la supercherie de « l’hydrogène vert ». Par Vincent Held – Les moutons enragés


Sur le blog de Liliane Held-Khawamn publié le 24 juin 2025

Emmanuel Macron, le président qui avait décrété « la fin de l’abondance » de l’eau potable en août 2022, est également aux avant-postes du développement de « l’hydrogène vert ». Et c’est bien naturel, puisque l’imposant projet de réseau de « pipelines à hydrogènes » de l’UE servira en réalité à pomper des millions de m3 d’eau potable des régions montagneuses européennes vers les grands ports commerciaux du continent.

Dans la première partie de ce dossier, nous constations que les multinationales de l’eau en bouteille – à commencer par Nestlé et Coca-Cola – affichent ouvertement leur intention de s’accaparer les ressources en eau potable européennes pour les exporter, notamment, vers la Chine et l’Inde. Des pays où l’eau potable commence à se faire rare, dans les mégapoles aux nappes phréatiques hyper-polluées.

Nous y observions également que les autorités publiques concernées (UE, Confédération suisse…) soutiennent activement cette démarche prédatrice. Quitte à envisager d’imposer une taxation punitive sur la consommation d’eau courante, afin d’en limiter l’utilisation !

« Quel est le problème de l’eau bon marché ? Elle n’incite pas à un contrôle des comportements et ne génère pas suffisamment de revenus…«  (« Combien l’eau devrait-elle coûter ?« , Chambre de commerce de l’UE en Chine, septembre 2012) [1]

Car il est de fait que, contrairement à ce que laissent parfois entendre certains compte-rendus médiatiques, l’Europe regorge de formidables ressources en eau potable !

La « remontée de la nappe phréatique » en Moselle-Est… Malgré un pompage supposément trop intensif de cette eau « d’excellente qualité » et qui peut être bue sans traitement, l’aquifère en question présente des excédents annuels qui se comptent en millions de m3, c’est-à-dire en milliards de litres ! Or, l’eau en bouteille se vend bien souvent à plusieurs euros le litre…

POTENTIEL COMMERCIAL – En dépit des discours alarmistes tenus notamment par certains médias suisses, les régions de « l’espace alpin » ne sont nullement menacées par une quelconque « pénurie d’eau ». Elles offrent au contraire de formidables opportunités en termes d’exportation de l’eau potable ! (Image : Université d’Erlangen-Nuremberg / EUSALP)

Se pose dès lors la question du transport de cette précieuse ressource, en particulier des régions montagneuses européennes, notoirement riches en eau potable, vers des ports en eau profonde tels que ceux de Marseille, Amsterdam, Rotterdam, Anvers ou encore Livourne et Ravenne (Italie). Car l’idée est bien, ici, d’envoyer des dizaines de millions de mètres cubes d’eau potable par tanker aux quatre coins du monde !

C’est d’ailleurs ce qui explique la participation de compagnies pétrolières telles que BP et Shell à des groupements d’intérêts tels que le Water Resources Group. Un lobby de l’eau en bouteille mené par Nestlé, Coca-Cola, Veolia, etc. – et qui vise précisément à développer ce juteux commerce à l’échelle mondiale.

Un marché qui devrait dépasser les 500 milliards de dollars d’ici 2030… la demande d’eau en bouteille ne cesse de croître de par le monde, à mesure que des pays comme la Chine et l’Inde poursuivent le saccage de leurs propres cours d’eau et nappes phréatiques, au nom d’impératifs industriels…

Dès 2009, une étude du cabinet de conseil McKinsey réalisée avec le Water Resources Group, avait identifié les quatre marchés prioritaires suivants pour les exportations d’eau potable : l’Inde, la Chine, le district de Sao Paolo au Brésil – et l’Afrique du Sud.

Mais comment transporter de telles quantités d’eau jusqu’aux grands ports commerciaux européens ? Car il faut bien constater que la cargaison d’un seul tanker correspond à la capacité d’emport de milliers de camions-citernes… Et les navires-citernes fluviaux ne peuvent pas aller partout !

De telle sorte que le développement d’un important réseau de pipelines apparaît comme la condition incontournable d’une exploitation à grande échelle des ressources européennes en eau potable.

