Alpine Renault fête ses 70 ans. Retour sur l’histoire de la plus sportive des françaises


De mémoire de marin dieppois, jamais la paisible cité du pays de Caux n’avait connu pareille agitation. On se serait crus sur la Croisette au Festival de Cannes pour les 70 ans d’Alpine Renault, célébrés au début du mois sur les pelouses du front de mer, devant la presse internationale. Les stars ? 700 Alpines rutilantes venues de toute l’Europe qui ont défilé sous les flashes devant 150 000 fans de la célèbre berlinette bien de chez nous et 100 % française, championne du monde des rallyes devant Fiat et BMW, excusez du peu, et avec J.-Y. Thérier au volant en 1973 ! La bonne année n’était pas que sur les écrans avec le film de Claude Lelouch cette année-là. 

Devant le pavillon d’honneur, caméras et micros se bousculent pour être aux premières loges. “Regarde, c’est Zizou !” “Et le jeune avec lui c’est qui ? Sais pas…” “Pierre Gasly, pilote officiel de F1 Alpine F1 team”, tonne un journaliste automobile. “Renault a mis les petits plats dans les grands cette année avec le lancement mondial de la A 390 électrique à Dieppe, berceau de la marque, qui a vu naitre la première Alpine en 1955”, ajoute-t-il. Joli symbole, mais personne n’est dupe : entre concurrence chinoise, taxes sur les importations aux USA, normes environnementales sur les énergies fossiles et scandale du tout électrique, l’avenir des bleues n’est pas tout rose…

L’incroyable aventure solitaire de Jean Rédelé a commencé quand il était encore qu’un petit concessionnaire Renault. Pilote passionné de rallye, ce dieppois visionnaire a propulsé ses voitures poids plume au firmament de la compétition. “C’est le Bill Gates de son temps”, s’exclame sans nuance le propriétaire à peine chauvin d’une A110 GTS qu’il a choisie “bleu alpine”en souvenir des heures de gloire de la marque.  Les Ferrari sont rouges. Les Alpines sont bleues, c’est la France !

Notre commendatore gaulois ne pilotait pas que ses affaires en virtuose. Mordu de compétition, il adorait bidouiller ses Renault 4 CV dans son garage pour battre les Renault d’usine sur l’asphalte et la neige. Aux réglages moteur, il préférait traquer les kilos superflus sur le châssis. Une approche improbable à une époque où la puissance faisait la loi sous le capot. Héritiers du Père Jean, les ingénieurs de Renault F1 ne font pas autre chose aujourd’hui. Et quand ils l’oublient, Renault plonge au classement comme en 2024 avec une voiture bien trop lourde face à la concurrence. 

Formule gagnante à ses débuts, même si le moteur de sa 4CV spéciale montre vite ses limites. C’est décidé : Alpine rugira français. Avec des amis carrossiers, il lance la production de la A106 en polyester et finit par convaincre le président de Renault de distribuer ses voitures dans le réseau de la régie. Il lui présentera même trois exemplaires : une bleue, une blanche, une rouge.

Cocorico ! La saga Alpine démarre pied au plancher dès 1966.  L’histoire retiendra qu’elle doit officiellement son nom aux rallyes de montagne qu’elle a remportés dans les Alpes, avec un A stylisé pour aller au sommet. Un peu de marketing ne nuit pas pour rester dans la course… 

Les ventes montent dans les tours. La folie Alpine pousse la marque au losange à ouvrir un site de production complémentaire à Thiron-Gardais en 1968. Trois ans plus tard, la petite bleue remporte le premier titre de champion international des marques en rallye. Elle entre encore un peu plus dans la légende avec le titre de champion du monde des rallyes en 1973. Le géant italien Fiat et l’Américain Ford ironisent sur l’avenir de ces frenchies inventifs qui ne sauront pas transformer l’essai en passant d’une fabrication artisanale à une production industrielle.

Ils avaient vu juste. La même année, Renault devient l’actionnaire majoritaire. Le fondateur entre en conflit avec son désormais patron et finit par passer la main ; l’arrêt de la A610 sonne le glas de l’étoile bleue. Renault Sport veut sauver le site historique de Dieppe qui fabrique un temps le Renault Spider. Le carnet de commandes s’effondre. Le rêve Alpine tourne au cauchemar.

