• ven. Sep 20th, 2024

Contre l’extrême droite, écologistes et antifascistes s’unissent en Allemagne


Erfurt (Allemagne), reportage

« Contre la droite et pour un climat de justice » : accroché au chapiteau d’accueil, un panneau peint à la main annonce la couleur du System Change Camp (Camp du changement de système), organisé à Erfurt, en Allemagne de l’Est. Pendant une semaine, du 5 au 11 août, pas moins de 1 400 activistes d’extrême gauche ont planté leurs tentes dans un parc public de cette ville, connue comme un bastion de l’extrême droite. Conférences, ateliers, films, concerts : malgré la tranquillité joyeuse qui règne sur le camp, une certaine urgence se fait sentir.

C’est que l’Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne, AfD), parti d‘extrême droite, pourrait remporter les élections dans trois états fédéraux de l’Allemagne de l’Est en septembre. « La montée de l’extrême droite est clairement le problème de l’année, c’était donc évident que nous devions installer le camp chez nos alliés à l’Est, afin de leur prêter main forte », explique Anouk [*], l’une des porte-parole du System Change Camp.

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Avec déjà 10 % des sièges au parlement fédéral et presque 16 % des sièges allemands au Parlement européen, l’AfD est maintenant en passe d’arriver au pouvoir dans au moins un État fédéral (Bundesland), même si la plupart des autres partis continuent de refuser de faire coalition. « Ils n’ont même pas besoin de faire campagne, car même les partis du gouvernement [verts, socialistes et libéraux] sortent une énormité raciste après l’autre, l’AfD n’a plus qu’à se laisser porter », critique Anouk.

Pour elle, comme pour des activistes présents au camp, une seule évidence : une éventuelle arrivée au pouvoir de l’AfD serait catastrophique pour le climat — et pour le mouvement écologiste. « Toute politique climatique deviendrait impossible et la répression serait terrible  », soupire-t-elle. D’où l’idée de rassembler antifascisme et écologie dans un camp climat dédié : une première en Allemagne. « Nous offrons des espaces d’échange et de rencontres pour des milieux qui ne se croisent pas toujours, afin qu’ils puissent faire fructifier un terreau de luttes », espère-t-elle. L’équipe organisatrice du System Change Camp est issue du mouvement écologiste radical, connu pour ses zones à défendre (zad) et ses occupations de mines de charbon.

Des activistes déjeunent devant un chapiteau abritant des concerts, représentations de théâtre et performances de danse.
© Philippe Pernot / Reporterre

Paysans antifascistes

C’est un programme ambitieux qui attendait les participants : plus de 300 ateliers et conférences, dont parfois jusqu’à 20 simultanément, sur des thèmes allant de l’antifascisme en Allemagne de l’Est à la crise au Congo, du sauvetage des réfugiés en mer à l’activisme dans les campagnes allemandes. « Il est élaboré avec les groupes activistes locaux, pour leur donner de la visibilité, mais aussi de manière flexible par les participants, qui peuvent s’impliquer au jour le jour dans la vie du camp », explique Anouk.

Une initiative saluée par les deux syndicats paysans allemands, qui ont organisé plusieurs conférences et ateliers autour de la souveraineté alimentaire et de la terre. « Auparavant, on pouvait se sentir un peu mis de côté par le mouvement climat. Là, on sent que nos efforts portent enfin leurs fruits et que notre lutte est visibilisée », se réjouit Julia [*], récoltante de légumes à Kassel et militante de la Arbeitsgemeinde für örtliche Landwirtschaft (Communauté de travail pour l’agriculture locale, ABL), l’équivalent local de la Confédération paysanne. Même son de cloche du côté de la section agricole de la Freie Arbeiter*innen-Union (Syndicat libre des travailleurs, FAU), l’équivalent outre-Rhin de la Confédération nationale du travail.

« Dans l’ensemble, la gauche radicale en Allemagne est très urbaine. Nous participons à ce genre de rencontres afin de construire des ponts avec les campagnes et les travailleurs agricoles », explique Wolf [*], agriculteur près de Leipzig et militant FAU.

Wolf*, agriculteur près de Leipzig et militant de la FAU.
© Philippe Pernot / Reporterre

Lors des grandes mobilisations des agriculteurs qui ont secoué l’Europe, ils ont dû se battre pour que le mouvement ne tombe pas à la main de l’extrême droite. « Nous paysans, surtout en Allemagne de l’Est, sommes obligés d’être antifascistes. L’extrême droite a voulu noyauter les manifestations pour en faire une sorte d’insurrection généralisée selon les vieilles théories national-socialistes, explique Wolf. On a réussi à l’éviter en dénonçant l’influence de l’extrême droite sur le mouvement auprès des grandes organisations agricoles, qui commençaient à perdre le contrôle et ont rappelé leurs troupes. »

Attaques néonazies contre les écolos

Outre les organisations paysannes, les militants antifas d’Allemagne de l’Est étaient à l’honneur lors de nombreux ateliers et conférences, et présents en nombre. « J’ai l’impression que c’est la première fois que les gens ont vraiment à l’esprit que les deux [écologie et antifascisme] doivent être pensés ensemble », se réjouit Louisa, activiste antifa vivant à Berlin mais originaire d’un village rural de l’Est.

