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« Il faut arrêter de banaliser les incivilités sur les cyclistes »


18 octobre 2024 à 09h47
Mis à jour le 18 octobre 2024 à 10h20

Durée de lecture : 5 minutes

Anne Monmarché est présidente de l’association de cyclistes Paris en selle, qui compte un peu plus d’un millier d’adhérents sur le territoire de la métropole du Grand Paris.


Reporterre — Paul, 27 ans, membre de votre association, a été tué par un conducteur de SUV le 15 octobre à Paris. Comment avez-vous réagi à Paris en selle à l’annonce de ce drame ?

Anne Monmarché — On est encore sous le choc. On le connaissait bien, c’était un adhérent de longue date et actif. On est d’autant plus choqués que d’après les premiers éléments de l’enquête, ce n’est pas un accident mais un meurtre. Paul portait une vision d’une ville apaisée, sereine, où l’on puisse se déplacer en sécurité. Il était présent aux réunions publiques pour discuter des aménagements urbains et porter la voix des cyclistes. C’est d’autant plus dur pour nous de constater que sa mort est la preuve qu’on est encore loin de la réalisation de cette vision.

Beaucoup de cyclistes, lors du rassemblement mercredi soir en hommage à Paul, ont témoigné d’agressions régulières de la part d’automobilistes. Existe-t-il des statistiques permettant de mesurer si elles sont en augmentation ?

Il n’y a pas de chiffres pour une raison bien simple et qui nous énerve beaucoup, c’est que quand on subit une violence motorisée, on ne peut pas porter plainte. On peut essayer, mais le plus souvent, si on n’a pas été blessé, cela nous est refusé. Cela participe à la banalisation de cette violence motorisée. Parce que même quand on n’a pas été touché, même s’il s’agit juste d’une voiture qui nous a grillé la priorité et a failli nous renverser — et nous a insultés parce qu’on lui a fait remarquer que l’on était prioritaire — le risque pour nous cycliste était mortel. Le conducteur de la voiture ne se rend pas compte que sa petite erreur a failli avoir une conséquence grave pour nous.

Anne Monmarché, présidente de Paris en selle, lors de l’hommage à Paul, tué par un conducteur de SUV.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

On ne le vit pas à chaque trajet, mais cela arrive souvent. On a tous appris à anticiper les erreurs des automobilistes, on connaît les endroits dangereux sur nos trajets quotidiens. On s’adapte, mais on devrait juste avoir à respecter le code de la route.

Le nombre de morts à vélo était en hausse en 2022, mais un article du Monde indiquait que c’est surtout un phénomène campagnard. Les villes sont de plus en sûres pour les cyclistes. Qu’en pensez-vous ?

Plus il y a de gens qui se déplacent à vélo, moins il y a d’accidents. Quand il y a plus de cyclistes et plus d’aménagements, les cyclistes savent mieux se positionner sur la route et les voitures comprennent mieux les déplacements des cyclistes. Les automobilistes prennent l’habitude de la présence des vélos, et pensent par exemple à regarder leurs rétroviseurs. Donc, on peut globalement se déplacer à vélo à Paris en sécurité. Ce serait vraiment dommage que les gens croient que faire du vélo à Paris est dangereux. En revanche, ce que l’on souhaite, c’est que l’on arrête de banaliser les incivilités.

C’est-à-dire ?

Il faut arrêter de banaliser la violence motorisée. En arrêtant, par exemple, d’organiser des débats sur la limitation à 50 ou 30 km/h en ville, alors que l’on sait déjà qu’une voiture roulant à 30 a très peu de risques de tuer quelqu’un en cas d’accident avec un piéton ou un cycliste — contrairement à une voiture à 50 km/h.

C’est la même chose avec la limitation à 80 ou 90 km/h sur les routes départementales, car c’est à la campagne qu’il y a le plus d’accidents graves de cyclistes. Il faut que les automobilistes aient conscience que s’ils prennent un virage à une vitesse trop élevée, ils risquent de ne pas pouvoir freiner s’il y a des cyclistes à sa sortie.

Les publicités qui mettent en scène un mâle dominant et tout-puissant dans sa voiture participent aussi à la valorisation de la vitesse dans l’imaginaire collectif.

Et puis, il y a une responsabilité des pouvoirs publics. Par exemple quand des élus débattent de l’opportunité de passer le périphérique à 50 km/h, ou que le gouvernement décide que les petits excès de vitesse ne feront plus perdre de points sur le permis.

Je pense que la plupart des conducteurs n’ont pas conscience qu’ils ont une arme entre les mains. Eux se sentent protégés, sont comme dans une bulle. Mais cyclistes et piétons sont vulnérables et donc beaucoup plus attentifs à leur environnement. À chaque instant, quand on conduit une voiture, on peut tuer des gens.

J’étais assez proche de Paul, et cela m’importe vraiment, pour qu’il ne soit pas mort pour rien, qu’il y ait cette prise de conscience.

« Ce que l’on porte, c’est ce que l’on appelle la « vision zéro » dans les pays nordiques. Zéro mort, zéro blessé grave » dit la militante.
© P.O C/ Reporterre


Attendez-vous des mesures concrètes, notamment de la part de la ville de Paris ? Jacques Baudrier, élu communiste à la métropole de Paris, évoquait notamment l’interdiction des SUV au rassemblement du 16 octobre au soir en mémoire de Paul.

On n’a pas encore eu le temps d’y réfléchir. J’ai vu qu’un média parlait de « guerre » sur la route. Mais nous, on veut la paix entre les cyclistes, les piétons et les automobilistes. On n’est pas anti-voitures, beaucoup de déplacements en véhicules motorisés sont utiles, notamment pour les livraisons, la logistique ou les transports de secours. Ce que l’on porte, c’est ce que l’on appelle la « vision zéro » dans les pays nordiques. Zéro mort, zéro blessé grave. On veut arriver à avoir cette discussion calmement, plutôt que de parler de guerre de la route.



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