Cali (Colombie), reportage
Côte à côte, les drapeaux de la Colombie et de l’Organisation des Nations unies (ONU) flottent pour la première fois dans la ville de Cali. Située dans le sud-ouest de la Colombie, elle accueille à partir de lundi 21 octobre l’événement international le plus important jamais organisé en Colombie : la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (COP16). Un symbole fort pour ce pays qui aspire à se faire connaître autrement que pour le trafic de drogue et les groupes armés.
Dans une interview au quotidien colombien El Tiempo, le maire de Cali, Alejandro Eder, se réjouissait que le monde s’apprête à regarder le pays de « manière positive ». Et pour cause : durant quinze jours, la ville sera un territoire international de paix entre les États participant au sommet mondial.
La Conférence des parties sur la biodiversité réunit tous les deux ans les États signataires, en théorie les 196 membres des Nations unies. Elle suit un but : protéger, restaurer et utiliser de manière durable la biodiversité à l’échelle internationale. Cette édition, la première depuis l’adoption du Cadre mondial pour la biodiversité en 2022, aura notamment la charge d’examiner les plans d’actions de chaque État sur la protection de la nature et l’inversion de la perte de biodiversité, et leur mise en œuvre.
Seules 31 stratégies nationales reçues
Ces stratégies nationales de préservation de la biodiversité (NBSAP) doivent être alignées sur les mesures de l’accord adopté lors de la COP15 à Montréal en 2022, baptisé Cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal. Elles constituent les instruments nationaux de réponse aux menaces qui pèsent sur la diversité biologique. Parmi les 23 mesures du Cadre figure la protection d’au moins 30 % des terres et des mers d’ici à 2030.
Un objectif « trop flou » pour Swann Bommier, chargé de plaidoyer de l’association Bloom, consacrée à la protection des océans, qui déplore que l’accord de 2022 n’explique pas concrètement comment déployer cette mesure sur le terrain. « C’est facile de s’engager à protéger 30 % des aires maritimes si l’on ne précise pas ce qu’elles représentent », s’indigne-t-il. Il attend de la COP16 une « traduction des grands discours et objectifs très vagues en mesures concrètes et contraignantes pour mettre fin à la destruction de la biodiversité ».
À l’heure actuelle, seuls 31 pays, dont la France, ont remis leur stratégie actualisée. Au moins 100 pays ont en revanche transmis leurs cibles, qui correspondent à des engagements pour s’aligner avec les 23 cibles du Cadre mondial. Un document moins conséquent, qui est demandé aux pays qui n’ont pas terminé d’élaborer leur stratégie. Le WWF s’est dit inquiet du manque d’ambition des quelques stratégies nationales reçues face à l’urgence. Son dernier rapport révèle que les populations mondiales d’espèces sauvages ont diminué en moyenne de 73 % au cours des cinquante dernières années.
La Colombie aura donc la charge du passage des mots à l’action. La véritable initiatrice de la COP16, la ministre colombienne de l’Environnement Susana Muhamad, assure que Cali ne sera pas un moyen de « continuer à négocier des engagements », mais bien de « les mettre en œuvre ». En tant qu’organisatrice et partie, la Colombie aura une mission aussi politique que climatique : prouver au monde et à ses citoyens qu’elle est capable d’organiser un événement d’ampleur malgré un contexte sécuritaire encore très fragile — des groupes armés continuent de sévir dans le pays, et les négociations de paix sont à la peine. Mais aussi démontrer qu’elle peut incarner ce leadership en matière d’environnement et de biodiversité pour parvenir à récolter des fonds — une question qui fera également partie des négociations.
La voix de la Colombie pèsera aussi en raison de son statut de pays « mégadivers », terme désignant les pays qui abritent l’écrasante majorité de la biodiversité de la planète. Dix-sept États, dont l’Indonésie, la Chine, l’Australie, Madagascar ou encore le Brésil, en font partie.
Mais ces pays battent aussi le triste record des plus meurtriers pour les défenseurs de l’environnement, la Colombie en tête, avec 79 meurtres enregistrés en 2023. Depuis 2012, date à laquelle Global Witness a commencé à documenter ces cas, 461 Colombiens ont perdu la vie. L’Amérique latine est de loin la région la plus meurtrière. Sur les 196 cas documentés en 2023 dans le monde, 85 % se trouvaient dans la région. Parmi les pays ayant commis le plus de meurtres cette année-là, cinq se trouvent en Amérique latine : la Colombie, le Brésil, le Honduras, le Mexique et le Nicaragua.