Comme de nombreux jeunes activistes de son âge, elle s’est politisée lors des manifestations hebdomadaires de Fridays for Future. « Comme un groupe de néonazis venait nous embêter à chaque action, et que l’environnement n’était pas trop la priorité des gens du village, on s’est vite tournés vers l’antifascisme », explique-t-elle.

« C’est vraiment difficile de faire de l’écologie ici, on est obligés d’être antifas »

Louisa raconte un contexte rural dominé par l’extrême droite néonazie, tolérée par les partis politiques. « Lors d’une commémoration aux morts des guerres mondiales, des néonazis sont venus déposer une gerbe et un drapeau nazi, avec une croix gammée censurée, sur le mémorial, sous la protection de la police. L’activiste antifa qui l’a enlevé a été poursuivi en justice !, s’indigne-t-elle. C’est vraiment difficile de faire de l’écologie ici, on est obligés d’être antifas. » Plusieurs zad de l’Est ont fait régulièrement l’objet d’attaques néonazies violentes, et certaines ont dû abandonner.

Louisa, militante antifasciste en Allemagne de l’Est.
© Philippe Pernot / Reporterre

Dans ce contexte difficile, des écologistes radicaux sont amenés à faire du porte-à-porte pour des candidats politiques qui peuvent retirer des voix à l’AfD, et des antifas assurent parfois la sécurité des zad allemandes. Comme ici, à Erfurt, où le camp avait mis en place un dispositif de sécurité autogéré important. Un groupe de jeunes de l’AfD a essayé de faire monter des tensions ; il y aurait eu des insultes, des saluts nazis, des chants nationalistes aux abords du camp. Mais rien de pire. « On a eu de la chance que les néonazis avaient mieux à faire ailleurs, apparemment », dit Anouk avec soulagement.

La fanfare militante queer, lors d’une manifestation antifasciste à Erfurt, le 10 août 2024.
© Philippe Pernot / Reporterre

Manifestations et conflits

La tendance s’est même renversée : les activistes du camp ont participé à des actions de blocage contre des événements de l’AfD dans des villes aux alentours, notamment contre un discours du président régional du parti et néonazi connu, Björn Höcke, à Gotha. Une grande manifestation antiraciste et antifasciste a même défilé dans Erfurt le samedi 10 août, avant-dernier jour du camp. Musique et discours à fond, slogans engagés — « Le nationalisme n’est pas une alternative » —, la manifestation se voulait festive.

Mais le cortège de plusieurs centaines de personnes a dû s’arrêter à mi-parcours : des militants antifas avec une banderole contre l’antisémitisme, aux couleurs du drapeau israélien, bloquaient la route du bloc palestinien. Au terme de négociations tendues avec les organisateurs, les activistes propalestiniens ont quitté la manifestation, dégoûtés, pendant que le reste du cortège poursuivait sa route.

Un contre-manifestant tient une pancarte humoristique « Les nazis sont plus énervants qu’un bouton d’acné dans l’oreille » lors d’une manifestation contre un meeting de l’AfD, parti d’extrême droite, à Gotha, le 10 août 2024.
© Philippe Pernot / Reporterre

Cette déconvenue n’était qu’un moment parmi une longue liste de tensions au sein de la gauche allemande sur le camp. C’est que les « antideutsche » (anti-allemands), des militants antifascistes luttant principalement contre l’antisémitisme — et très critiques du mouvement propalestinien — sont majoritaires en Allemagne de l’Est. « Je savais qu’il existait des différences au sujet du conflit israélo-palestinien, mais je ne pensais pas que ça irait jusque-là, c’est absurde », s’étrangle un activiste français présent dans le camp.

Face à un programme avec relativement peu de conférences sur Gaza ou la Palestine, un groupe d’activistes internationaux et allemands a manifesté spontanément dans le camp et mis en place une tente de solidarité palestinienne avec un programme alternatif. En face, les keffiehs et drapeaux palestiniens ont été bannis à des concerts organisés par des groupes « antideutsche » en marge du camp. « Chez nous, c’est inconcevable d’être d’extrême gauche sans être propalestinien, mais ici, c’est très tendu et ça ne me donne pas envie de revenir en Allemagne », ajoute-t-il. Lors des conférences des deux bords, des échanges parfois houleux ont eu lieu, sans toutefois déborder.

« On a reproché aux organisateurs d’être trop ci, pas assez ça, mais nous sommes là pour mettre en place une infrastructure fonctionnelle, pas pour établir un programme politique », se défend Anouk, la porte-parole. Entre la menace de l’extrême droite et les dissensions internes, la gauche allemande avait besoin de se retrouver pour réfléchir ensemble. Pari réussi ? Les prochaines élections le diront peut-être.


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