• ven. Sep 20th, 2024

Trop de touristes ? L’Île-de-Bréhat instaure un quota


Île-de-Bréhat (Côtes-d’Armor), reportage

Polo A.S.V.P, pour agent de surveillance de la voie publique, sur le dos, compteur dans une main, porte-bloc et stylo dans l’autre, Abby-Gaëlle se tient immobile au milieu de la cale numéro 3 de l’Île-de-Bréhat (Côtes-d’Armor). Tout autour d’elle défilent les passagers qui viennent de débarquer. 498, 499, 500… La jeune femme dénombre les visiteurs posant le pied à terre. 11 heures viennent de sonner ce mercredi estival et « rien qu’avec ce bateau et ses 245 passagers, on monte à 500 visiteurs sur l’île depuis ce matin », dit-elle. « 500, c’est déjà pas mal, surtout par rapport aux jours précédents où il faisait moins beau. »

Surnommée parfois l’« île aux fleurs » et abritant le Conservatoire national de l’agapanthe, une plante à fleurs mauve originaire d’Afrique du Sud, l’Île-de-Bréhat, située au nord de Paimpol et accessible en à peine dix minutes de bateau depuis le continent, tente de limiter pour le deuxième été d’affilée le nombre de visiteurs sur son territoire. Lieu de villégiature pour privilégiés – le prix des maisons aux pierres apparentes et jardins emmurés dépasse facilement le million d’euros –, Bréhat et ses 3 km2 de granit rose voient déjà leur population décupler l’été, passant de 400 habitants à l’année à 4 000 en comptant les résidents secondaires. Auxquels s’ajoutent les visiteurs à la journée, qui ont pu être jusqu’à 6 000, comme en 2021 à la sortie du Covid.

L’agapanthe, la fleur emblématique de Bréhat. L’île abrite également le conservatoire national de l’agapanthe.

Les oiseaux dérangés alors qu’ils nichent

À l’instar d’autres hauts lieux touristiques, comme Venise, qui ont pris des mesures pour réguler la surfréquentation touristique et ainsi limiter les dégradations qu’elle provoque, Olivier Carré, le maire de Bréhat, a émis un arrêté municipal pour limiter le nombre de visiteurs quotidiens à 4 700. Effectif depuis lundi 22 juillet, seulement les jours de la semaine de 8 h 30 à 14 h 30, cet arrêté prendra fin un mois plus tard. L’arrêté stipule que « cette mesure vise à la fois à préserver et protéger le patrimoine naturel fragile exceptionnel de l’île, et à améliorer l’expérience visiteur ». Le site de Bréhat fait partie du premier site naturel classé de France, classification datant de 1907.

Michelle, Claudine, Frédéric et Bernard, venus du Finistère, profitent de la vue à Bréhat.

En ce jour de juillet, malgré les rues fleuries d’agapanthes, d’hortensias et de roses trémières, le flux des visiteurs rappelle celui de n’importe quel lieu touristique. Cycliste ou piéton, il faut parfois mettre le pied à terre ou se serrer contre un mur pour céder le passage dans les ruelles. Même chose lorsqu’un tracteur tente de se frayer un chemin sur les petites voies bréhatines. L’île n’a aucun véhicule à moteur hormis ces engins agricoles, le petit train — aussi appelé Taxîle — et des véhicules de service de la mairie. « La flore ici est surpiétinée et des gens font de la cueillette de plantes sauvages. Côté faune, ce sont surtout les oiseaux qui sont dérangés. Certains, comme les gravelots, nichent pendant l’été », détaille Thierry Amor, chargé de projet pour Bretagne vivante à Ploubazlanec, ville où se trouve l’embarcadère pour Bréhat. Or, s’ils sont dérangés, les oiseaux abandonnent leurs œufs.

Ville de villégiature, l’île-de-Bréhat compte 400 habitants à l’année, et 4 000 l’été avec les résidents secondaires.

Midi sonne et si le flux de passants n’est pas mince, la jauge de 4 700 visiteurs est pourtant loin d’être atteinte — au total, d’après les vedettes de Bréhat, environ 3 500 visiteurs s’étaient rendus sur l’île le jour de notre reportage. Véronique et Michel, casquette sur la tête et sac de rando sur le dos, vont tout de même devoir revoir leur programme. « On a fait les quatre magasins de location de vélo, tout est déjà pris. Et le petit train est complet pour aller au phare », regrette le couple alsacien en vacances dans les Côtes-d’Armor avec leurs trois enfants. La grande majorité des visiteurs à la journée de Bréhat suivent le chemin indiqué par la signalétique de la ville à destination des touristes, menant de l’embarcadère jusqu’au fameux phare du Paon au nord, en passant par le bourg. « C’est le chemin le plus fréquenté », confirme Abby-Gaëlle.

