• jeu. Oct 17th, 2024

En Ardèche, des militants occupent des arbres pour protester contre un projet routier


Saint-Péray (Ardèche), reportage

« Danger, amiante. » L’avertissement a été inscrit à la bombe dans le salon délabré d’une maison à Saint-Péray, à l’ouest de Valence. Un tas de tuiles en fibrociment, ce matériau de construction en fibres minérales particulièrement résistant, susceptibles de contenir de l’amiante, reposent près de la demeure. Un second bâtiment gît plus loin, éventré. Un tuyau en fibrociment dépasse de ses décombres. Les traces d’une démolition stoppée nette dès que les ouvriers de la déviation de la route départementale 86 (RD86) ont eu vent de la présence de la matière cancérogène.

Ils ont été informés au premier jour des travaux, le 10 octobre, par les militants écologistes du collectif Alterre, opposé à l’artificialisation de cette plaine maraîchère. Trop tard. La poussière de la démolition les recouvrait déjà. Ces salariés d’une entreprise d’insertion étaient venus sans équipement de protection défricher ce lieu, surnommé « Le Nichoir », en amont du chantier de la RD86.

Les travaux ont été ordonnés par la communauté de communes de Rhône Crussol (CCRC), présidé par Jacques Dubay, le maire de Saint-Péray. « Aucun salarié n’a été exposé à l’amiante », jure l’élu à Reporterre. Présente au « Nichoir », la conseillère régionale Les Écologistes Maud Grard constate pourtant que « les plaques de toiture en fibrociment ont forcément été manipulées ». Des analyses sont en cours pour connaître la dangerosité véritable des lieux.

« Le Nichoir », en plein sur le chantier de la déviation de la RD86 à Saint-Péray, où des militants occupent les lieux et les arbres, le 14 octobre 2024.
© Moran Kerinec / Reporterre

Depuis, le crissement des tractopelles a cédé la place au bourdonnement d’abeilles. Du haut d’un bosquet de chênes centenaires, des militants écologistes guettent depuis le 9 octobre le retour des ouvriers. Ils et elles sont déjà une poignée à dormir au creux des arbres. « On restera aussi longtemps qu’on le pourra pour protéger cet espace de biodiversité contre cette route », promet Antoine [*], un des « écureuils », ces militants perchés dans les arbres.

Dans la matinée du 16 octobre, des ouvriers ont été aperçus reprenant les travaux avec une pelleteuse et un camion benne pour « retirer le grillage et des arbustes », précise Maud Grard.

Un vieux projet contesté

La carte du tracé routier sent la naphtaline. Dessiné par l’État il y a cinquante ans, son plan prévoit d’artificialiser 50 hectares de terres agricoles à proximité du Rhône. Estimé à 13,3 millions d’euros en 2012, le coût des travaux atteint aujourd’hui 23,6 millions. La facture sera partagée entre la région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée jusqu’à peu par Laurent Wauquiez, le département de l’Ardèche et la communauté de communes de Rhône Crussol.

Jacques Dubay défend auprès de Reporterre vouloir fluidifier une circulation bouchonnée à l’entrée de sa commune. « Nous sommes sur l’itinéraire bis à l’A7, cette déviation va apaiser les milliers d’habitants, justifie-t-il. C’est seulement une 1×1 voie et en parallèle une piste au mode doux et sécurisée. Toute cette affaire est disproportionnée. »

Alterre dénonce pour sa part un projet qui n’intègre pas le principe du trafic induit, car toute nouvelle route augmente systématiquement l’usage de la voiture. L’association suspecte également que ce chantier ne prépare la finalisation du « ring » valentinois, le périphérique routier qui entoure Valence.

Des plaques de toiture en fibrociment cassées retrouvées au « Nichoir ».
© Moran Kerinec / Reporterre

Une dépendance automobile renforcée par l’absence de transports alternatifs : aucun train de voyageurs ne traverse l’Ardèche depuis 1973. Pourtant, la gare de Saint-Péray est toujours en état d’accueillir des wagons. « Cette gare n’est pas utilisée par volonté politique, c’est la région qui bloque son usage », dénonce Maud Grard. La Cour régionale des comptes a d’ailleurs récemment épinglé l’Auvergne-Rhône-Alpes sur son parc de matériel roulant sous-dimensionné et vieillissant. Laurent Wauquiez a préféré flécher l’argent public vers les routes pendant son mandat.

La déviation pèse aujourd’hui sur les comptes de la CCRC. « On a intérêt à la terminer, département et région apportent la grosse partie de l’enveloppe en fin de projet », indique Jacques Dubay. La CCRC a déjà racheté à prix d’or les terres de cette plaine maraîchère. « Cela va grever le budget de la communauté de communes et impacter des infrastructures comme l’école de musique », avertit Sarah, une ancienne habitante de Saint-Péray et membre d’Alterre.

Chauves-souris, « corridors écologiques »…

Après avoir perdu un premier recours en mars dernier contre la déviation pour vice de forme, Alterre a déposé le 16 octobre un recours en référé contre l’arrêté environnemental pour démontrer la richesse écologique de la plaine, sous-estimée par l’étude d’impact menée par la collectivité.

Celle-ci est jugée « incomplète » et « obsolète » par une analyse de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) Drôme-Ardèche, qui note la « faiblesse des efforts de prospection » avec seulement six passages entre 2012 et 2017 et l’absence de recherches des espèces protégées. Cette méthodologie « fausse l’intégralité de l’étude et les mesures ERC [éviter, réduire, compenser] prises », assène l’association.

« Le Nichoir », où des militants occupent le terrain et des arbres à Saint-Péray, le 14 octobre 2024.
© Moran Kerinec / Reporterre

Alterre a mandaté le cabinet naturaliste Asellia Écologie pour mener sa propre étude sur les chauves-souris. Celle-ci révèle la présence de 18 espèces de chiroptères, dont 3 présentent un « enjeu remarquable de conservation » : la barbastelle d’Europe, le minioptère de Schreibers et le murin à oreilles échancrées. Le rapport détaille que, dans le contexte d’étalement urbain et d’une agriculture intensive, les bois, bocages et haies de Saint-Péray « constituent des corridors écologiques importants à préserver ».

Mais les militants jouent au contre-la-montre. Jacques Dubay prévoit de terminer le débroussaillement « dans les dix jours », pour entamer les fouilles archéologiques en novembre. L’élu promet : « On est sur une procédure qui dure depuis des dizaines d’années, il n’est pas question de s’arrêter au milieu du guet. »

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