Reporterre part à la COP29 en Azerbaïdjan, en train ! Le sommet mondial pour le climat s’y tient du 11 au 22 novembre. Pour y aller sans exploser son empreinte carbone, notre journaliste Emmanuel Clévenot a entrepris un voyage ferroviaire de 9 jours, traversant 8 pays. Dans ce carnet de voyage, il nous raconte ses aventures et ses rencontres.
La tête encapuchonnée dans une chapka, une enfant tire un cartable à roulettes ornés de motifs scintillants. Ses pieds minuscules foulant les dalles usées, elle agrippe d’une poignée frêle la rambarde au métal lisse et glacé, puis disparaît dans le géant de fer. Une fois par jour, au crépuscule, le Doğu Ekspresi quitte l’ancienne gare d’Ankara pour une interminable traversée de la Turquie, d’ouest en est. Pour la modique somme de 400 livres turques, équivalente à une douzaine d’euros, « l’Express de l’est » conduit ses passagers sur 1 365 kilomètres, à travers sept provinces, direction Kars.
Le décor est bien plus austère que celui de l’Orient-Express, dans lequel Agatha Christie a façonné le rôle d’Hercule Poirot. Au Railway Cafe, le wagon-restaurant, un cuistot au crâne dégarni dévisage quiconque oserait s’asseoir sans consommer. Jonathan, un étudiant écossais, partage mon compartiment. Je peine à comprendre son accent et l’invite à parler plus lentement. Mike, lui, a grimpé à bord vers 1 heure du matin. Les cris du chef de bord, Youssouf, annonçant l’arrêt « Kayseri », m’ont arraché un instant aux bras de Morphée. Puis, imaginant les cheminées de fées et les maisons troglodytes du Cappadoce, que nous traversons dans l’obscurité, j’ai sombré jusqu’au lendemain.
« Apocalypse »
Un bandana aux motifs énigmatiques aiguillant une chevelure indisciplinée. Des chaussures portant les stigmates d’un vagabondage incessant. Et un collier de perles en bois, accroché autour du cou. Non, Mike n’a pas l’apparence du « fireman » (pompier) des séries américaines. De la mi-mars à la mi-octobre, ce canadien d’Ontario affronte pourtant ces mégafeux dont le dôme de fumée inonde parfois le ciel new-yorkais. Habitées par ses récits, ses mains robustes et calleuses s’agitent dans le petit compartiment. Son timbre râpeux conte les dizaines de jours sans nouvelle de sa mère faute de réseau cellulaire, les mariages et les enterrements qu’il n’a pu honorer. Et puis, la fois où la mort l’a frôlé de son aile.
Ce jour-là, les flammes hurlant comme une bête enragée avaient métamorphosé le ciel en une toile de suie opaque. Chargé du commandement, Mike courait d’un front à l’autre de l’incendie de forêt pour communiquer les ordres à ses collègues. « J’ai mal anticipé la vitesse à laquelle avançait le brasier. On aurait dit un train roulant droit sur moi. » Avant que ne se ferme le piège, le pompier jeta un coup d’œil à son GPS et décela un refuge rocailleux à 300 m de sa position : « Ça paraît peu mais ça a été un marathon. J’ai couru… et puis plus rien. Je me suis évanoui. » Évacué en hélicoptère, Mike s’en sortit indemne. Pas comme deux homologues d’une autre province, morts en 2023, ajoute-t-il.
Dehors, les hameaux nichés au cœur de reliefs torturés, aux mille nuances d’ocre, sont à présent dans notre dos. L’Anatolie orientale dévoile désormais ces vastes plaines et ces monts couverts d’un duvet blanc. L’Arménie n’est pas loin. « Beaucoup de personnes prétendent que le changement climatique n’est qu’une fable, poursuit le chef d’équipe. Qu’ils fassent mon job. » Il décrit aussi « l’apocalypse » des incendies de 2017, en Colombie-Britannique. Les militaires dépêchés là-bas lui confièrent ne jamais avoir été confronté à pareil brasier. Seulement, poursuit-il, le nombre inédit d’hectares brûlés fût battu dès 2018. Bis repetita en 2021 et en 2023. « Cette année-là, le record a été écrasé dès juin, avant même que ne commence l’habituelle saison des feux. Cette succession en dit long sur le climat. »
Croquant un morceau de bretzel, il sourit : « Au moins… j’ai la sécurité de l’emploi. » Et d’un éclat de rire, Jonathan, mon voisin de compartiment, rétorque : « Alors ne vient pas en Écosse… Non seulement il n’y a pas de feux de forêt, mais il n’y a pas de forêt tout court. » Youssouf toque à la porte pour nous avertir de l’arrivée imminente. Le Doğu Ekspresi roule depuis près de 28 h 30. Et enfin, la lueur de Kars apparaît dans la nuit.
Les étapes du voyage jusqu’en Azerbaïdjan :
- 1er novembre : Paris – Stuttgart (Allemagne)
- 2 novembre : Stuttgart – Vienne (Autriche)
- 3 novembre : Vienne – Bucarest (Roumanie)
- 4 novembre : Bucarest – Dimitrovgrad (Bulgarie)
- 5 novembre : Dimitrovgrad – Istanbul (Turquie)
- 6 novembre : Istanbul – Ankara (Turquie)
- 7 novembre : Ankara – Kars (Turquie)
- 8 novembre : Kars – Tbilissi (Géorgie)
- 9 novembre : Tbilissi – Bakou (Azerbaïdjan)
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