• lun. Oct 7th, 2024

Dans la Creuse, des milliers de manifestants contre les méga-usines à bois


Guéret (Creuse), reportage

Les forêts, aussi, se soulèvent. Certes, ce n’est pas encore le surgissement de Macbeth ni la colère des Ents du Seigneur des Anneaux, mais indéniablement, il se passe quelque chose. Dans les rues du centre-ville de Guéret, en Creuse, samedi 5 octobre, environ 3 000 personnes, certaines grimées de masques d’animaux et habillées de lierre ou de fougères, ont défié la préfecture.

Dans les interstices laissés par le béton, des enfants semaient des glands à la volée. Un énorme crapaud sonneur à ventre jaune, érigé en totem, ouvrait la marche sous les hourras de la foule. Des dizaines de drapeaux de la Confédération paysanne, de Greenpeace, d’Extinction Rebellion, de la CGT et des forces politiques de gauche flottaient au vent. Tous unis contre l’industrialisation de la forêt et la multiplication des coupes rases.

« Nous avons rarement été aussi nombreux, se félicite Bruno Doucet, de l’association Canopée. Nous sommes en train de gagner la bataille. » Depuis quelques années, à force de médiatisation et grâce à l’obstination de plusieurs collectifs locaux, la forêt est revenue peu à peu au centre de l’attention politique. Cette manifestation se voulait un point d’étape dans la construction d’un mouvement populaire, joyeux et festif. Elle aurait normalement dû se dérouler le 30 juin dernier, juste après une assemblée qui avait réuni 90 luttes engagées sur la forêt, mais elle avait été décalée en raison des élections législatives pour faire front face à l’extrême droite.

Cyriel, habitant d’une commune proche de Guéret et membre du groupe d’action LFI local, lors de la manifestation contre le projet d’implantation de l’usine à pellets Biosyl sur la commune.
© Noël Chavanat / Agence VU’

« Des machines à déforester nos massifs »

L’objectif de cette manifestation était d’exiger l’abandon des mégaprojets industriels, les grosses scieries, les usines à pellets et les mégacentrales à biomasse qui poussent en périphérie des villes. « Ce sont des machines à déforester nos massifs », peste Thibault, du Syndicat de la montagne Limousine. Près de Guéret, une usine Biosyl est, tout particulièrement, dans le viseur et suscite une forte opposition.

Le projet vise à produire 85 000 tonnes de granulés par an. Soit 180 000 m³ de bois ou la coupe de 1 125 hectares de forêt par an. Le projet intensifierait « l’accaparement d’une ressource déjà fragile », alertent les opposants.

« L’accaparement d’une ressource
déjà fragile »

Alors que la forêt subit de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique et qu’elle peine à se renouveler, les manifestants s’inquiètent de la multiplication de ce type de projet industriel qui promeut les plantations résineuses et la coupe de forêts diversifiées de feuillus.

Dans le Morvan, certains en ont déjà fait l’expérience. « À Cosne-sur-Loire [dans la Nièvre], Biosyl, qui est l’un des plus gros producteurs de pellets en France, rase des forêts de chênes centenaires alors qu’elles sont en bonne santé », se révolte Marie-Anne Guillemain, secrétaire nationale de SOS forêt, venue exprès de la Nièvre pour « apporter son soutien ».

« La Creuse est le territoire où il y a le plus de passoires thermiques. Au lieu de brûler des forêts en les transformant en pellets et d’émettre ainsi encore plus de carbone, on ferait mieux de développer une filière vertueuse et locale de laine de bois », dit-elle.

Maria, habitante d’une commune rurale proche de Guéret, lors de la manifestation contre le projet d’implantation de l’usine à pellets Biosyl à Guéret, le 5 octobre 2024.
© Noël Chavanat / Agence VU’

« On va tous devenir des ouvriers sur une chaîne de production »

Les opposants plaident pour une filière alternative qui prenne soin des écosystèmes autant que de ses travailleurs. La CGT s’est engagée dans la bataille. Le Snupfen-Solidaires, le syndicat majoritaire de l’ONF, aussi. « Les mégaprojets type Biosyl vont déstabiliser la filière, augmenter la concurrence, écraser les petites entreprises, estime Jean-Yves Lesage, de l’union départementale CGT de la Creuse. Biosyl dévore en un jour ce que consomme une petite scierie en un an. La pression va être trop forte. »

