chez les constructeurs français. On voit que ces derniers sont en train de suivre la tendance qui est celle de la « SUV-isation ». Mais il est encore temps de changer de stratégie pour eux avant de complètement basculer leur production. On doit inciter Renault, Peugeot ou encore Dacia à stopper l’élan vers la « SUV-isation » et à se positionner sur des voitures plus légères et plus petites, des berlines, des citadines.
On rappelle notamment que la Toyota Yaris est produite en France, que Renault va produire sa R5 électrique en France. Ce sont autant d’usines qui peuvent tourner. Les constructeurs auront ainsi un avantage compétitif, notamment face à leurs concurrents américains et allemands. Nous voulons montrer comment la France peut se démarquer et saisir l’abandon des SUV comme une opportunité économique. Ce sera bon pour les entreprises et l’emploi en France.
Les ventes de SUV ont été multipliées par dix en quinze ans, passant de 5 % en 2008 à 49 % en 2024. Comment expliquez-vous cet engouement ?
Il y a d’abord un engouement chez les constructeurs, lié au fait que c’est beaucoup plus rentable de faire des SUV parce que ils sont vendus plus cher. On fait donc de meilleures marges en vendant des SUV. Ensuite, le consommateur, lui, est confronté à un matraquage publicitaire assez énorme. Dans une précédente étude, nous révélions qu’en 2019, 3 h 50 d’antenne, soit l’équivalent de deux matchs de football, étaient dédiées chaque jour à la promotion des SUV à la télévision.
« Les SUV rejettent 20 % d’émissions de gaz à effet de serre en plus »
Selon nos calculs, les constructeurs automobiles auraient dépensé 1,82 milliard d’euros, cette année-là, pour convaincre les consommateurs d’acheter des véhicules SUV, pourtant plus lourds, plus chers et plus émetteurs que les autres modèles. Pour rappel, ils pèsent en moyenne 220 kg de plus que les modèles traditionnels, ils rejettent 20 % d’émissions de gaz à effet de serre en plus et sont la deuxième source de croissance de ces émissions en France, derrière l’aviation. Et ils coûtent près de 50 % plus cher. Ce qui pose aussi un vrai problème de pouvoir d’achat pour les familles modestes.
C’est notre cinquième rapport sur le sujet depuis 2020. On a donc largement démontré leur impact climatique néfaste et, là-dessus, je pense qu’on a gagné le combat : tout le monde est aujourd’hui bien conscient de l’impact désastreux des SUV sur le climat.
Comment inverser la tendance ?
Pour réduire l’élan vers le SUV, nous proposons que soit instauré un « malus poids ». C’est la mère des batailles, pour nous. Car les SUV sont d’abord des voitures lourdes. Ce qui pose problème, c’est que plus une voiture est lourde, plus elle va nécessiter de carburant pour rouler, et plus elle va polluer. Ce malus viserait à décourager l’achat de ces véhicules et aussi à dégager des recettes fiscales pour financer des voitures plus légères. Ce malus serait appliqué à partir de 1 300 kilos, et de façon progressive.
Nous plaidons depuis cinq ans pour l’instauration de ce malus poids et, année après année, le gouvernement va de plus en plus dans notre direction. Initialement, il avait lancé un malus poids qui était à 1 800 kg. Ce dernier est passé à 1 600 kg et devrait, si tout se passe bien, descendre à 1 500 kg dans le budget qui sera examiné bientôt. Nous, on dit qu’il faut le passer à 1 300 et je pense qu’on finira par nous donner raison, mais plus tard. Car aujourd’hui, on voit bien que ce malus n’est pas assez dissuasif puisque les ventes de SUV continuent de progresser.
Si le malus était appliqué tel qu’on le propose, et en tenant compte du fait que les achats diminueraient donc un peu, il rapporterait 1,8 milliard d’euros supplémentaires aux finances publiques. Cette somme permettrait alors de financer le leasing social ou le bonus écologique pour acheter des véhicules électriques. Actuellement, le bonus écologique va jusqu’à 7 000 euros pour un particulier. On pourrait alors le porter à 9 000 ou 10 000 euros et donc favoriser l’achat de véhicules électriques légers. On peut aussi supposer qu’avec 1,8 milliard d’euros, on aurait les moyens de financer encore plus de leasing social [mis en pause en février 2024] et de permettre à nombre de ménages qui ont besoin d’une voiture, et qui ne veulent pas polluer, de s’équiper d’un véhicule électrique.
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