• sam. Oct 5th, 2024

« Si on se tait sur ce qui se passe à Gaza, on tue l’humanité »


Aymeric Caron est député de Paris (18e circonscription) et fondateur du parti antispéciste Révolution écologique pour le vivant (REV), apparenté au groupe La France insoumise (LFI).

Lisez ce grand entretien ci-dessous, ou écoutez-le sur une plateforme d’écoute de votre choix.


Reporterre — Vous vous êtes engagé de manière vigoureuse après le 7 octobre 2023 et l’attaque du Hamas contre Israël. Pourquoi avoir pris une position aussi forte et continue à propos des crimes de guerre, voire du génocide, commis par l’État israélien dans le territoire de Gaza ?

Aymeric Caron — Depuis douze mois à Gaza, un génocide se déroule sous nos yeux. C’est la plus grave ignominie que j’ai eu à observer de mes yeux depuis que je suis né. J’ai grandi dans un pays qui m’a vanté des valeurs humanistes. J’ai compris que c’était un grand mensonge. Dans l’hémicycle, j’ai vu le cynisme et la lâcheté de mes collègues. Je pensais que nous étions à l’abri de la barbarie et j’ai constaté qu’elle était là, en germe, prête à jaillir tout autour de nous. Une personne capable d’indifférence à la destruction systématique, organisée et orchestrée de dizaines de milliers d’enfants et de nourrissons, je ne la considère pas comme une personne avec laquelle j’ai un commun valorisant.

Tout à coup, mon univers s’est effondré. J’ai honte du pays dans lequel j’habite et de son expression politique. J’ai découvert que le racisme, très présent en France et dans d’autres pays, avait encore des effets très concrets. Comme de considérer que la vie d’une personne, parce qu’elle est arabe ou musulmane, vaut moins qu’une autre. La violence faite à un individu innocent est insupportable. Si on se tait sur ce qui se passe à Gaza, on tue l’humanité.

Comment expliquez-vous le soutien inconditionnel à l’État d’Israël ?

Depuis des décennies, il y a un travail de lobbying intense du gouvernement israélien à travers des relais politiques. Des députés vont parfois en voyage payé par des organismes qui font la propagande d’Israël. Le Crif [Conseil représentatif des institutions juives de France] est aujourd’hui devenu un relais de la droite raciste israélienne. Il n’y a pas de rapport entre un juif français et le gouvernement israélien.

En tant qu’écologiste, pourquoi êtes-vous aussi frappé par le drame qui se passe à Gaza ?

Il serait caricatural de parler des pollutions engendrées par des tonnes de bombes qui ont détruit ce territoire. C’est plus que ça. Un écologiste est quelqu’un qui s’intéresse à la question de la vie. La vie sous toutes ses formes et en premier lieu, la vie humaine. Un écologiste s’interroge sur notre propre survie dans cet univers en tenant compte des ressources qui nous entourent. Un écologiste est d’abord et avant tout un humaniste. Il ne peut pas rester indifférent à la souffrance d’un être humain. La cause écologiste englobe tout ce qui fait que chaque individu sensible sur cette planète, humain ou non-humain, puisse avoir le droit à une existence décente. Le niveau d’injustices et de souffrances constaté à Gaza est tel que tous les écologistes doivent être outrés.

Aymeric Caron lors de l’enregistrement du podcast de Reporterre à la Fête de l’Humanité, le 13 septembre 2024.
© Mathieu Génon / Reporterre

En septembre, vous avez publié une tribune dans laquelle vous écriviez que le front républicain, pour vous, « c’est terminé ». Pouvez-vous expliquer cette position surprenante ?

Je suis un adversaire de l’extrême droite depuis l’adolescence. J’ai fait le front républicain [tradition consistant à se désister au second tour d’une élection pour un candidat républicain face à un candidat du Rassemblement national (RN)] à chaque fois que les circonstances me le demandaient. C’était une très bonne nouvelle qu’il ait pu exister lors des dernières élections législatives. Le front républicain est la reconnaissance que malgré toutes les oppositions, un socle unit une partie de la classe politique autour de valeurs républicaines, et il doit être rappelé dès que le néofascisme surgit. Mais les macronistes ont trahi le vote des législatives. Le front républicain n’était pas censé s’arrêter au soir du second tour, mais continuer une fois la composition du nouvel hémicycle connue.

« Barnier et Bardella ne sont pas identiques, mais leur pacte en fait des alliés »

Pour sauver la démocratie, c’est une priorité politique de dire qu’il n’y aura plus de front républicain pour sauver des candidats macronistes, que ce soit lors des législatives ou de la présidentielle.

Le risque n’est-il pas de laisser un candidat RN l’emporter ?

Nous ne voulons plus être l’instrument d’une mascarade. Pendant la dernière campagne électorale, nous avons rencontré beaucoup de gens qui ne voulaient plus ou pas voter. Nous les avons mobilisés en leur faisant la promesse que leur vote servirait à quelque chose. Maintenant, ils constatent que le résultat du vote est la nomination d’un Premier ministre issu d’un parti qui a fait 6 % aux législatives, qui n’a pas choisi le front républicain et qui est en train de composer son gouvernement avec l’accord de l’extrême droite [lors de cet entretien, le gouvernement n’était pas encore composé]. L’extrême droite a été battue et c’est elle qui arbitre de la composition du gouvernement. C’est absolument sidérant.

