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L’océan Arctique va absorber moins de carbone que prévu


20 août 2024 à 17h29

Durée de lecture : 4 minutes

Encore une boucle de rétroaction climatique dont on se serait bien passé. Sous l’effet du changement climatique, le pergélisol du Grand Nord (ces terres normalement gelées en permanence) fond de plus en plus. Cela accélère l’érosion côtière, qui augmente elle-même le déversement de matière organique dans l’océan Arctique. Résultat : la mer davantage chargée en carbone absorbe moins de CO2 atmosphérique et ce surplus de gaz à effet de serre augmente encore le réchauffement, ce qui renforce à son tour le phénomène.

Ce processus est décrit dans une étude publiée le 12 août dans la revue Nature Climate Change, par des chercheurs allemands de l’université de Hambourg. Ils ont calculé que l’océan Arctique pourrait pomper 4,6 à 13,2 millions de tonnes de carbone en moins chaque année d’ici la fin du siècle. Soit une baisse d’environ 10 % par rapport à ce qu’il absorbait dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Le rôle ambivalent de la matière organique

Les inquiétudes des scientifiques concernant le dégel du pergélisol ne sont pas nouvelles. Mais les craintes se concentraient jusqu’à présent sur les risques d’émissions accrues de carbone sur la terre ferme ; les calculs ne prenaient pas encore en compte les effets du pergélisol sur l’océan Arctique, particulièrement complexes. L’accélération de la fonte a poussé les chercheurs allemands à se pencher sur la question.

« L’érosion s’est accélérée à travers l’Arctique, et on s’attend à ce que le taux moyen d’érosion arctique augmente d’un facteur 2 ou 3 d’ici la fin du siècle », notent les auteurs. Or, une fois dans l’océan, ce flux de matière organique peut avoir des conséquences climatiques complètement opposées, selon la manière dont celle-ci évolue. Si la matière organique se décompose et redevient minérale, cela pourrait augmenter la concentration en carbone inorganique et réduire la capacité de l’océan à absorber davantage de CO2. Mais si cette matière organique finit par servir de nutriment pour nourrir des espèces marines, et augmente la quantité globale de matière organique, cela pourrait accroître la capacité totale d’absorption de CO2 de l’océan.

Fissures dans le pergélisol, dans l’Arctique.
Wikimedia Commons/CC BYSA 3.0/Brocken Inaglory

Les chercheurs ont donc fait tourner leurs modèles, simulant tous les scénarios climatiques futurs et différentes hypothèses concernant le comportement de la matière organique. Au bout du compte, quelle que soit la configuration envisagée, le puits de carbone océanique diminuait en Arctique, à mesure que l’érosion côtière remplissait l’océan de davantage de matière organique.

Et plus le climat se réchauffe, plus le cercle vicieux s’accentue. Pour chaque degré de température globale supplémentaire, l’océan Arctique serait capable d’absorber 1 à 2 millions de tonnes de carbone en moins chaque année, selon les chercheurs.

Menace pour les écosystèmes

La hausse de CO2 provoquée par ce phénomène reste toutefois marginale comparée aux émissions directes des activités humaines. « La hausse annuelle de CO2 atmosphérique due à l’érosion [arctique] d’ici 2100 équivaut à la moitié de ce qu’ont émis les combustibles fossiles dans les voitures allemandes en 2021, ou environ 10 % des émissions des voitures européennes cette même année », résument les scientifiques.

Le phénomène n’est pour autant pas à prendre à la légère : il se déroule dans le plus petit des océans du globe (environ la moitié de la superficie du continent européen) et témoigne d’une perturbation des mécanismes océaniques. « Nos résultats montrent à quel point ce processus est incertain. Les impacts climatiques resteront faibles quoi qu’il en soit : l’érosion côtière du pergélisol ajoute dans l’atmosphère 1 000 à 10 000 fois moins de CO2 que les activités humaines. En revanche, cette érosion peut avoir des conséquences importantes pour les écosystèmes locaux et régionaux », nous précise David Nielsen, premier auteur de l’étude.

En outre, même si l’effet climatique est marginal, ces connaissances permettront d’ajuster le rôle crucial joué par l’océan dans la régulation du climat. À l’échelle de la planète, les océans absorbent en effet pas moins de 30 % des gaz à effet de serre émis par nos activités, réduisant d’autant leur effet réchauffant dans l’atmosphère. Et plus de 90 % de cette absorption se déroule dans les eaux polaires et subpolaires, soulignent les auteurs de l’étude.

« Ce service écosystémique pourrait ne plus être à l’avenir aussi fort qu’il l’a été. Pour déterminer si, oui ou non, nous pourrons continuer à compter sur cet effet dans le futur, nous devons commencer par comprendre plus en détail les mécanismes d’absorption du CO2 », ajoute David Nielsen. L’étude conclut par un appel à prendre en compte cette érosion côtière du pergélisol dans les futures projections climatiques, ainsi que dans l’évaluation des budgets carbone que nous ne devons pas dépasser pour éviter le pire.

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