• lun. Sep 30th, 2024

ils vivent en autonomie dans un studio parisien


Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), reportage

La porte s’entrouvre à peine que, déjà, l’odeur du basilic pétille dans nos narines. Puis monte, dans nos oreilles, le chant des grillons. « Cri-cri, cri-cri », stridule une flopée d’insectes couleur sable. Nous ne sommes pourtant pas dans la garrigue, mais dans un appartement de 28 m2 à Boulogne-Billancourt, encastré entre la tour TF1 et ses dizaines de consœurs de verre.

À deux pas de la Seine, l’ingénieur Corentin de Chatelperron et la designeuse Caroline Pultz ont décidé d’implanter leur dernière « biosphère low-tech ». Entendez : un habitat truffé d’innovations utiles, durables et accessibles, permettant de « bien vivre » tout en respectant les limites planétaires.

L’appartement – mis à disposition par la mairie – a des airs d’écosystème miniature.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Au printemps 2023, le couple d’explorateurs avait passé quatre mois dans le désert mexicain, dans un îlot de bois et de jute. Cette fois, ils ont choisi de réitérer l’expérience en zone urbaine, où presque sept personnes sur dix devraient vivre d’ici le mitan du siècle, selon les projections de la Banque mondiale. L’expérience, lancée officiellement le 15 juillet, durera jusqu’à la mi-novembre. Ils sont suivis par des médecins, des ergonomes et des psychologues, qui évalueront les effets de ce mode de vie sur leur santé.


1 kilo de pleurotes par semaine

L’idée : montrer à quoi pourrait ressembler la vie en ville, en 2040, en émettant moins de 2 tonnes d’équivalent CO2 par personne et par an. Soit l’objectif permettant, selon les scientifiques, de limiter le réchauffement de la planète à +1,5 °C d’ici 2100. Un défi de taille, l’empreinte carbone moyenne des Français étant aujourd’hui environ cinq fois plus élevée. « En quinze ans, c’est crédible de faire ces changements-là », estime Corentin de Chatelperron.

Entre les luminaires en cuir de champignon doux comme de la mousse, les meubles en bois clair, les rebords de fenêtres garnis d’aromates, on se sent dans cette « biosphère » comme dans un cocon ou dans une cabane. L’appartement – mis à disposition par la mairie – a des airs d’écosystème miniature, chacun de ses éléments servant au bon fonctionnement des autres. « Tout s’entrecroise », décrit Corentin de Chatelperron.

Un élevage de grillons leur permet de manger des protéines.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Dans la salle de bain, par exemple. Les deux explorateurs ont installé une douche brumisante. Elle est reliée à un ballon d’eau chaude, fonctionnant grâce à des panneaux solaires installés sur le toit. Grâce à ce système, ils peuvent se doucher avec 5 litres d’eau, contre 60, en moyenne, avec un pommeau classique. « Tu te laves dans un crachin breton, mais chaud », sourit l’ingénieur. Ces quelques litres suffisent « largement », car le débit est faible. Au fur et à mesure, « la douche devient de plus en plus froide. Ça te force à t’arrêter, et c’est hyper dynamisant. Tu sors, t’as trop la pêche ».

La fonction de cette pièce ne s’arrête pas à l’hygiène. L’humidité fait le bonheur de quatre grosses tours à champignons, constituées d’un mélange de sciure de paille et de mycélium. Chaque semaine, elles leur fournissent entre 1 et 1,5 kilo de pleurotes. Les deux aventuriers de la low-tech testent également un filtre à bactéries – « pas encore au point », précisent-ils –, qui devraient leur permettre de récupérer l’eau savonneuse pour abreuver les plantes.

