• sam. Sep 21st, 2024

des températures extrêmes… qui seront pires à l’avenir


Plus de 40 °C enregistrés dimanche 11 août dans le sud-ouest de la France, puis jusqu’à 39 °C dans le nord du pays lundi selon Météo-France : la France métropolitaine vient de traverser une brève mais intense vague de chaleur, la deuxième de l’été 2024. L’évènement, pourtant, n’impressionne plus grand monde. C’est à peine si les médias en ont parlé et plus personne ne s’étonne d’être, année après année, accablé par un soleil caniculaire.

Cette manière de nous acclimater à une situation de plus en plus dégradée par le changement climatique illustre parfaitement ce que le psychologue étasunien Peter H. Kahn nomme « l’amnésie environnementale ». Notre référence glisse progressivement, de sorte que nous ne sommes guère choqués de voir le thermomètre grimper dans le rouge. Un Français vivant dans les années 1950, ou même dans les années 1990, serait, lui, abasourdi par ces enchaînements d’années à plus de 40 °C, température qu’il n’avait quasiment aucune chance de connaître en métropole à son époque.

« Cinq occurrences seulement ont été mesurées en 1951 et 1980 », indique Météo-France à partir des relevés des 120 stations météo de son réseau principal. Après quoi, les relevés à plus de 40 °C n’ont fait que s’accélérer : 27 dépassements entre 1981 et 2000, 205 dépassements entre 2001 et 2020 (dont 88 pendant la canicule de 2003) et 73 dépassements pour les seules années 2021 à 2023.

Dépassements des 40 °C.
© Stéphane Jungers / Reporterre

Cette augmentation des vagues de chaleur, en fréquence comme en intensité, est évidemment causée par le changement climatique. Le dernier jeu de données Drias 2020 (une évaluation scientifique des conditions climatiques de la France au XXIe siècle ayant mis à contribution les principaux laboratoires climatiques du pays) souligne également comment les choses risquent d’empirer avec l’aggravation du réchauffement global.

Dans sa version mise à jour, le rapport Drias 2020 prévoit pour le scénario d’émission médian de gaz à effet de serre — la tendance que nous suivons actuellement — une forte augmentation du nombre de journées caniculaires, comprises comme celle atteignant au moins 35 °C. Par rapport à la période de référence 1976-2005, la France pourrait connaître 9 journées caniculaires supplémentaires en moyenne par an, et jusqu’à 36 en estimation haute.

Les projections indiquent également une forte augmentation du nombre de nuits « tropicales », lors desquelles la température ne redescend pas en dessous des 20 °C. On pourrait en subir 24 de plus par an en moyenne en fin de siècle en France métropolitaine, voire 74 en estimation haute dans le scénario de réchauffement médian.

Les chaleurs de 2022 seront bientôt la norme

Ces estimations prennent en compte les plus récentes modélisations climatiques françaises, qui ont revu à la hausse le réchauffement que risque de subir l’Hexagone : dans le scénario médian où les températures mondiales monteraient de 2,7 °C par rapport à l’ère préindustrielle, la hausse en France serait de 3,8 °C en fin de siècle. Un chiffre moyen pour l’année, qui signifie, pour l’été, un potentiel de 5 °C de réchauffement en 2100, et de 4 °C dès 2060.

Or, 4 °C de réchauffement, cela correspond à ce que l’on a enregistré en France à l’été 2022. Le deuxième été le plus chaud jamais enregistré après 2003, marqué par trois vagues de chaleurs intenses et de nombreux records partout sur le territoire. Dit autrement, l’été type 2022, avec son lot d’extrêmes, risque de devenir la norme d’ici 2060. Ce qui signifie, statistiquement, que 1 été sur 2 à cette époque risque d’être équivalent… ou pire que 2022.

Le climatologue Christophe Cassou faisait état fin juillet sur X de récents travaux qui ont estimé plus en détail la probabilité que des anomalies de températures estivales telles qu’on les a connues en 2022 arrive en France, à différentes époques. Ainsi, avec le climat qui existait en 1924, une telle anomalie aurait été totalement impossible. Le changement climatique rend ensuite l’advenue d’un été type 2022 de plus en plus probable. Il a, à l’heure actuelle, 1 chance sur 10 de se produire chaque été. La probabilité passe à 1 chance sur 6 d’ici à peine dix ans, puis devrait advenir 1 année sur 3 en moyenne dès 2044, alerte-t-il.

Probabilité de vivre un été caniculaire comme celui de 2022.
© Stéphane Jungers / Reporterre

Malheureusement, l’avenir pourrait s’avérer encore plus sombre. « Les estimations statistiques des valeurs maximales sont probablement sous-estimées de plusieurs degrés en Europe de l’Ouest », soutenait ainsi une équipe de climatologues en septembre 2023 sur le site The Conversation. Dans une étude parue le même mois dans la revue Environmental Research Letters, ces derniers affirment qu’il n’est déjà pas impossible que l’on atteigne les 50 °C à Paris, dans le climat actuel.

Une autre étude dirigée par le climatologue français Robert Vautard, publiée en octobre 2023 dans Nature Communications, souligne que les chaleurs extrêmes se sont accrues à un rythme « disproportionné » en Europe de l’Ouest ces dernières décennies, c’est-à-dire plus rapidement que ne le prévoyaient les simulations climatiques.

« À l’échelle du monde, les extrêmes chauds sont plutôt surestimés par les modèles. Ils ont été sous-estimés ces dernières décennies pour l’Europe de l’Ouest, mais ça ne signifie pas que la tendance va se poursuivre », tempère Aurélien Ribes, aussi coauteur de cette étude.

Un ensemble de facteurs complexes est avancé par les chercheurs, qui se cassent encore la tête pour comprendre ces anomalies en Europe occidentale. Le fait que la pollution de l’air, faite de particules réfléchissantes qui refroidissent le climat, ait diminué de manière particulièrement forte dans cette région depuis les années 1980 peut expliquer en partie l’intensité du réchauffement qu’on y mesure. Des changements dans les circulations atmosphériques, qui pourraient faire partie de la variabilité naturelle du climat (et ne sont donc pas causés par nos activités), favoriseraient également la survenue d’extrêmes chauds.

« Ce n’est pas tranché. Les extrêmes sont plus compliqués à modéliser que les évolutions moyennes des températures, souligne Aurélien Ribes. Ces observations d’extrêmes chauds qui dépassent les projections nous interpellent, mais rien ne permet de conclure aujourd’hui que les modèles sous-estiment les extrêmes chauds à venir. »

Une chose est certaine : quelle qu’en soit l’ampleur, les vagues de chaleur vont continuer de s’intensifier, posant de considérables défis d’adaptation, et soulignant l’urgence de réduire nos émissions de carbone, et de lutter contre l’amnésie collective.

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