• ven. Sep 20th, 2024

Grâce aux ORE, ils préservent le vivant sur leurs terres pendant 99 ans


Sainte-Camelle (Ariège)

Quelques étangs où batifolent des grenouilles au milieu des roseaux, un chemin des fées parsemé de chênes remarquables et d’amulettes invitant à la méditation, un potager géant et une forêt en bataille… Depuis le 22 août, les merveilles de l’écovillage de Sainte-Camelle (Ariège) sont protégées à vie de toute bétonisation ou prédation immobilière grâce à un dispositif méconnu des propriétaires de bouts de nature : l’obligation réelle environnementale ou ORE. Trois petites lettres de rien du tout mais qui peuvent beaucoup pour le vivant.

Les obligations réelles environnementales sont un outil créé par la loi Biodiversité du 8 août 2016 et codifié par l’article L. 132-3 du Code de l’environnement. Il s’agit d’un contrat conclu entre un propriétaire (privé ou public) désireux de protéger l’environnement chez lui de façon pérenne et un cocontractant, au choix, une collectivité, une association de défense de l’environnement, un conservatoire d’espaces naturels ou un parc naturel régional, etc. Le tout se signe devant notaire, ce qui permet de transmettre lesdites obligations de propriétaire en propriétaire pour une durée qui peut s’étendre jusqu’à 99 ans !

L’écovillage est préservé : ni les héritiers, ni les futurs acquéreurs ne peuvent se soustraire auxdites obligations.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

Ainsi, ni les héritiers, ni les futurs acquéreurs ne peuvent se soustraire auxdites obligations. À la différence d’un outil réglementaire, l’ORE est librement discutée et consentie entre les parties. Ainsi, à Sainte-Camelle, le choix fut de préserver les haies et les mares du site, de privilégier la fauche sur certains espaces, d’interdire la coupe de précieux arbres… « C’était important pour nous d’inscrire tout ce que l’on fait dans le temps long, explique Bruno, résident de l’écovillage en déambulant au milieu du jardin. La vie des collectifs, ça va, ça vient, on ne sait pas ce qui peut arriver. Désormais, même si notre collectif venait à disparaître, les engagements liés au lieu ne peuvent plus sauter. »

En un an, 130 ORE ont été signées

Dans l’univers des écolieux, où des habitants investissent dans des domaines en déshérence, retapent de vieilles bâtisses et protègent la biodiversité qui les entoure, l’idée de pérenniser leurs actions de protection cartonne. « Avant que nous achetions la colline de Pourgues, le propriétaire du domaine avait reçu une offre pour faire un circuit de quad, signale Ramin Faranghi. Avec cette ORE, cela ne sera jamais plus possible. »

Ainsi, cet outil trouve peu à peu sa place, notamment auprès d’une nouvelle génération de propriétaires un peu geek de la préservation de l’environnement et désireux de donner un statut à leur terre. Avec Sainte-Camelle, ce sont au total six ORE qui ont été signées lors du Festival Oasis en présence du notaire Laurent Aguilar, venu des Alpes-de-Haute-Provence. Quatorze supplémentaires seront signées d’ici à la fin de l’année. La coopérative Oasis joue alors le rôle de cocontractant et va garantir que les obligations sont bien suivies. « Certains habitants d’oasis sont naturalistes ou rattachés à des parcs naturels régionaux, nous disposons des compétences en interne pour jouer ce rôle », explique Frédéric Jozon, en charge du dispositif au sein de la coopérative.

Fin avril, cet outil méconnu du grand public a fait l’objet d’un colloque au sein de la Fondation François Sommer. En 2021, un rapport remis au Parlement faisait état d’une vingtaine d’ORE signées seulement… La Fédération des conservatoires d’espaces naturels et celle des parcs naturels régionaux se sont emparés de cet outil tout en médiatisant son existence. Ces institutions disposent d’autres outils comme l’acquisition directe, le bail emphytéotique ou des conventions diverses (accès, gestion, partenariat, etc.) mais l’ORE a l’avantage de concerner dans 80 % des cas des propriétés privées.

À ce jour, il n’existe pas ou peu de mécanismes de suivi de ces signatures, ni de fichier national pour les répertorier, ce qui rend délicat la vision de leur mise en œuvre. Le développement est restreint et lent, mais l’outil vit une seconde vie puisqu’il est également reconnu comme méthode compensatoire.