« Le quota n’a aucun effet »

Pour Vony, maraîchère bio qui fait l’essentiel de son chiffre l’été avec les résidents secondaires et les touristes : « Le quota est une bonne chose même s’il n’a aucun effet : le seuil de 4 700 visiteurs reste élevé. Quand il y a trop de monde, les touristes ne profitent pas pleinement de l’île. » Juliette, saisonnière chez Vony, s’étonne d’être « observée pendant qu’on travaille. On a l’impression de faire partie de l’attraction touristique parfois, alors qu’on est simplement en train de désherber des carottes ».

Le fameux phare du Paon, visité par la grande majorité des touristes qui viennent sur l’île le temps d’une journée.

Sur la place du bourg, dans la partie sud de l’île qui est aussi la plus urbanisée, se concentrent les commerces. Si le quota fait grincer des dents, c’est surtout la médiatisation autour de celui-ci qui n’est pas vue d’un bon œil. « Ça nous fait une mauvaise pub. C’est bien pour l’environnement mais ça freine les gens, alors qu’on attend déjà 40 % de moins en consommation et en restauration en France cet été avec l’inflation et la météo », déplore cette commerçante qui, comme les autres travailleurs de la filière interrogés, a voulu garder l’anonymat. Un vendeur assure : « Le quota ne sert à rien, celui-ci n’a été dépassé que trois fois l’an dernier. Mais le bruit fait autour dissuade les gens », dit-il.

Ce quota est « mieux que rien »

« Cette année, il n’y a personne par rapport aux années précédentes », dit Jean-Marc, résident secondaire « depuis toujours », venu à Bréhat pour profiter de sa famille – ils sont une quarantaine réunis dans leur maison située sur le long de la route menant au phare. « Pour nous, Bréhat a toujours été comme ça, remplie de monde l’été. »

« Il y a globalement moins de touristes dans la région », constate Thierry Amor, de Bretagne vivante. « On a un gîte sur notre réserve et celui-ci est peu loué cette année. » Il évoque la météo mitigée de cet été et de l’été précédent, mais aussi l’inflation. « La restauration est plus chère que sur le continent. Entre l’hébergement et les transports, les gens font attention aux extras », affirme-t-il. Pour lui, « ce quota, c’est mieux que rien. [Même si] le chiffre de 4 700, basé sur le nombre maximal de visiteurs atteint pendant l’été 2022, est élevé ». Le chargé de projet insiste également sur le fait « que l’économie de Bréhat n’est pas basée sur le tourisme. Les trois quarts des commerçants vivent sur le continent. Ils font leur chiffre d’affaires deux mois dans l’année. L’hiver, Bréhat est un no man’s land. L’île est riche de par ses résidences secondaires ».

« Il y a globalement moins de touristes dans la région »

Pour Rémy Knafou, géographe, professeur émérite à la Sorbonne et auteur de Réinventer le tourisme — Sauver nos vacances sans détruire le monde (éd. Faubourg, 2023), le quota mis en place à Bréhat « est une mesure contradictoire. D’un côté, les commerçants ont besoin de tourisme pour faire leur chiffre, et les lieux comme Bréhat sont faits pour être saturés de monde. De l’autre, ce quota est mis en place pour celles et ceux qui cherchent la tranquillité ». D’après un article de France Bleu, la mairie a effectué en 2022 un sondage auprès de 272 résidents à l’année sur l’hyperfréquentation de l’île, et 84 % d’entre eux s’étaient dits favorables à une limitation des arrivées.

Les visiteurs de Bréhat se déplacent à pied, à vélo ou grâce à un petit train.

Pour le chercheur, ce quota apparaît cependant moins discriminant « que la décision prise par Venise de rendre son entrée payante ». « Soit on augmente le prix du parking sur le continent ou celui des vedettes [le parking coûte environ 7 euros la journée et la vedette 11,60], entraînant un tourisme réservé aux nantis qui n’est pas souhaitable », estime Thierry Amor, « soit on baisse la jauge des visiteurs à 4 000, voire à 3 000. Il faut aussi que les gens, sans enfants par exemple, essaient de venir plus tôt dans la saison à Bréhat ou bien en septembre ».

Profitant d’une pause sur l’herbe moelleuse, non loin du phare du Paon, avec vue sur La Manche et les rochers de granit rose, Frédéric, Bernard, Michelle et Claudine, Finistériens venus en vacances dans les Côtes-d’Armor, font partie de ces visiteurs à avoir fait le choix du casse-croûte « de peur de devoir attendre pour se restaurer. On ne vient qu’ici qu’une journée, on veut pouvoir en profiter », explique Michelle. « Une fois sur l’île, le flux de passants n’est pas trop dérangeant même s’il y a du monde, c’est vrai. Si on avait eu le choix, on ne serait pas venus ici en plein été », dit Bernard.

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