Pour la première fois, le couple a choisi de s’appuyer sur un réseau local et de ne pas viser l’autonomie à 100%.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Des grillons grillés à l’huile

Les plantes, justement. Une trentaine de pots de menthe, basilic, ciboulette, persil et aneth fleurissent l’appartement. Cultivées en « raft » – ou radeau flottant –, leurs racines s’épanouissent dans un bassin de 300 litres d’eau. Un guppy grignote les œufs de larve de moustique qui auraient la mauvaise idée de s’y loger. L’eau est enrichie avec un soupçon d’urine, récupérée dans leurs toilettes sèches et transformée en engrais par des bactéries « nitrifiantes ». « Elles viennent toutes seules et se mettent sur les billes d’argile, explique Corentin de Chatelperron. Elles transforment l’ammoniac en nitrates, ça n’a aucune odeur. »

Juste en face de leurs plantations, un élevage de grillons – qu’ils dégustent grillés à l’huile – leur offre des protéines. Pour le reste de leurs calories, les deux inventeurs se fournissent dans une épicerie participative du réseau des Épis. En échange de deux heures de travail mensuel, ils peuvent se fournir à prix réduit en produits secs, bio et locaux. Ils se rendent également dans une ferme des Loges-en-Josas, à une vingtaine de kilomètres.

La ferme leur procure des fruits et légumes en échange d’une demi-journée de maraîchage par semaine… et de quelques larves de mouches soldat noires. Son statut d’éleveur de larves — elles dévorent, dans leur biosphère, le contenu des toilettes sèches — a fait de Corentin de Chatelperron une star chez les gallinacés. « Maintenant, elles me reconnaissent. Elles sont devenues addicts, rit-il. Je suis le dealer des poules. »

L’implication d’autres personnes est l’une des grandes nouveautés de ce projet. Que ce soit au Mexique ou en Thaïlande – où l’ingénieur avait vécu pendant quatre mois sur un radeau, en 2018 – les précédentes « biosphères low-tech » des deux inventeurs étaient pensées pour fonctionner en autarcie. « Comme il y a beaucoup de monde en ville, on s’est dit que cette fois, on allait diviser le travail, créer des filières », explique le quadragénaire. En tout, le couple collabore avec une quinzaine de voisins, chacun impliqué dans la bonne marche des différents « maillons » de leur écosystème. Dans le reste de la France, 1 200 volontaires vont également essayer de reproduire chez eux des « briques » de la biosphère.

Une marmite norvégienne encastrée leur permet de dépenser peu d’énergie pour cuire leurs aliments.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

En 2040, espère Caroline Pultz, « chacun se spécialisera dans une low-tech. Ça permet de se partager les tâches, et de rendre les choses fun ». Un microbiologiste et deux familles boulonnaises se chargent ainsi de leur procurer des substrats de champignon ; des habitants du quartier les fournissent en jeunes grillons ; d’autres préparent des produits lactofermentés avec les surplus de récolte. Autant de manières de créer du lien social, et réhumaniser la ville.

« Quitte à vivre dans une des zones les plus denses du monde, autant ne pas avoir un mode de vie individualiste », pense Corentin de Chatelperron. Il raconte avoir été « très frappé », en découvrant la vie en ville pour la première fois de son existence, par l’isolement qu’elle peut engendrer. « Il n’y a rien qui te force à avoir des interactions. Tout est marchand : dès que tu sors, tu dois payer quelque chose. »

Même internet a sa version low-tech

Cette envie de mettre la low-tech au service de la vie en communauté se retrouve dans leur approche du numérique. Les deux inventeurs se sont inspirés des « intranets » qu’ils ont vu à Cuba lors de leur « tour du monde des low-tech » en catamaran. Une borne wifi spécialement conçue par des étudiants ingénieurs sera prochainement installée au milieu de leur carré d’immeubles.

« Tous ceux qui ont des fenêtres pourront capter le signal, explique Corentin de Chatelperron. Il y aura un service de messagerie pour que les gens puissent se rendre des services, s’échanger des outils… Et ils pourront aussi regarder les documentaires et les films que l’on mettra dessus. Ce sera une sorte de Netflix low-tech. »

Plus besoin d’ordinateur !
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Sur un service de streaming classique, les données font des milliers de kilomètres de datacenter en datacenter, explique l’ingénieur, ce qui est très gourmand en infrastructures et énergie. Avec leur système, « tout sera relié aux gens en direct ». Dans sa chambre, le couple a installé un petit vidéoprojecteur. « On s’est dit qu’il fallait quand même que ce mode de vie soit attirant, qu’il permette d’avoir accès à la culture. »