« Avec ce type de projet, on va tous devenir des ouvriers sur une chaîne de production, on va perdre nos savoir-faire et nos compétences artisanales », enchérit sa camarade Agathe Liskiewicz-Winocq, de la CGT de la Construction, du Bois et de l’Ameublement. Le constat est aussi partagé par Sylvain Tilleul de la Confédération paysanne : « Au fond, ce qui se rejoue, ici, dans les bois, c’est rien de moins que notre combat dans l’agriculture pour l’autonomie et la paysannerie face aux monocultures céréalières et au système productiviste. »

Mathilde Panot (au centre), présidente du groupe LFI à l’Assemblée nationale, aux côtés de Catherine Couturier, députée de la Creuse de 2022 à 2024 sous la bannière de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale, en tête du cortège de la manifestation.
© Noël Chavanat / Agence VU’

La manifestation a été l’occasion de révéler au grand jour l’alliance large qui se dessine pour défendre des « forêts vivantes ». « Il y a quelques années, on était quelques dizaines à s’opposer à des projets comme celui de CIBV qui voulait déjà faire des pellets sur le plateau de Millevaches. Maintenant, nous sommes des milliers. La dynamique a changé. Des associations ont été créées, des groupements forestiers ont racheté des forêts. Nous sommes beaucoup plus forts », estime Elie, du Syndicat de la montagne limousine.

« Nous sommes beaucoup plus forts »

Témoins de cet écho, plusieurs élus nationaux avaient fait le déplacement, dont l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint et la cheffe de file des députés insoumis Mathilde Panot, qui a déclaré vouloir « relancer le débat démocratique » sur le sujet. Son ancienne collègue Catherine Couturier (détrônée par un candidat du Rassemblement national en juillet) est à l’origine d’une proposition de loi transpartisane contre l’industrialisation des forêts. Le Nouveau Front populaire voudrait la remettre à l’agenda législatif, assure-t-elle.

En fin de parcours, la maire de Guéret, Marie-Françoise Fournier, a également pris la parole devant le parvis de l’hôtel de ville, appelant « à protéger cette richesse inestimable » et à « ne pas sacrifier l’avenir au nom du présent ». De l’autre côté de la place, des manifestants jetaient des pellets sur la grille de la préfecture face à des dizaines de gendarmes, un canon à eau, un hélico et des drones. Un dispositif répressif qui rappelle celui mené à l’encontre les Soulèvements de la Terre. Une personne a été interpellée avant d’être relâchée sous la pression des élus.

Vue sur le ruisseau des Chers, menacé par l’implantation de l’usine à pellets Biosyl.
© Noël Chavanat / Agence VU’

« La victoire est possible »

Les manifestants sont pleins d’espoir. « La victoire est possible, estime Yann Fauconnier, avocat de France Nature Environnement (FNE). L’implantation de Biosyl est fragilisée par nos recours juridiques et par la pression populaire. » L’entreprise doit revoir ses permis de construire. Le maire de Saint-Fiel, commune voisine de Guéret, l’a refusé. Des inventaires bénévoles naturalistes pourraient aussi obliger l’entreprise à mener une étude d’impact. En face, sur un rond-point, une vigie a été construite par les opposants pour surveiller l’avancée possible du chantier. Hissée à la corde, la structure rappelait les moments phares de la zad et des Gilets jaunes. Un camp autogéré s’est installé pour le week-end dans un champ, à côté, avec concerts, DJ set, camping et cantine.

En fin d’après-midi, Carmen, une naturaliste, tenait toujours sa pancarte. « Nous entendons pleurer nos forêts. » Une manière, pour elle, de témoigner du lien intime qui nous relie à cet écosystème et de donner corps au slogan « Nous sommes le vivant qui se défend ». « Voir une forêt rasée, ce n’est pas seulement des arbres coupés, ce sont des liens à jamais brisés, des usages qui se perdent, une présence qu’on nous arrache, dit-elle. Ces coupes rases sont devenues insupportables et nous allons tout faire pour y mettre fin. »


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