C’est ainsi qu’il nous faut nous pencher sur le projet « stratégique » de réseau de pipelines à hydrogène de l’UE : le « European Hydrogen Backbone » (EHB). Un chantier pharaonique qui présente bien souvent des caractéristiques techniques pour le moins décalées…

Industrie européenne de l’hydrogène : des incohérences narratives flagrantes !

Prenez par exemple le SoutH2Corridor, un projet de pipeline qui fait partie intégrante du « European Hydrogen Backbone ». Or, à en croire son descriptif commercial, ce gigantesque pipeline devrait être construit pour convoyer de non moins considérables quantités d’hydrogène « vert » (donc produit avec de l’électricité) de Tunisie (!) vers les campagnes autrichiennes et bavaroises !

Il faut bien comprendre, par ailleurs, que la production des quantités d’hydrogène annoncées pour ce seul projet (plus de 4 millions de tonnes par an !) nécessiterait l’emploi, 24h/24, d’une puissance électrique de l’ordre de 24 GW. Soit l’équivalent de 24 bons réacteurs nucléaires ! [2]

Un chiffrage pour le moins fantasque, alors que l’Allemagne dépend aujourd’hui de vieilles centrales à charbon pour pallier la fermeture de ses centrales nucléaires…

Un certain nombre de centrales à charbon supposément « fermées » en mars 2024 sont en réalité gardées « en réserve » par l’État allemand… qui les aura d’ailleurs réactivées dès l’hiver suivant ! (Image : Straits Times / Google Translate)

Ces limitations énergétiques pourtant assez évidentes, n’empêchent cependant nullement les projets de pipelines à hydrogène européens de recevoir des financements publics par dizaines de milliards d’euros !

Qui plus est, ces coûteux chantiers ne semblent pas particulièrement viser les régions industrielles, où se consomme effectivement l’hydrogène, mais plutôt des régions montagneuses, riches en eau douce…

Comme c’est par exemple le cas avec le projet national « d’hydrogénoducs » portugais « Portuguese Hydrogen Backbone« , qui fait partie intégrante du projet « H2Med » (« cofinancé par l’UE »), et qui débouchera en plein… sur le petit village montagnard de Monforte (3’000 habitants) !

Un véritable pueblo de Western qui n’a certes ni industrie ni réseau de transports publics à « décarboner », mais qui appartient en revanche au district de Portalegre. Une région campagnarde qui se trouve être directement reliée – par un système de tuyaux qui ne figurent sur aucune carte, au barrage de l’Alqueva, pourtant situé une bonne centaine de km plus loin ! Or l’on parle bien là du « plus grand lac artificiel d’Europe occidentale », avec une contenance maximale de quelque 5 milliards de m3 d’eau ! [3]

Après 2030, Monforte devrait encore se voir relier par des « hydrogénoducs » supplémentaires aux ports commerciaux de Figueira de Foz et de Sines, d’où ses productions croissantes « d’hydrogène vert » – ou d’eau potable – pourront être expédiées dans le monde entier par tanker en encore plus grandes quantités ! (Image : European Hydrogen Backbone / Guidehouse)

Mais il nous faut maintenant quitter les bords ensoleillés de la Côte atlantique pour nous tourner vers les régions alpines, elles aussi porteuses de riches enseignements.

Autriche : des cavernes imaginaires au bord de lacs cristallins !

Car croyez-le ou non, le site officiel de « l’initiative » European Hydrogen Backbone (EHB), soutenue par la Commission de l’UE, place l’essentiel de la « demande » en hydrogène européenne (points verts sur la carte ci-dessous)… en pleines Préalpes bavaroises et autres régions agricoles et touristiques autrichiennes (Carinthie, Burgenland…) !

Demande d’hydrogène ? Ou plutôt offre d’eau potable ?!

De fait, ces contrées paisibles se trouvent être ornées de nombreux lacs « à très grande qualité d’eau », tels que le magnifique Traunsee, dont la contenance dépasse les 2 milliards de m3 – et dans lequel des « canalisations d’eau potable » viennent directement puiser cette précieuse (et abondante) ressource…

Ou encore le Chiemsee, d’une contenance et d’une qualité d’eau similaires, et au bord duquel la société slovaque Nafta est pressentie pour installer une « station de stockage de l’hydrogène ». Non sans y avoir déjà exploité des puits creusés par « forage horizontal » et menant notamment « sous » le lac lui-même ! [4] (Nota : la station se situe littéralement à 500m du bord du lac.)

