• ven. Sep 20th, 2024

la pistache, le futur de l’agriculture


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Lauris (Vaucluse), reportage

D’un pas alerte, Aurélien Le Tellier parcourt les rangées de jeunes arbres, qui le dépassent à peine. Ils ont une allure inhabituelle, dans ce Lubéron où l’on cultive plutôt la vigne, l’olive, les cerises. Il se dirige vers l’un d’eux, chargé de grappes. Les petits fruits vert clair, certains commençant à tendre vers le rouge, sont fermes et pointent vers le ciel. Ils s’épanouissent parmi les feuilles épaisses, ovales, presque rondes telles de grosses pièces de monnaie. « Je ne m’attendais pas à en avoir dès cette année », se félicite l’agriculteur, qui cultive le Domaine de l’or vert. À la fin de l’été, il fera l’une des premières récoltes de pistaches françaises.

Pour l’instant, la France importe en effet la totalité des pistaches qu’elle consomme, à raison de 8 000 tonnes en 2022, selon les statistiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Elles viennent principalement des États-Unis, ainsi que d’Espagne, d’Italie, de Turquie, d’Iran. L’arbre est pourtant méditerranéen, et sa culture a existé en France. « Elle a disparu dans les années 1950 », raconte Jean-Louis Joseph, agriculteur et vice-président de l’association Pistache en Provence.

Il fait partie du petit groupe motivé qui s’est décidé à replanter des pistachiers en France. L’idée a été soufflée par un entrepreneur connu du sud de la France : Olivier Bossan, fondateur de la marque de cosmétiques L’Occitane et propriétaire du réseau de confiseries Le Roy René. « Il achetait ses pistaches en Californie, et il a demandé à un groupe d’agriculteurs de relancer la culture ici », explique Jean-Louis Joseph. Lui n’a pas tardé à répondre à la demande. Dès 2019, il plantait ses premiers pistachiers, dont il cultive aujourd’hui 5 hectares en bio à La Bastidonne, dans le Vaucluse.

Aurélien Le Tellier devant l’un de ses pistachiers.
© Maïté Baldi / Reporterre

Une dynamique qui s’est rapidement propagée dans ce département, puis au-delà. L’association Pistache en Provence estime qu’au moins 450 hectares de pistachiers ont déjà été plantés en France par une soixantaine d’agriculteurs. « On doit même atteindre les 600 hectares », renchérit Maxence Brenguier, salarié des Pépinières du soleil à Venasque, dans le Vaucluse, qui voit sans cesse augmenter le nombre de plants de pistachiers vendus.

La pépinière commence à produire ses propres pistachiers, mais fait surtout de la revente de plants importés. « Cette année, nous avons déjà 20 % de réservations en plus, par rapport à l’année dernière. Ça se développe sur tout le pourtour méditerranéen, même dans le sud Ardèche, dans la Drôme, le Gers. On a des essais dans quelques endroits improbables ; quelqu’un a planté 400 plants l’an dernier entre Paris et Lille », poursuit-il. Sa patronne, Georgia Lambertin, qui fait également partie de la poignée de pionniers, est allée chercher des variétés et plants de pistachiers à l’étranger.

Au moins 450 hectares de pistachiers auraient déjà été plantés en France.
© Maïté Baldi / Reporterre

Résistante à la sécheresse

Relancer la filière pistache en France est un pari auquel Aurélien Le Tellier n’a pas hésité à participer, dès sa rencontre avec ces pionniers. Il réajuste ses lunettes de soleil sur ses yeux bleus plissés par le soleil. Cela lui donne un air de sportif, correspondant à son tempérament fonceur. « Quand j’ai planté les arbres, je voulais être parmi les premiers. Je me suis dit, au pire, j’aurais reboisé 2 hectares dans le Lubéron, et au mieux, j’aurais contribué au retour de la pistache en Provence ! », dit-il en riant.

Finalement, ses pistachiers le lui ont bien rendu. L’arbre est connu pour mettre environ six ans à fructifier. Lui n’a eu à attendre que quatre ans, et espère faire cette année sa première petite récolte. Sur ses deux petites parcelles, le jeune agriculteur de 35 ans espère ramasser au moins 50 kilos. De quoi faire goûter aux potentiels futurs clients. Il prélève un fruit vert. « Vous voyez, la pistache se forme début avril et atteint assez rapidement sa taille finale », montre-t-il avant de l’ouvrir. En ce début juillet, la coque n’a pas encore fini de durcir. « À l’intérieur, la pistache est encore petite, elle est dans sa phase de croissance. » Le fruit est mûr quand la bogue devient rouge.

