• mar. Oct 8th, 2024

Dans le Gard, des salariés « dévastés » par la fermeture d’une usine à PFAS


Salindres (Gard), reportage

Le silence est pesant, seul le ronronnement du moteur du camion syndical CGT se fait entendre. Autour, près de 400 personnes, venues manifester samedi 5 octobre contre l’annonce faite par Solvay aux salariés de son usine de Salindres (Gard) le 24 septembre dernier. La production chimique va être arrêtée dès l’an prochain. En octobre 2025, 68 postes auront été supprimés.

Damien Olry, délégué syndical CGT du groupe — le syndicat le plus représenté sur le site — et « opérateur de fabrication » à l’usine, entame un discours d’une voix tremblante. Face à lui, les bâtiments et les cheminées du site chimique, bloqué par les salariés qui sont en grève depuis l’annonce il y a presque deux semaines. « C’est la responsabilité de Solvay de maintenir l’emploi et la santé publique », insiste-t-il.

Car à l’inquiétude sociale, s’ajoute celle pour la santé des travailleurs et des riverains. En février dernier, l’association Génération Futures et plusieurs médias avaient révélé des rejets massifs de TFA, une des substances produites sur place et un de ces « polluants éternels » que sont les PFAS, dans les cours d’eau adjacents à l’usine. « Salindres vivra, les gars ! » encourage le syndicaliste, avant que la manifestation s’élance.

Pour Damien Olry, délégué syndical CGT du groupe, « c’est la responsabilité de Solvay de maintenir l’emploi et la santé publique. »
© David Richard / Reporterre

Dans le cortège, où familles, habitants et élus se sont mêlés aux salariés, les mines sont graves. La nouvelle est tombée comme un couperet, personne ne s’y attendait. « Il y a environ deux mois, on a eu encore un discours de notre directeur qui nous disait de nous challenger, qu’on allait produire plus », se souvient Enzo Ferroudji, représentant syndical CGT à l’usine.

« On a le sentiment d’être trahis par cette entreprise qui avait réuni les élus il y a quelques mois et dit “nous resterons là” », renchérit Jean-Luc Gibelin, maire adjoint de Salindres et vice-président transports de la région Occitanie. L’affaire attise d’autant plus la colère que Solvay a fait 588 millions d’euros de bénéfices en 2023.

Plus de 350 personnes composaient le cortège de la manifestation selon le décompte de Reporterre.
© David Richard / Reporterre

« On est dévastés, en colère, tristes. Solvay est en train de détruire pas mal de vies », résume Damien Olry. Car dans ce territoire où les usines ferment les unes après les autres, il apparaît quasi impossible de retrouver un emploi équivalent en salaire et compétences. Quand aux autres sites Solvay, « c’est soit La Rochelle, soit Dombasle, soit Collonges, donc pas à côté », ajoute-t-il.

« Je suis un enfant de Salindres »

La plupart des salariés ne se voient pas partir à l’autre bout de la France. « J’ai 32 ans, ça fait trois semaines que je vis dans ma nouvelle maison, j’ai un crédit et une petite de deux ans et demi », liste Joris Carlini, derrière les lunettes de soleil qui cachent ses cernes. Il fait les trois-huit à la production. Son grand-père et son père travaillaient déjà à l’usine. Lui y a fait son premier stage il y a treize ans. « Je suis un enfant de Salindres. J’ai vécu avec l’usine, au rythme des sirènes tous les premiers mercredis du mois. »

Jeune père, jeune propriétaire et travailleur de à l’usine après son grand-père et son père, Joris Carlini ne peut envisager de quitter la région malgré la perte annoncée de son emploi — et les difficultés attendues pour en retrouver un.
© David Richard / Reporterre

Enzo Ferroudji non plus ne se voit pas partir. « Ma fille a un handicap, est suivie par de nombreux médecins. Il lui faut de la stabilité », explique-t-il calmement, mains croisées dans le dos. Plutôt que de lui, il préfère parler de ses collègues : « La moyenne d’âge sur le site, c’est 43 ans, c’est terrible. Certains ont vécu essentiellement grâce à l’usine, c’est leur seule expérience professionnelle. À 45, 50 ans, on fait comment pour se retourner ? »

Sans compter que Solvay fait vivre des sous-traitants, et participe à l’économie locale. « Certaines entreprises sous-traitantes ont des emplois 100 % dédiés à Solvay », souligne Ghislain Chassary, maire de la commune voisine de Rousson. « C’est une bonne centaine d’emplois de plus qui vont être impactés. Et aussi les commerces et les services publics. »

Dans cette région où les usines ferment les unes après les autres, il semble quasi impossible pour les salariés s’approchant du milieu ou de la fin de leur carrière de retrouver des emplois équivalents en salaire et en compétences.
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Solvay a justifié sa décision d’arrêter la production chimique à Salindres par « une forte concurrence internationale, principalement asiatique, sur les TFA (acides trifluoroacétiques) et dérivés fluorés. Mais aussi un durcissement des réglementations française et européenne sur les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées), nécessitant d’importants investissements qui ne seraient pas justifiés au regard de la performance du site de Salindres ces dernières années ». C’est ainsi que l’unique site européen de fabrication de TFA — une substance utilisée notamment pour la fabrication de pesticides et de médicaments — stoppe son activité.

