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À Narbonne, des agriculteurs au tribunal pour avoir pollué des ruisseaux


18 octobre 2024 à 10h20
Mis à jour le 18 octobre 2024 à 11h25

Durée de lecture : 5 minutes

Narbonne (Aude), reportage

Le procès promettait d’être explosif. Jeudi 17 octobre, une compagnie de CRS quadrillait les alentours du tribunal correctionnel de Narbonne, dans l’Aude. C’est là qu’avait lieu le procès de six agriculteurs, accusés par l’Office français de la biodiversité (OFB) d’avoir utilisé des désherbants chimiques dans des zones de non-traitement, près de rivières. Loin de vouloir en découdre, des viticulteurs sont venus par dizaines en soutien, et ont témoigné de leur détresse. « Si vous saviez ce que ça coûte les produits phytosanitaires. Si l’on en épand, c’est que l’on n’a pas d’autres choix », déplorait Lucile Julien, une viticultrice.

En janvier dernier, au point culminant de la révolte des agriculteurs, la Mutualité sociale agricole de Narbonne avait été incendiée à l’aide d’un tracteur et de ceps de vignes. Et une bombe avait été déposée à Carcassonne dans un bâtiment de la Dreal. D’où la crainte des autorités.

Cinq viticulteurs et une productrice de maïs, ouvrière agricole au moment des faits se sont présentés devant le tribunal. Ils comparaissaient pour avoir utilisé des désherbants chimiques dans des zones de non-traitement, dans les communes de Marcorignan, Névian et Ginestas. Au printemps 2022, les inspecteurs de l’environnement ont constaté des traces d’utilisation le long des ruisseaux de La Mayral et du Maïre sur plusieurs mètres ainsi que le long d’un fossé, alors que la législation l’interdit, même quand ces derniers sont à sec.

Une zone tampon de 5 mètres non respectée

L’épandage de pesticides est la première cause de la dégradation de la qualité de l’eau, et est interdit au minimum à 5 mètres d’un cours d’eau.

Si tous les mis en cause ont reconnu devant la cour avoir traité leur parcelle, tous nient l’avoir délibérément fait en bordure des ruisseaux. Des peines symboliques ont été requises.

« Il va y avoir des suicides, je vous le dis », souffle Jean-Michel Broui, à la tête d’une exploitation viticole de 15 hectares à Saint-Marcel-sur-Aude, venu en soutien devant le tribunal. Pour lui, les contrôles sont une forme d’humiliation. « On diminue les traitements phytosanitaires, on obtient des labels comme celui de Haute valeur environnementale. Et malgré tout, on n’arrive pas à vendre mieux notre production. Alors que le désherbage mécanique nous coûte plus cher ! Rajoutez à cela la sécheresse. On ne s’en sort plus et c’est toujours au même que l’on demande de faire des efforts », énumère-t-il.

Lire aussi : Pollution de l’eau : ces agriculteurs payés pour réduire les pesticides

« Nous ne sommes pas des pollueurs ! », abonde Lucile Julien, viticultrice, qui a également fait le déplacement. Entre la paperasse administrative toujours plus importante et les contrôles fréquents, elle témoigne aller travailler « la boule au ventre ».

Un procès inédit

« En général, les agriculteurs payent une amende et ça en reste là », explique Olivier Gourbinot, juriste pour France Nature Environnement, partie civile dans ce dossier. « C’est la première fois que nous allons jusqu’au procès après de telles constatations de l’OFB. » Dans ce type d’affaires, il est courant que le parquet propose une « composition pénale ». Une procédure alternative aux poursuites qui permet de juger rapidement l’auteur d’une infraction à condition qu’il reconnaisse sa culpabilité. Les cinq viticulteurs — qui ont avoué l’épandage mais nié l’avoir fait près des cours d’eau lors de leur audition libre — ont refusé de payer les amendes allant de 600 à 800 euros.

Devant le tribunal correctionnel de Narbonne, le 17 octobre 2024, des viticulteurs sont venus soutenir les six agriculteurs jugés.

« Je suis innocent. Je n’allais pas payer une amende pour quelque chose que je n’ai pas fait », défend Gonzalez Sylvain, dans la salle des pas perdus. Il réfute, après l’avoir admis, la version de l’OFB selon laquelle le « jaunissement des végétaux » sur sa parcelle, près des cours d’eau, serait dû à un herbicide. « Cela a pu être provoqué par le passage fréquent de véhicules », a-t-il dit devant la cour. Il évoque aussi la possibilité de « trous dans sa cuve de traitement ».

Entre deux tacles contre France Nature Environnement, l’avocat de la défense met en cause directement l’OFB et la capacité de ses agents à réaliser des enquêtes. « Il n’y a eu aucune analyse de sol effectuée qui prouve la présence d’herbicide », plaide Maître Pinet. Malgré ces dénégations, aucun accusé ne sera confronté aux photos réalisées par l’OFB versées aux dossiers.

800 euros d’amende requis

Le procureur de la République, Éric Camous, a requis des peines d’amende avec sursis pour les agriculteurs qui, comme Sylvain Gonzalez et deux autres agriculteurs, ont expliqué avoir depuis changé leurs pratiques. Le jeune père de famille assure désormais désherber ses parcelles mécaniquement et même avoir « arraché les pieds de vigne proches du cours d’eau ». « Je ne veux plus vivre ça », a-t-il raconté à Reporterre. « Les gendarmes sont venus chez moi, devant mes enfants. Il faut savoir ce que ça fait de se retrouver ici comme un délinquant. Bien sûr que je suis pour que la réglementation soit respectée, mais c’est la façon de faire que je critique. »

« Les produits phytosanitaires, on en meurt, on s’en intoxique »

Pour les autres, la peine maximale demandée par le procureur est de 800 euros d’amende. Un montant symbolique au vu des six mois d’emprisonnement et d’une amende de 150 000 euros prévue par le Code rural et de la pêche maritime en cas de non-respect des « zones de non traitées ». « Il faut distinguer les pratiques de pollution des grandes entreprises, qui font partie de la criminalité environnementale, des paysans qui triment tous les matins. Mais il faut que la symbolique de la peine soit reconnue. Les produits phytosanitaires, on en meurt, on s’en intoxique, on ne peut pas tolérer les erreurs ou les accidents. » Délibéré le 13 décembre.

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