• mar. Nov 12th, 2024

l’opposition de façade d’Emmanuel Macron


Un accord « très mauvais » et « pas acceptable en l’état ». Depuis 2019, Emmanuel Macron répète à l’envi son opposition au traité de libre échange entre l’Union européenne et le marché commun sud-américain du Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay et Bolivie). Il avait affirmé l’avoir « bloqué » en février dernier en pleine colère des agriculteurs — colère en train de se raviver à cause de la suspension des promesses du gouvernement et des négociations avec le Mercosur. En réalité, il n’en a rien été.

Les négociations sur ce traité qui prévoit de supprimer 90 % des droits de douane entre les deux zones ne se sont jamais arrêtées. Quoique décrié par la société civile, les agriculteurs et la majorité de la classe politique en France car mortifère à la fois pour le climat, les droits humains, la biodiversité, et les intérêts présumés des agriculteurs nationaux, l’accord est soutenu par la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen. Le texte pourrait ainsi être signé d’ici la fin de l’année voir peut-être plus tôt, lors du G20 à Rio de Janeiro les 18 et 19 novembre.

Surtout, le refus du président de la République ne serait qu’un discours de façade : « La position d’Emmanuel Macron consiste à dire non à Paris mais ne rien faire à Bruxelles au sein des institutions européennes », affirme Maxime Combes, économiste co-animateur du collectif Stop Mercosur et en charge des politiques de commerce et de relocalisation à l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs. Le chef de l’état disposait pourtant de plusieurs leviers d’action pour mettre en pratique sa parole.

1- Modifier le mandat de la Commission européenne

Maxime Combes rappelle que « la Commission européenne a le droit de négocier l’accord de libre échange avec le Mercosur au nom des États membres ». Depuis 1999, elle dispose d’un mandat de négociation que les 27 lui ont confié. Celui-ci ne comporte aucun objectif de lutte contre le dérèglement climatique, de protection de la forêt ou de la biodiversité.

Or, « Emmanuel Macron n’a jamais exigé ni de modifier le contenu de ce mandat, ni de le lui retirer, explique l’économiste. C’est pourquoi la Commission refuse de rouvrir les négociations sur le contenu de l’accord. » Ce que le collectif Stop Mercosur demande, c’est que la France modifie le contenu de ce mandat. « Cela permettrait d’avoir un grand débat sur la politique économique européenne. »

2 – Rouvrir la négociation sur le contenu de l’accord

En 2020, le chef de l’État a assuré qu’il ne soutiendrait l’accord que si celui-ci ne provoquait pas « d’augmentation de la déforestation », si les pays du Mercosur respectaient « leurs engagements au titre de l’Accord de Paris » et si « les produits agroalimentaires importés respectaient les normes sanitaires et environnementales de l’UE ». Mais Emmanuel Macron n’a rien fait pour modifier le texte ni l’enterrer, constate Maxime Combes : « Les différents ministres délégués au commerce extérieur, Franck Riester puis Olivier Becht, ont déclaré qu’il ne fallait pas mettre à la poubelle le résultat de 20 ans de négociations. En 2023, Olivier Becht avait dit vouloir se donner du temps pour finaliser l’accord, en précisant qu’il fallait évidemment conclure. »

En réalité, l’accord est finalisé depuis 2019. Pourquoi tant de temps est passé ? Car « l’élection de Jair Bolsonaro au Brésil a tout gelé et depuis que Lula a été réélu à la tête du pays en 2022, la donne a changé », résume Maxime Combes. La Commission européenne et les lobbys des industriels ont vu dans le retour de Lula une « fenêtre d’opportunité » pour finaliser l’accord.

Puisque le contenu de l’accord est le même depuis 2019, pourquoi y a-t-il eu de nouvelles sessions de négociations en septembre et octobre ? « Pour apaiser les critiques, la Commission européenne et ses homologues du Mercosur ont commencé à travailler sur une annexe à l’accord, une sorte de document joint, répond Maximes Combes. Le problème c’est que personne ne sait ce qu’il contient, la Commission européenne a refusé de le rendre public. » Ce lundi 11 novembre, l’exécutif européen va enfin rendre compte de l’état des négociations au groupe de suivi de la commission du commerce international du Parlement européen.

3 – Organiser une minorité de blocage

La France peut-elle s’opposer à l’accord ? Oui, une fois les négociations finalisées lorsque le texte sera présenté devant le Parlement européen, il faudra l’unanimité des États membres, chacun disposant d’un droit de veto. « Sauf que la Commission européenne pourrait contourner l’opposition de plusieurs États membres grâce au “splitting” », alerte Maxime Combes. Cette manœuvre consiste à découpler le volet commercial de l’accord avec le Mercosur du reste des sujets (migration, recherche, éducation, cybercriminalité…). « Dans ce cas, plus de veto, la partie commerciale serait adoptée par la majorité qualifiée », soit 55 % des États membres représentant au moins 65 % de la population de l’UE.

Afin de contrer cette majorité, le collectif Stop Mercosur appelle à construire une minorité de blocage. Pour l’atteindre, il faut au moins quatre États membres du Conseil, représentant plus de 35 % de la population de l’Union européenne. Alors que plusieurs États membres comme l’Autriche, les Pays-Bas, la Pologne sont opposés ou réticents à l’accord, « Emmanuel Macron n’a pas été les voir pour s’organiser, déplore Maxime Combes. Il a beau être affaibli politiquement depuis l’échec de sa dissolution, la France reste la deuxième économie européenne et peut rassembler d’autres États. »

Pour s’opposer à l’accord, une dernière option consisterait à saisir la Cour de justice de l’Union européenne sur la légalité du splitting, ajoute l’économiste : « Si la Commission y a déjà eu recours pour d’autres accords de libre-échange, aujourd’hui on ne peut plus se passer du vote des Parlements nationaux, cela renforcerait l’euroscepticisme ambiant. »

L’élection de Donald Trump peut aussi encourager les Européens à faire front. C’est-à-dire « se rassembler politiquement, protéger les agriculteurs et les industries, pas à l’inverse se rapprocher de l’agrobusiness brésilien en laissant faire les marchés ». Tandis qu’il ne reste que quelques jours, lundi 4 novembre, 200 députés, d’un arc allant des écologistes à LR, ont publié une tribune où ils appelaient l’exécutif à bloquer la conclusion de cet accord. Par ailleurs, mercredi 13 novembre, une dizaine d’organisations et de syndicats tels que les Amis de la Terre, Attac ou Greenpeace se rassembleront devant le ministère de l’Économie à Paris, à l’appel de la Confédération paysanne et du collectif Stop Mercosur.

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