« Nous préparons des lutteurs »
Pédagogues à la renommée internationale, Élise et Célestin Freinet ont produit quantité d’écrits théoriques. Mais ils ont surtout mis leurs idées en pratique, notamment en fondant l’école qu’ils ont ouverte en 1934 à Vence. Dans cet établissement sans véritable classe ni pupitres alignés face à un tableau, les sanctions sont votées en assemblée générale, et chacun doit travailler en autonomie.

Kusama Yayoi. — « Après l’école », 2003
© Yayoi Kusama – Photographie : André Morin – Centre Pompidou, MNAM-CCI – RMN-Grand Palais
La pédagogie inspirée par Élise et Célestin Freinet n’est ni une méthode ni une technique dénuée de politique. Elle est le produit de rencontres entre des données matérielles, des réflexions théoriques et des positions idéologiques. En d’autres termes, il n’y a pas de « pédagogie Freinet » clés en main, mais plutôt un parcours balisé par des idéaux sociaux et politiques au service desquels sont expérimentées des techniques. Et ce sont les articles parus en revues qui permettent de suivre ce cheminement.
La collaboration de Célestin avec L’École émancipée dure jusqu’en 1934, date à laquelle il se brouille avec la revue. On peut considérer que, durant cette période, Freinet y concentre l’essentiel de ses réflexions théoriques. En 1922-1923, il commence à partager les expériences pédagogiques qu’il découvre. Comme le fonctionnement des écoles dans la région d’Altona, en Prusse. Il est exalté par les conditions matérielles dans lesquelles travaillent les enfants, par l’adaptation du mobilier scolaire à leur taille et par la liberté laissée aux enseignants dans leurs pratiques. Mais c’est son voyage en Russie (1925-1927) qui lui inspire le plus de réflexions — dix-huit articles. Il en félicite « la belle route », à savoir le fait que la révolution ait doté l’école d’une vision et d’un but à atteindre : la libération de l’humain dans une nouvelle société. Il en saisit ce qui définit une école du peuple et une pédagogie prolétarienne. Il y a observé une école comme laboratoire, avec l’individualisation des activités des enfants, une attention portée à la liberté et au self government (« autonomie »), expérimentée comme une vie sociale et politique. Toute la classe est active, les examens sont supprimés et on privilégie le travail en plein air, manuel, industriel et agricole, ainsi que la coéducation. Il confie son « émerveillement » : « L’école russe, qui est vivante, n’est neutre ni au point de vue politique ni au point de vue religieux. Elle prépare loyalement le citoyen de la République (…)
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Laurence De Cock
Professeure d’histoire-géographie. Auteure d’Une journée fasciste. Célestin et Élise Freinet, pédagogues et militants, qui vient de paraître aux éditions Agone (Marseille) et dont ce texte est extrait.