Plus moyen de polluer en paix ?

Des arguments qui n’ont pas convaincu Sophian Hanous, représentant du personnel. « On réfute complètement l’argument économique », tranche-t-il. Pour lui, Solvay cherche à fuir ses responsabilités et s’en va parce qu’il ne peut plus polluer en silence.

« Tant qu’il n’y avait pas de normes de rejets sur ces PFAS, on a produit tant qu’on pouvait, dit-il. Et maintenant qu’il commence à y avoir des normes plus restrictives, légitimes pour la protection des gens, on arrête… »

Les représentants du personnel remettent en cause l’argument économique avancé par Solvay pour justifier la fermeture.
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Pour autant, Sophian Hanous n’en veut pas à l’association Générations Futures d’avoir révélé que l’on retrouve du TFA et les autres substances produites par l’usine en très grande quantité dans l’Avene et l’Arias, les deux cours d’eau proches de l’usine, ainsi que dans le Gardon d’Alès où ils se jettent. « Sans eux, on serait encore en train de respirer des produits qu’on nous présente comme inoffensifs », dit-il.

Notamment, il sait qu’une étude sur des lapines exposées au TFA a montré des malformations sur les yeux et le squelette des lapereaux mis au monde. Ayant appris cela, « on se refait le film, dit-il. On a pas mal de collègues qui ont eu des enfants malades, deux fausses couches tardives à quelques mois d’intervalle… Et on a travaillé sans protections au niveau de mètres cubes de ces produits ! »

« On a le sentiment d’être trahis par cette entreprise qui avait réuni les élus il y a quelques mois et dit “nous resterons là” », dit Jean-Luc Gibelin, maire adjoint de Salindres et vice-président transports de la région Occitanie.
© David Richard / Reporterre

Les salariés rencontrés par Reporterre craignent la double peine. Que Solvay s’en aille en supprimant les emplois… Et laisse personnel et riverains seuls face aux conséquences de la pollution. « Si par malheur des maladies ou des cancers se déclarent dans dix quinze ans, comment ça se passe ? » s’interroge Damien Olry.

« Garder du personnel leur permet de ne pas avoir à dépolluer »

Certes, Solvay ne s’en va pas totalement, il laisse quelques salariés au sein du GIE — groupement d’intérêt économique — qui gère le site de l’usine avec d’autres entreprises, qui elles restent bien présentes. « Mais c’est parce que s’il n’y a plus de personne de Solvay du jour au lendemain, ils doivent dépolluer immédiatement le site et cela représente un coût non négligeable. Garder du personnel leur permet de ne pas avoir à dépolluer », estime le syndicaliste.

Il avait obtenu que tous les salariés aient des prélèvements d’urine et de sang afin d’étudier leur exposition aux PFAS. « Ça devait se faire là, mais maintenant tout est en stand by », déplore-t-il.

Les manifestants ont défilé sous l’œil des riverains. Plusieurs entreprises des environs ne doivent leur chiffre d’affaires qu’à leur activité de sous-traitance pour Solvay.
© David Richard / Reporterre

Les politiques locaux, eux, sont plus frileux à l’idée de parler de pollution. Pour eux, les révélations de février dernier ont fait une mauvaise presse au territoire. « Ici on vit bien », défend le maire de Salindres Étienne Malachanne, alors que le cortège arrive devant sa mairie.

« On aimerait que les ministères de l’Écologie et de l’Industrie nous disent si ce produit est dangereux », ajoute Jean-Luc Gibelin. « Et dans ce cas, on arrête de l’utiliser, on ne l’importe pas de pays où il est fabriqué dans des conditions moins bien contrôlées qu’ici à Salindres. »

Pour les 3 600 habitants de Salindres, le site industriel est une institution depuis plusieurs générations.
© David Richard / Reporterre

Au fur et à mesure qu’il s’étirait dans les petites rues de Salindres, le cortège s’est déridé. Des habitants le regardent passer et affichent leur soutien. Au Café de l’usine, certains se sont arrêtés pour l’apéro. Les manifestants amorcent la montée pour retourner devant le site, sur une hauteur, comme pour rappeler à quel point il est depuis 170 ans le cœur battant de cette petite ville de 3 600 habitants.

Malgré les perspectives qui se bouchent, Sophian a encore des rêves pour son usine, et qu’il en sorte d’autres produits dont la dangerosité ne ferait pas polémique. « On voudrait que le site soit nettoyé et qu’on reparte sur une usine plus propre, avec un impact environnemental le plus faible possible », espère-t-il.



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