« L’une des caractéristiques [du site de Breitbrunn/Eggstät, au bord du Chiemsee] est que tous les puits partent du même endroit et sont dirigés horizontalement. » (La société Nafta, à propos du site en question)

La discrète PME allemande ITAG, experte du forage horizontal, en train d’œuvrer sur le site aux alentours de 2010. On notera que si la station est « gérée » par la société slovaque Nafta, les installations souterraines, elles, sont « opérées » par la société Uniper. Laquelle se trouve être contrôlée par… l’État allemand, rien de moins ! (Photo : « Gasförderung am Chiemsee » / Gegen-gasbohren.de)

Et pour le cas où le lecteur aurait encore des doutes quant à la nature de telles installations (présentées comme des « champs gaziers » ou des « réservoirs à gaz » qui devraient être reconvertis en « réservoirs à hydrogène » pour cause de « transition énergétique »), nous allons maintenant entreprendre de les dissiper.

Pour cela, tournons donc nos regards du côté de l’Attersee, un lac du nord de l’Autriche dont le volume frôle pour sa part les 4 milliards de m3 – et dont le contenu présente, là encore, « la qualité de l’eau potable » (Trinkwasserqualität) !

Or, voilà que la société autrichienne RAG, qui exploite par ailleurs un réseau « d’hydrogénoducs » déjà opérationnels, vient justement d’établir une installation consacrée à la « production et au stockage d’hydrogène » à proximité immédiate dudit Attersee ! [4]

De telle sorte que l’hydrogène en question est censé être produit « par électrolyse » dans une installation aux allures de cabanon champêtre – avant d’être stockée « en sous-sol », dans des « réservoirs à gaz souterrains naturels » !

DE L’EAU DANS LE GAZ – A en croire le site spécialisé Offshore Technology, le « champ gazier » de Rubensdorf aurait connu un pic d’exploitation en 2014 avant de se retrouver subitement épuisé en 2017. Il semblerait d’ailleurs que tous les « champs gaziers » de la région aient connu un destin similaire au cours des dernières années. Dont notamment celui de Breitbrunn/Eggstätt (au bord du Chiemsee, cf. ci-dessus). Ou encore celui de Puchkirchen, également opéré par RAG et relié par pipeline à celui de Rubensdorf. Un assèchement généralisé qui sera donc intervenu juste au moment où ce réseau « gazier » entamait sa reconversion en réseau de distribution « d’hydrogène vert » !

Des histoires pour enfant donc, et dont le caractère loufoque devient flagrant lorsque l’on considère le fait que l’entreposage d’hydrogène dans des « cavités naturelles » présente des risques bien connus de contamination des nappes phréatiques (et autres terres agricoles environnantes). Car les sols naturels se trouvent contenir certaines bactéries qui, lorsqu’elles sont exposées à l’hydrogène, se mettent à produire des gaz hautement toxiques – et, de surcroît, corrosifs pour les conduits d’extraction.

Or, en plus de confirmer la présence desdites bactéries ainsi que des gaz toxiques correspondants dans les échantillons prélevés au cours des essais, voilà que le « rapport final » de RAG sur la faisabilité du projet faisait justement état de problèmes de « corrosion » dans la tuyauterie de son « réservoir-test » ! [5] Des « fuites suspectées » ayant même eu lieu au cours des tests réalisés en laboratoire, qui offraient pourtant un cadre d’expérimentation plus maîtrisé… [6]

C’est donc sur la base de cette étude quelque peu alarmante – et qui présente en outre un certain nombre de zones d’ombres embarrassantes (voir la note précédente), que RAG Austria aura reçu l’autorisation de mettre en service les stations de « stockage souterrain de l’hydrogène » de Rubensdorf et Pilsbach ! Et ce, sans réserve aucune !

Comme si les pouvoirs publics concernés avaient voulu réunir les conditions d’un désastre environnemental aussi spectaculaire que prévisible.

Ou plutôt : comme s’ils avaient la certitude que les « opérations souterraines » des stations en question ne présentaient de toute manière aucun risque de contamination, par le fait même que celles-ci ne serviraient jamais à stocker d’hydrogène dans quelque « cavité naturelle » que ce soit !

