La démocratie turque en suspens, par Ariane Bonzon (Le Monde diplomatique, mai 2023)


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Vav Hakobyan. — Sans titre, 2022

© Vav Hakobyan – Galeri 77, Istanbul

Jamais depuis vingt ans en Turquie l’opposition à M. Recep Tayyip Erdoğan n’aura été si près de le défaire à un scrutin législatif et présidentiel. Candidat à un troisième mandat successif, le reis apparaît en difficulté depuis plusieurs mois même si l’écart avec son rival, M. Kemal Kılıçdaroğlu, se resserre parfois selon certains sondages. La mauvaise situation économique depuis 2021 puis le choc du double séisme du 6 février dernier — au moins cinquante mille morts, dus en grande partie à la politique d’urbanisation, clientéliste et affairiste, du gouvernement ainsi qu’à sa gestion défaillante des secours — expliquent pour l’essentiel la désaffection dont le président est l’objet.

Favori des sondages, M. Kılıçdaroğlu, 74 ans, fait figure d’antithèse du numéro un turc. Sans grand charisme, mais non dépourvu de malice, cet économiste placide a le profil de nombreux fonctionnaires de gauche, laïques, souverainistes et nationalistes, qui ont longtemps constitué l’armature de l’État, avant d’en être progressivement évincés par le Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002. D’origine modeste, né dans la région frondeuse de Dersim, M. Kılıçdaroğlu appartient à la communauté alévie, où se pratique un culte hétérodoxe et syncrétique puisant tour à tour dans l’islam chiite, le mysticisme, le zoroastrisme et même le christianisme. Un rite que M. Erdoğan, sunnite traditionaliste, stigmatise souvent avec la volonté manifeste de polariser la société turque.

Député, puis président du Parti républicain du peuple (CHP, parti « historique », à l’origine de la fondation de la République), M. Kılıçdaroğlu s’est fait connaître du grand public en dénonçant, non sans un certain succès, plusieurs affaires de corruption impliquant des proches du pouvoir. Puis en prenant en 2017, à 69 ans, la tête d’une marche pour la justice reliant Ankara à Istanbul contre les purges massives menées par le gouvernement à la suite du putsch militaire raté de juillet 2016. « Si les autorités judiciaires vous convoquent demain (…)

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