Vous ne faites pas de différence entre Monsieur Bardella et Monsieur Barnier comme Premier ministre ?

Je fais une différence dans la personnalité, le parcours, le programme défendu officiellement. Mais à partir du moment où l’on accepte de se soumettre à l’extrême droite, de faire valider les noms de son gouvernement par l’extrême droite, on devient collaborateur d’un glissement vers le néofascisme. Barnier et Bardella ne sont pas identiques, mais leur pacte en fait des alliés.

Aymeric Caron : « François Ruffin fait fausse route. Il a un agenda personnel, des ambitions présidentielles. »
© Mathieu Génon / Reporterre

Un autre débat agite la gauche : la position entre deux personnes, François Ruffin et Jean-Luc Mélenchon, mais surtout entre deux stratégies. Pour l’un, il faudrait que la gauche s’adresse davantage aux classes populaires du rural et des petites villes, aux ouvriers et aux paysans. L’autre position semble se concentrer sur les jeunes, les quartiers populaires et les milieux urbains. Qu’en pensez-vous ?

François Ruffin fait fausse route. Il a un agenda personnel, des ambitions présidentielles, ce qui fausse ses analyses et oriente certaines de ses sorties médiatiques. Je rappelle que je suis un élu REV [Révolution écologique pour le vivant], apparenté à LFI [La France insoumise], et donc ce sont mes alliés. Mais je discute avec eux, je m’oppose à certaines orientations majoritaires dans le groupe. À LFI, il n’y a aucune stratégie qui irait dans le sens de privilégier certaines populations en raison d’origines ou de religion. François Ruffin a tenu un discours qui accrédite presque certaines thèses de l’extrême droite à notre encontre. Soit l’idée selon laquelle nous aurions des positionnements politiques en fonction d’un public trié en raison de ses origines. Je suis profondément choqué d’entendre cela puisque c’est faux.

La gauche et les écologistes sont quand même plus forts dans les grandes villes alors que le RN domine dans des petites villes, des campagnes, des périphéries et dans des catégories sociales qui se sentent exclues du système…

Beaucoup de régions sont devenues RN, certes. Mais LFI n’y est pour rien. Le parti n’existait pas quand la bascule a commencé à s’opérer. L’opposition, « les tours et les bourgs », est une formule qui sonne bien à l’oreille, mais elle est caricaturale. Dans son livre récent, le sociologue Vincent Tiberj dit que notre pays n’est pas en train de devenir réactionnaire, et explique qu’il y a une surdomination des idées réactionnaires de droite et d’extrême droite dans les médias. Cela ne correspond pas à ce que pensent les Françaises et les Français dans leur for intérieur. Mais si toute la journée, on répète que la solution est le RN, les gens commencent à y croire.

Aymeric Caron : « Quelques droits fondamentaux peuvent être donnés aux animaux. »
© Mathieu Génon / Reporterre

Vous êtes investi depuis longtemps dans une autre cause politique, celle de l’antispécisme. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit ?

Le spécisme est le biais intellectuel qui discrimine des individus en fonction de leur espèce. C’est considérer de manière arbitraire qu’entre deux individus qui ont à peu près les mêmes caractéristiques de sensibilité, d’intelligence, de capacité à ressentir le plaisir et la souffrance, un des deux sera bien traité et l’autre mal traité. Pour les antispécistes, cela doit cesser. L’égalité entre les individus et l’égalité de droits ne doivent pas se limiter aux humains, mais concernent aussi les non-humains. Cela ne signifie pas que les animaux doivent avoir les mêmes droits que les humains. Mais quelques droits fondamentaux peuvent leur être donnés, comme le droit de ne pas souffrir, de ne pas être tué, de ne pas être emprisonné.

La question antispéciste n’est-elle pas accessoire par rapport à la gravité d’autres situations, sociale ou climatique ?

Si l’on est contre les injustices, tous les combats doivent être menés en même temps. Un ne doit pas être laissé de côté sous prétexte qu’il ne concerne pas des humains.

La crise de l’agriculture est liée à une logique d’industrialisation de l’agriculture et d’expulsion de la petite paysannerie. Or celle-ci est souvent en polyculture avec un élevage restreint. Un antispéciste peut-il discuter avec la Confédération paysanne et accepter l’élevage ?

Bien sûr que nous pouvons discuter avec la Confédération paysanne. Même s’ils ne vont pas aussi loin que nous sur la question animale, nous avons un travail commun à faire sur plusieurs décennies avant d’arriver à un système où il n’y aurait plus d’exploitation animale. Avec LFI, et ceux qui prônent une paysannerie vertueuse, nous voulons la suppression des élevages industriels. Le travail d’éducation pour expliquer qu’il n’est pas nécessaire de manger autant de viande prendra un demi-siècle.

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