La Colombie veut se faire une place
Quatrième pays le plus riche en biodiversité selon le rapport 2023 du Système national de données ouvertes sur la biodiversité (SIB), et le plus diversifié en matière d’espèces d’oiseaux, d’orchidées et de papillons, la Colombie fait logiquement partie des pays les plus menacés quant à la sauvegarde de cette dernière. « Elle veut se faire entendre en tant que délégation et s’assurer que la communauté internationale perçoive clairement l’urgence d’enrayer la perte de biodiversité », explique Sandra Vilardy, biologiste marine et environnementaliste à l’université de los Andes et ancienne vice-ministre de la Politique environnementale de Colombie.
À l’échelle nationale, la politique environnementale menée depuis deux ans par le président Gustavo Petro semble aller dans le bon sens. La Colombie est devenue le premier pays d’Amérique latine à adhérer au traité de non-prolifération des combustibles fossiles, lors de la COP28 à Dubaï, en décembre 2023. Et le gouvernement a placé la transition écologique au centre de son programme, notamment à travers un futur plan de relance économique qui prévoit le soutien à une économie plus verte et la décarbonation de cette dernière. « L’écologie politique et la justice environnementale sont les éléments les plus sérieux de la conversation diplomatique de la Colombie au cours des deux dernières années », ajoute Sandra Vilardy.
Mais si le pays s’affiche en élève modèle de la préservation de la biodiversité, il fait aussi partie des États qui n’ont pas encore remis leur stratégie de conservation. Selon le ministère de l’Environnement, elle sera présentée lors du coup d’envoi du sommet, le 21 octobre.
Depuis un an, il mène dans ce cadre des discussions auprès de la société colombienne. Peuples autochtones, afrodescendants, communautés noires, paysans mais aussi associations de femmes et de jeunes sont consultés afin d’ériger sa stratégie nationale pour la biodiversité. Un moyen de remplir un autre de ses engagements : la mise en lumière de l’importance des savoirs des peuples autochtones, qui représentent 6 % de la population mondiale, dans la lutte contre la perte de biodiversité. Les forêts protégées par ces peuples captent deux fois plus de carbone, selon le World Resources Institute (WRI).
Le pays a un rôle « fondamental » à jouer à ce sujet, selon Javier Revelo-Rebolledo, professeur de sciences politiques et codirecteur du groupe d’étude forêt et conflit de l’université del Rosario, mais les opposants à la tenue de la COP sont nombreux, notamment parce qu’ils s’en sentent exclus. Dans ce contexte, des organisations de protection de l’environnement opposées à la « marchandisation transnationale de la diversité biologique » organisent une COP alternative à Cali les 26 et 27 octobre, en marge du sommet international.
Plus conventionnelle, la partie ouverte au public de la COP16, la zone verte, sera pour sa part accessible tout au long de l’événement. La ministre de l’Environnement répétant à l’envi que cette COP est « celle du peuple », qui doit « prendre conscience de la richesse naturelle de son pays ». La zone sera composée de stands d’ONG et du secteur privé, dont la participation atteint des niveaux « historiques » selon la présidence. 140 délégations et 18 000 personnes sont par ailleurs accréditées dans la zone bleue, l’espace officiel de négociation.
Le continent latino-américain en première ligne
Concernant les personnalités politiques attendues, la ministre de l’Environnement colombienne s’est félicitée d’une édition qui battait également tous les records de participation. À ce jour, 14 chefs d’État, dont ceux du Brésil, du Panama, du Mexique et du Ghana et plus de 100 ministres de l’Environnement ont confirmé leur participation. Une première, puisqu’aucun chef d’État ne s’est rendu à une COP biodiversité auparavant.
Une présence qui « confirme l’importance qu’accordent les pays d’Amérique latine et les pays en développement à ce sommet », autrement dit ceux qui regroupent la majorité de la biodiversité mondiale, selon Juliette Landry, chercheuse à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). « Mais sûrement un peu moins [vrai] pour les pays développés », qui sont aussi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre.
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