À Sainte-Camelle, le choix fut de préserver les haies et les mares du site, de privilégier la fauche sur certains espaces, d’interdire la coupe de précieux arbres…
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

En matière de préservation de l’environnement, il s’agit d’abord d’éviter les atteintes au vivant, de les réduire le cas échéant et, en dernier recours, de les compenser. Dans le pire des cas, l’ORE peut servir à compenser les dommages créés. Par exemple, dans l’Hérault, la société Nestlé Waters s’en est servie pour protéger son patrimoine naturel sur la commune de Vergèze (Gard) pour une durée de dix ans. Une commune qui doit raser une forêt pour ériger une éventuelle déviation devra souscrire une ORE avec des particuliers ou sur d’autres terrains de la commune pour protéger ailleurs ce qu’il a détruit en biodiversité ou espace naturel.

Entre juillet 2022 et décembre 2023, 130 ORE ont été signées, dont 117 en 2023. Au total, 75 pour la préservation volontaire et 55 dans le cadre de la compensation des atteintes à la biodiversité. L’Aspas, Agir pour l’environnement, et même des fédérations de chasse l’utilisent… Il y en a une dans le Gard au Château d’Espeyran pour quarante-quatre ans sur un site de 21 hectares appartenant à l’État et accueillant le Centre national du microfilm et de la numérisation pour une gestion écologique du parc et du bâti, qui abrite notamment des chiroptères (des chauves-souris) ; sur un site de près de 17 hectares appartenant à une commune pour la réouverture de milieux suite à une déprise agricole et à la mise en place de pastoralisme pour trente-et-un ans, etc.

Des conseils de gestion délivrés tous les cinq ans

Pour Claire Tutenuit, présidente de l’association Le Ruban vert dans l’Yonne, l’avantage de l’ORE est évident : cela permet de fortifier la trame verte de sa région. « En réalité, il y a trop de terres agricoles qui nous empêchent de faire de grands corridors riches en biodiversité alors avec les ORE, nous optons pour la technique des pas japonais. » L’association a déjà signé une ORE et trois sont dans les tuyaux, notamment une avec Philippe, mycologue averti, passionné de biodiversité, qui a récupéré un lot de terrains dont certains ne l’intéressent pas vraiment. « C’est anecdotique de sanctuariser 4 000 m2 ou 5 000 m2… Mais si tous ceux qui avaient les moyens savaient que ça existe, ça ferait peut-être une petite différence. »

Avant de signer, l’association s’est déplacée pour faire un audit. « En contrepartie, nous nous engageons à venir tous les cinq ans pour donner des conseils de gestion. Cela peut passer par de la libre évolution, la mise en place de haies, de la fauche, la préservation de certaines espèces ou le simple fait de laisser du bois mort sur pied… » Difficile d’établir une liste d’obligations type tant chaque biotope mérite une attention spécifique.

Qu’il y ait des fous de nature qui décident de la préserver volontairement, c’est une chose, mais le législateur sait qu’il ne peut compter sur ces seules bonnes âmes. Alors, il a pensé à des mesures fiscales incitatives. Ainsi, le propriétaire signataire peut être exonéré de droits d’enregistrement et de taxe de publicité foncière. Par ailleurs, la loi de finances pour 2021 instaure deux nouvelles incitations fiscales : l’exonération de contribution de sécurité immobilière et celle de la taxe foncière sur les propriétés non bâties. C’est loin d’être la motivation première des plus convaincus.

« C’est un peu comme donner un statut à la terre »

« C’est un peu comme donner un statut à la terre », expliquent Marie-Hélène et Christian Tanguy, propriétaires de la ferme de la maison neuve, en Vendée, et qui ont pris conscience de l’importance du vivant sur leur exploitation au fil des années. Les génisses laitières —élevées en bio — parcourent un bocage traversé par l’Yon, avec une zone boisée, une zone humide et des cultures sur lequel un ami naturaliste a découvert l’agrion mercure, la musaraigne aquatique, le fluteau nageant. « L’ORE est un aboutissement. Ainsi, avec ce statut juridique, la terre garde son potentiel de terre fertile et peut se défendre bien au-delà de nous. Le vivant peut tenir bon face au pillage. » L’exploitation assortie de son ORE a été transmise à leurs enfants.

Mesures fiscales ou non, les ORE n’intéressent guère les principaux syndicats liés à la gestion de l’espace rural (FNPPR, FNSEA…) qui ne soutiennent pas leur développement. « Mon objectif est de transmettre un bien à mes enfants à la fois préservé mais aussi rentable économiquement, explique Yann Dublois de la Sablonnière, de la Fédération nationale des propriétaires privés ruraux (FNPPR), propriétaire exploitant de 300 hectares en Champagne Berrichonne. Les propriétaires ruraux craignent que cette ORE puisse être « piégeante à terme ». « Pourquoi figer dans le marbre les actions menées pour l’environnement ? » Question de philosophie.

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