La direction aurait alors pensé à fermer l’usine historique d’Alpine. “Avec 350 emplois à la clef, nous étions dos au mur”, explique un syndicaliste du site de Dieppe. “Il n’était pas question de brader le savoir faire de nos ouvriers pour réparer les erreurs de stratégie industrielle du groupe”.

Le salut viendra d’un Pdg aux dents longues qui veut relancer le segment des véhicules haut de gamme. En 2006, Carlos Ghosn n’est pas ici l’escroc que le Japon finira par jeter en prison. Il passe pour un prophète charismatique qui croit au retour d’Alpine pour occuper ce marché stratégique des sportives haut de gamme face à la concurrence impitoyable de Porsche, BMW ou Audi. De concept cars en partenariat avec l’anglais Caterham, il donne son feu vert à la renaissance de la marque légendaire en 2016 et présente l’Alpine Vision, qui annonce l’Alpine A110, appelée à prendre le relai de la mythique Berlinette. 

Contre toute attente, les passionnés sont au rendez-vous du lancement commercial de ce modèle au châssis ultra-léger en aluminium dans l’esprit de la marque. “Quand nous avons ouvert les réservations à la vente, se souvient un concessionnaire, les 1955 exemplaires [en référence à l’année de lancement – ndlr] ont trouvé preneurs en 48 H. Nous avons doublé les ventes en un an !

Pourtant, en plein Covid, le ciel se couvre devant les roues de la belle Alpine et l’orage gronde sur les falaises de Dieppe, qui ne sort plus que quatre véhicules par jour. Une rumeur tenace promet même l’arrêt des lignes de production au profit de la fabrication de batteries ou de pièces détachées pour les modèles de la nouvelle gamme électrique. Au nouveau malus écologique qui pénalise la catégorie, s’ajoute un rejet des énergies fossiles sur fond de réchauffement climatique qui impacte directement les modèles thermiques.

Mais une Alpine en dérapage ne fait pas peur aux initiés qui font confiance à sa tenue de route légendaire. L’arrivée de l’Alpine A290 relance le marché et le Crossover A390 dévoilé en première mondiale à Dieppe à l’occasion des 70 ans d’Alpine, espère réinventer le véhicule sportif électrique avec une série de sept nouveaux modèles d’ici 2030 dont une supercar étendard de la marque.

Quoi qu’en disent les aficionados du bleu Alpine, la marque normande reste loin derrière ses concurrents en termes de volumes de vente. La participation d’Alpine en Formule 1 suffira-t-elle à convaincre les adeptes de sportives à moteur thermique des qualités d’un modèle français électrique face à Porsche et Lotus en pariant sur une identité forte ? Rien n’est moins sûr. 

Quant à l’ouverture du marché promise par Philippe Krief, CEO Alpine, notamment sur les marchés asiatique et américain dès 2027, c’était sans compter avec les mesures protectionnistes de Trump qui rebattent les cartes de notre compétitivité à l’export. Enfin et surtout, une concurrence chinoise de plus en plus agressive soutenue par un État omniprésent, permet à BYD, Zeekr ou Nio de proposer des modèles hyper équipés à des prix défiant toute concurrence. 

Sans doute portée par la victoire en Formule 1 des Français Esteban Ocon au Grand Prix de Hongrie 2021 et Pierre Gasly, la firme voit grand et prévoit d’augmenter ses revenus de 40 % en moyenne par an entre 2023 et 2030. L’objectif ? Atteindre la rentabilité dans trois ans et une marge d’exploitation de plus de 10 % en 2030. Le compte à rebours a commencé. De son côté, Luca de Meo annonce 150 000 unités vendus par an d’ici 2030 (moins de 4 000 véhicules actuellement) et a déclaré qu’Alpine pourrait être « potentiellement » cotée en bourse à l’avenir. 

Alpine marque mondiale ? D’ici là, après la déroute de 2024 au championnat du monde de Formule 1, l’écurie française de F1 cessera dès l’année prochaine de confier à Renault la fabrication de son moteur, qui sera désormais fourni par Mercedes, ainsi que la boite de vitesses. Loin des sommets promis par le A d’Alpine en forme de montagne, la manufacture Alpine de Dieppe Jean Rédelé aura besoin d’autres atouts que sa fabuleuse histoire pour rester en piste…  

 

 

 





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