Le duo d’explorateurs ne prévoit pas pour autant de laisser sa consommation d’énergie s’envoler. Dans la « biosphère », on cuisine sobrement, notamment grâce à une marmite norvégienne. Dans la cour, un biodigesteur alimenté par leurs déchets organiques produit, « dans les meilleures conditions », assez de gaz pour cuire pendant une à deux heures. Son lancement a été plus compliqué que prévu : « Normalement, il faut mettre de la bouse de vache pour le faire démarrer. Mais ici, c’est un peu compliqué d’en trouver. On a dû trouver un poney club au coin de la rue », se souvient en riant Corentin de Chatelperron.

Ils ont transformé un rameur de salle de sport en machine à laver.
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Au sous-sol, une « salle de fitness utile » est en cours de construction. Elle permettra aux habitants du bloc de concilier séances de sport et tâches ménagères. « C’est un club privé », rit l’ingénieur. On y trouve déjà un rameur-machine à laver le linge et, bientôt, un appareil de musculation permettant de travailler ses biscotos tout en pétrissant de la pâte.

« C’est enthousiasmant ! »

Pour tout le reste, les deux inventeurs disposent d’une batterie, alimentée par leurs deux panneaux photovoltaïques de 2 m2 – l’appartement étant coupé du réseau électrique classique. Des voyants vert, orange et rouge les alertent sur la quantité d’énergie dont ils disposent, et que le soleil peut encore fournir. « En 2040, il faudra s’adapter un peu plus au temps qu’il fait dehors. Et vivre un peu plus comme une marmotte l’hiver, parce qu’il y a moins d’énergie », prévoit Corentin de Chatelperron. Pour ce faire, l’appartement a été soigneusement isolé avec des blocs de laine de chanvre. « L’idée, c’est de ne pas avoir besoin de chauffage ni de clim. »

Dur de trouver des aliments bio et locaux à un prix accessible

Pour le moment, l’expérience suit bien son cours. Les premiers jours ont été difficiles, après plusieurs années passées sur l’océan, puis dans le désert, au contact direct de la vie sauvage. « J’ai l’impression d’être une poule élevée en plein air qu’on aurait mise en cage », résume Corentin de Chatelperron.

« Ce qui est dur, poursuit-il, c’est d’être en 2040 alors que les autres sont restés en 2024. Il y a plein de tentations tout le temps ». Difficile, pour les deux aspirants locavores, de résister à la danse du ventre de la pizzeria du coin de la rue. Le couple peine également à trouver, en région parisienne, des aliments bio et locaux à un prix accessible. « Notre objectif, c’est d’arriver en dessous de 6 euros par personne et par jour, pour que ce mode de vie ne soit pas réservé aux plus riches. Pour l’instant, on ne les atteint pas », regrette Caroline Pultz.

En 2040, espère Caroline Pultz, « chacun se spécialisera dans une low-tech. Ça permet de se partager les tâches, et de rendre les choses fun ».
© NnoMan Cadoret/Reporterre

Ils espèrent y parvenir d’ici l’automne. Pour le reste, ils disent réussir à vivre « normalement », en réduisant considérablement leur empreinte écologique. Exemple le plus frappant : ils ne consomment que 33 litres d’eau par jour à deux, soit dix fois moins que la moyenne nationale. La « maintenance » de la biosphère ne leur prend qu’une quinzaine de minutes par jour, qu’ils accordent avec plaisir. « Se lever le matin et s’occuper de plantes et de grillons, c’est enthousiasmant, dit Corentin de Chatelperron. Globalement, la low-tech aspire vers des choses plus vertueuses que regarder des films ou aller sur les réseaux sociaux. »


Si vous souhaitez découvrir des astuces pour vivre low-tech en ville, Corentin de Chatelperron et Caroline Pultz ont créé des comptes Instagram et TikTok dédiés. Ils y publient, tous les mercredis, des vidéos documentant leur expérience.





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