• sam. Oct 19th, 2024

la vallée s’accroche à sa station de ski


La Morte (Isère), reportage

Malgré les nuages, les teintes jaunes et orange des sapins illuminent la vallée. Voilà la montagne parée de ses plus belles couleurs automnales, et personne ne semble profiter du paysage. En cette mi-octobre, le village de La Morte, dans la station de ski de l’Alpe du Grand Serre, en Isère, est désert. Les commerces, fermés. Hors saison, la commune de 150 habitants située à une quarantaine de kilomètres de Grenoble porte bien son nom. Si le calme paraît régner, en réalité, toute la vallée retient son souffle.

Vendredi 4 octobre, les élus de la Communauté de communes de la Matheysine ont décidé (par 48 voix pour et 12 contre) de ne pas renouveler le contrat d’exploitation avec la société Sata, qui gérait les installations, actant la fermeture du domaine. Tout un symbole : située entre 1 350 et 2 200 mètres d’altitude, l’Alpe du Grand Serre est la première station à avoir ouvert en Isère, en 1938. Dotée de 14 remontées et de 38 pistes d’une longueur totale d’une cinquantaine de kilomètres, cela n’a pas suffi à la maintenir à flot, les déficits cumulés ont été jugés trop lourds pour la communauté de communes.

Cagnotte et promesses de financement

La sidération à peine retombée dans la vallée, il y a du nouveau. L’annonce de la fermeture ayant provoqué une onde de choc dans le monde de la montagne, plusieurs cagnottes ont été lancées. Au moins 150 000 euros de dons ont été recueillis par le collectif La Morte vivante et Alpe du Grand Serre Demain. La commune de La Morte s’est engagée à verser 100 000 euros. Enfin, l’association des maires de stations de montagne a promis d’apporter 10 000 euros.

En parallèle, un autre paramètre a changé. Contrairement à ce que pensaient beaucoup d’élus avant le vote début octobre, la collectivité va devoir régulariser 1,1 million d’euros d’investissements non amortis, que la station ferme ou pas.

Yann Vincent a toujours vécu à La Morte. Le tenancier du bar-restaurant espère que la station va résister.
© Pablo Chignard / Reporterre

Les élus du conseil communautaire vont donc à nouveau se réunir mardi 22 octobre pour décider de l’avenir du site. Vont-ils revenir sur leur décision ? « C’est ce que l’on espère tous », sourit Yann, croisé devant son bar-restaurant La Bergerie, en bas des pistes et des télésièges. Les yeux bleus et la barbe grisonnante, le quinquagénaire qui a toujours vécu à La Morte est aussi moniteur de ski l’hiver et paysagiste une autre partie de l’année. Son frère Lionel a, lui, repris le magasin de matériel de ski, juste à côté.

La fin de la station, « c’est la fin de tout »

Pour Yann, « si la station ferme, je perds mon emploi de moniteur et je ferme mon bar, la fin du ski, c’est la fin du village ». Son salaire de moniteur représente un quart de ses revenus l’hiver, « s’il n’y avait pas ça, j’aurais déménagé, tenir le bar l’hiver, ça ne suffit pas », poursuit-il alors que la pluie commence à tomber.

« Même si on savait tous que la station n’allait pas fort, quand on a appris la nouvelle, ç’a été brutal. Quel coup de massue, je devais ouvrir dans un mois et demi. » S’il estime « normal que l’on arrête si la station n’est plus rentable, là il faut explorer toutes les nouvelles options ». Pour combien de temps encore ? « Avec le dérèglement climatique et le manque de neige, la station ne va pas durer encore cinquante ans, mais si elle peut tenir encore quelques années, c’est tant mieux. »

L’idée était de remplacer deux télésièges vieillissants par une télécabine pour relier la station jusqu’au haut des pistes.
© Pablo Chignard / Reporterre

De l’autre côté du village, Astrid aussi veut y croire. La jeune femme de 36 ans a quitté Grenoble en 2015 avec son conjoint et leurs deux enfants pour ouvrir sa chèvrerie en 2020. Dans l’étable, les soixante chèvres, ses « princesses », broutent paisiblement au chaud alors que le vent souffle de plus en plus fort dehors. À côté, Rasta, Vicky, Poppy et Roots, 4 des 7 chiens de la famille, sont installés confortablement sur la paille.

Piercing à la narine et cheveux cachés sous un bonnet, Astrid travaille depuis dix ans tous les hivers aux remontées mécaniques de la station — et gagne ainsi 5 000 euros par saison en moyenne. « Je m’occupe de mes chèvres de 6 heures à 7 h 30 puis je vais travailler à la station et je retourne à la chèvrerie le soir, pendant 1 h 30 », explique-t-elle. Aussi, pendant les vacances d’hiver, elle « accueille 30 enfants par soir avec les visites pédagogiques ».

