Dans un univers des relations internationales dopé à la testostérone, la ministre des affaires étrangères allemande, Mme Annalena Baerbock, entre en fonctions en 2021 armée d’une doctrine détonante : la « diplomatie féministe », « pan essentiel de notre politique étrangère guidée par des valeurs ». Il s’agit, détaille un document du ministère, de « cultiver un “réflexe féministe” », de se soucier « des risques sexospécifiques et des vulnérabilités intersectionnelles », de mettre en œuvre « le “programme pour les femmes, la paix et la sécurité” des Nations unies », de « créer des espaces protégés » (1). Avec le bombardement systématique par l’armée israélienne des écoles et des hôpitaux de Gaza, terre où l’on compte parmi les victimes une majorité de femmes et d’enfants, Mme Baerbock tenait l’occasion de mettre en pratique la « diplomatie féministe ».
Le 10 octobre dernier, dans son discours prononcé au Bundestag un an après les massacres commis par le Hamas en Israël, la ministre n’a pas soufflé mot du sort des Palestiniens. Elle a en revanche développé une interprétation très personnelle du droit international. « La légitime défense signifie bien sûr que l’on ne se contente pas d’attaquer les terroristes, mais qu’on les détruit. C’est pourquoi j’ai été si catégorique : lorsque les terroristes du Hamas s’abritent parmi les populations ou se cachent dans les écoles, nous entrons dans des zones très délicates ; mais nous ne nous dérobons pas. C’est pourquoi j’ai dit clairement aux Nations unies que même les lieux civils peuvent perdre leur statut de protection car les terroristes en abusent. C’est la position de l’Allemagne, c’est ce que signifie pour nous la sécurité d’Israël. »
Spécialiste du droit international, Mme Baerbock confond délibérément l’exception et la règle. Car, si le recours à des « boucliers humains » peut transformer une infrastructure civile en objectif militaire légitime, il ne peut s’agir que d’une exception ponctuelle au principe général de protection des civils. Une dérogation conditionnée à la nécessité (impossibilité d’agir autrement) et à la proportionnalité (moyens adaptés aux buts). La destruction systématique de centres de soins, d’établissements scolaires ou culturels, de camps de réfugiés à l’aide de bombes lourdes qui provoquent immanquablement un grand nombre de victimes sort à l’évidence de ce cadre. En outre, affronter un ennemi sans foi ni loi ne délivre aucunement un État de son obligation d’épargner les civils, car « la valeur de vies innocentes ne peut être amoindrie par les actions injustes commises par un tiers (2) ». Le nombre particulièrement élevé d’enfants parmi les dizaines de milliers de morts signe le renversement total des lois de la guerre adoptées après 1945.
Au début de l’année 2024, la ministre écologiste avait déjà surpris ses camarades Verts en donnant son accord à la livraison de chasseurs-bombardiers Eurofighter à un pays très à la pointe en matière de droit des femmes, l’Arabie saoudite, au motif que la monarchie avait contribué à protéger Israël des missiles lancés par les houthistes du Yémen.