Dans quelques années, les arbres seront en pleine production. « À terme, si j’arrive à produire 1 tonne à l’hectare, au prix de la pistache, ce sera rentable », espère-t-il. Nos différents interlocuteurs affirment que l’an dernier, les premières pistaches françaises se sont vendues 50 euros le kilo, aux pâtissiers et aux restaurateurs haut de gamme notamment.

À l’intérieur de la bogue, le fruit n’est pas encore développé.
© Maïté Baldi / Reporterre

Pour Aurélien, la pistache n’est pas qu’un challenge amusant, c’est aussi un projet nécessaire alors que les crises économiques et climatiques s’abattent sur l’agriculture. Il est déjà vigneron, et cultive quelques oliviers en complément. « Les vignes souffrent, certaines récoltes morflent. On galère à vendre le vin, les gens consomment moins. On a aussi de moins en moins d’olives », observe-t-il. La pistache pourrait donc lui apporter d’ici quelques années un revenu complémentaire non négligeable.

« Et puis, c’est l’une des bonnes cultures face au changement climatique », poursuit-il. Une de ses qualités est sa résistance à la sécheresse. « Le pistachier aime les terres drainantes et déteste l’excès d’eau, sinon il souffre d’asphyxie racinaire. Les pistachiers sauvages poussent dans la garrigue entre deux cailloux. » Son verger, contrairement à d’autres, n’est pas irrigué. Un choix dont il se félicite aujourd’hui. « J’ai remarqué que le pistachier pousse quand il fait chaud et sec. D’ailleurs, j’ai un voisin qui irrigue ses arbres et ils sont moins développés alors qu’on a planté en même temps ! » Pour preuve, il désigne un arbre plein de nouvelles pousses aux feuilles encore orangées.

Sur ses parcelles, Aurélien Le Tellier espère ramasser au moins 50 kilos de pistaches.
© Maïté Baldi / Reporterre

« Avec le changement climatique, on ne peut plus rien prévoir, il ne faut pas avoir tous ses œufs dans le même panier : c’est ce que je dis aux agriculteurs », approuve Nicolas Vaysse, conseiller technique à la chambre d’agriculture du Vaucluse, notamment en charge d’accompagner les agriculteurs se lançant dans la pistache. Un « itinéraire technique » a été défini. Il se félicite qu’à l’inverse de la Californie ou de l’Espagne, en monoculture intensive, la France se tourne plutôt vers une culture agroécologique.

Peu de pesticides, moins de carburant

Le pistachier est rustique et s’y prête bien. 30 % des producteurs qui se sont lancés sont d’ailleurs en bio, nous informe l’association Pistache en Provence. « Il a juste deux impasses : il n’aime pas les sols qui retiennent l’eau, et a besoin de vent pour la pollinisation », souligne le technicien.

Ensuite, outre son faible besoin en eau, « il y a très peu de ravageurs, donc on utilise très peu d’intrants [de pesticides] », et tailler l’arbre fruitier n’est « pas très compliqué ». Une facilité qu’a bien remarquée Aurélien Le Tellier, déjà très occupé par son métier. « Le temps de travail est beaucoup moins important que sur la vigne. Cela consomme aussi moins de carburant ! » Il admet avoir juste oublié un détail important, en choisissant ce fruitier : « La récolte est pile au moment des vendanges… »

Il se penche de nouveau vers un arbre et compte les bourgeons, distinguant ceux « à bois » qui feront les futures branches et ceux « à fruits », qui permettent de prédire la récolte de l’an prochain. Ces derniers sont abondants. Dans les années qui viennent, les jeunes vergers français donneront des productions conséquentes. Une fois ramassée, la pistache doit être écalée — par-dessus sa coque dure, il y a une bogue — et séchée dans les 48 heures. Quand elle est vendue pour la pâtisserie ou la cuisine, il faut la débarrasser de sa coque, la casser.

Le champ de pistachiers d’Aurélien Le Tellier, de la variété Egine, une pistache grecque originaire de l’île du même nom.
© Maïté Baldi / Reporterre

L’association Pistache en Provence, toujours un coup d’avance, commence donc à penser toute la filière. « On a des projets de casserie en discussion avec nos collègues de l’amande, car le matériel peut s’adapter aux deux fruits », observe son vice-président Jean-Louis Joseph. Pour la vente, « on se dirige plutôt vers un marché très qualitatif », observe Nicolas Vaysse, de la chambre d’agriculture du Vaucluse. « On voudrait monter une IGP [indication géographique protégée] pour se démarquer. »

Beaucoup de projets alors que pour l’instant, les plants d’Aurélien Le Tellier peinent encore à nous protéger du soleil. Cela ne l’empêche pas de voir loin. « Quand je les ai plantés, je me suis dit qu’un jour, avec mes petits-enfants, je viendrai me poser à leur ombre », se réjouit-il.

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