Astrid Lescure, 36 ans, vit depuis 10 ans à l’Alpe du Grand Serre. Elle a monté sa chèvrerie en 2020 et travaille, aussi, l’hiver aux remontées mécaniques.
© Pablo Chignard / Reporterre

Celle qui ne distribue ses fromages qu’en vente directe constate que 80 % de sa clientèle l’hiver a un lien avec le ski. « Sans la station, je ne me serais pas installée ici, pour moi la fin de la station, c’est la fin de tout. » Dans les alpages l’été, la bergère qui s’occupe seule de ses chèvres n’a pas le temps de faire les marchés. D’ici le vote de mardi, « j’essaie de ne pas trop y penser, j’ai d’autres sources de stress ».

Tout en parlant, Astrid jette souvent un coup d’œil à ses chèvres. La possible fermeture de la station n’est pas la seule mauvaise nouvelle de la semaine. Plusieurs de ses bêtes ont été touchées par l’épidémie de fièvre catarrhale ovine qui sévit actuellement dans tout le pays. « Pour l’instant, je n’en ai perdu aucune mais j’ai eu beaucoup moins de lait que d’habitude. »

140 habitants vivent à La Morte, en Isère.
© Pablo Chignard / Reporterre

« Un exemple national de la montagne de demain »

Si les derniers hivers ont été en dents de scie au niveau de l’enneigement, « en altitude, il y a de la bonne neige, la station utilise très peu de canons », assure l’éleveuse. En outre, « la fermeture de la station signifierait l’arrêt du bike park, or ce parcours de VTT marche plutôt bien l’été et pendant les mi-saisons ». Astrid en est sûre, malgré les déficits, l’Alpe du Grand Serre peut se renouveler, notamment avec le projet de réhabilitation « quatre saisons ».

Face au manque de neige en bas de la station et pour proposer davantage d’activités, l’idée, depuis 2022, était de remplacer deux télésièges vieillissants par une télécabine pour relier la station jusqu’au haut des pistes, ouverte hiver comme été aux skieurs, randonneurs et VTTistes. Le coût du projet : 24 millions d’euros. Au printemps, la ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales d’alors, Dominique Faure, avait assuré « le soutien du gouvernement », assurant même vouloir « en faire un exemple national de la montagne de demain ». Mais la dissolution de l’Assemblée nationale est passée par là.

Las, pour l’association Mountain Wilderness, La Morte ne doit pas devenir « un parking de gare de départ de télécabine », comme elle l’écrit dans un communiqué. Évoquant le manque de neige à l’avenir et un faible dénivelé, elle assure que la commune a « heureusement beaucoup d’autres atouts pour les activités de pleine nature » : randonnée, escalade, VTT, trail, etc. Pour sauver La Morte, le collectif a bien d’autres idées — redynamiser les colonies de vacances, camping, tiers-lieux, etc. — et aspire surtout à une réflexion collective pour penser l’avenir sans compter sur le tout-ski.

Stephen, 53 ans, est pluriactif sur la commune. Il est pisteur l’hiver et entrepreneur de travaux forestiers le reste de l’année.
© Pablo Chignard / Reporterre

« On nous a vendu du rêve avec ce projet, les élus ont fait ce qu’ils ont pu mais l’État n’a finalement pas suivi », déplore Stephen. Croisé dans le centre du village, lui aussi dépend de la station pour vivre l’hiver. Âgé de 53 ans, il travaille chaque saison ici depuis ses 17 ans, d’abord en tant que perchman — l’agent qui gère les tire-fesses — et ensuite comme pisteur. Le reste de l’année, Stephen est entrepreneur de travaux forestiers.

« Tant qu’il y a de la neige… »

Casquette sur la tête, muni d’une pelle, il fait des travaux de terrassement sur le parking du village, en ce milieu d’après-midi. Pas surpris par la décision début octobre de fermer la station, « c’est dommage que l’on attende d’être au pied du mur pour faire quelque chose, on aurait dû anticiper mais tant qu’il y a de la neige… » Que faire si la station ne rouvre pas ? Chercher un emploi en dehors de la vallée ? « Impossible, j’y suis viscéralement attaché. »


Du côté des élus, « on est tous suspendus à la décision de mardi [22 octobre] », indique Coraline Saurat, présidente de la communauté de communes de la Matheysine. Pour elle, « c’est compliqué de se prononcer sur l’issue du vote, si la station ouvre, la collectivité va devoir injecter 1,8 million d’euros pour les deux prochaines années en dépenses de fonctionnement ».

Le coût d’arrêt est lui estimé à 1,3 million d’euros. Quoi qu’il arrive, « il va falloir imaginer une nouvelle stratégie pour la station, si elle ouvre, ça nous laisse deux ans pour bâtir un nouveau projet ». En attendant, Coraline Saurat indique n’avoir reçu aucune information de l’État sur une éventuelle aide financière.



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