RAG Austria représente le maillon autrichien d’un flux qui part des Carpathes ukrainiennes et s’écoule ensuite en pente descendante vers les grands ports commerciaux de la Mer du Nord. Un système qui débouche d’ailleurs de Bavière (ou de Tchéquie) sur des pipelines majoritairement détenus par la société OGE, propriété de fonds d’investissement anglo-saxons (Blackrock, State Street, Vanguard, etc.) – et qui contrôle ainsi la capacité de Bayernets (Uniper), RAG et autre NAFTA à faire déboucher leurs productions sur le vaste monde…

Alors que « l’Hydrogen Valley » ukrainienne est censée se trouver en Transcarpathie (Zakarpattia), le véritable point d’aboutissement de l’European Hydrogen Backbone (EHB) se situe dans la partie occidentale de la province d’Ivanofrankivsk. Et justement dans une zone comportant d’immenses aquifères, d’ailleurs étudiés dans de nombreuses publications académiques. Sans trop de surprise, l’on y trouve également un certain nombre de « réservoirs naturels de stockage de gaz », opérés par la société Ukrnafta – et donc contrôlés par l’État ukrainien… qui vient de signer un accord sur l’exploitation « d’hydrogène vert » avec la société RAG, précisément ! (Image : European Hydrogen Backbone – European Hydrogen Infrastructure Map)

A ce stade, l’on ne peut évidemment qu’être émerveillé d’apprendre que quelque 20 milliards d’euros de fonds publics vont être absorbés en Allemagne par OGE, Bayernets, etc., pour « transformer » leurs réseaux de distribution de « gaz naturel » respectifs en « pipelines à hydrogène »…

Mais outre le siphonnage de fonds publics par des entreprises aux pratiques pour le moins douteuses, la « transition » vers l’hydrogène présente un autre avantage majeur, à savoir : la promesse de pouvoir ouvrir de nouvelles stations de pompage, là où aucun « réservoir naturel de gaz » n’existait auparavant.

C’est ici qu’intervient la sympathique fable de « l’hydrogène blanc ».

France : la quête de « l’hydrogène blanc » passe par le forage des nappes phréatiques !

On se souvient en effet qu’en cours d’année 2023, la découverte de « gigantesques gisements d’hydrogène branc » en Moselle avait été annoncée en fanfare – et pas uniquement dans la presse française ! Car il apparaissait que, dorénavant, il suffirait de creuser pour trouver de vastes réserves « d’hydrogène naturel ». Et que l’on pourrait bientôt employer ces considérables ressources à la réalisation de la sacro-sainte « transition énergétique ».

H2 ou H2O ? – si la réalité des « gigantesques réserves d’hydrogène naturel » de Moselle reste toujours à démontrer deux ans après cette « découverte historique », il est en revanche avéré que les forages de Folschviller traversent les nappes phréatiques dites des Grès du Trias inférieur (GTI) de Lorraine, qui s’étendent jusqu’en Allemagne voisine.

(Images : Agence de l’Eau Rhin-Meuse, Atlas hydrogéologique du bassin Rhin-Meuse, 2012 / SAGE Bassin Houiller)

C’est ainsi que la municipalité de Forbach précise par exemple, que les eaux pompées directement dans ces aquifères sont utilisées sans « aucun traitement » autre que le niveau minimal de « chloration préventive imposée par le plan Vigipirate ». Soit une mesure imposée par la législation nationale – et uniquement destinée à anticiper le risque d’une contamination de l’eau à l’occasion d’un acte terroriste !

L’eau puisée en Alsace et Moselle est la plupart du temps potable. (Site web du Syndicat des Eaux et de l’Assainissement d’Alsace-Moselle)

Les forages consacrés à « l’hydrogène blanc » dans la commune de Folschviller traversent donc des nappes phréatiques qui offrent naturellement, là encore, « la qualité de l’eau potable » ! Ce qui représente évidemment un atout de poids du point de vue de l’exploitation commerciale de ces aquifères incomparablement plus abondants que ne l’auront parfois laissé entendre certains médias régionaux.

« La nappe de grès du Trias inférieur est la réserve principale de Lorraine. […] Dans sa partie captive, seuls 150 milliards de mètres cubes sont exploitables pour l’eau potable […] Cette nappe qui […] fournit des eaux de très bonne qualité, est fortement sollicitée […] Actuellement, avec l’arrêt [de l’exploitation des mines de houille de Lorraine], les niveaux remontent lentement. » (Direction générale de l’environnement, de l’aménagement et du logement du Grand Est« Ressources en eau et nappes souterraines », juin 2016)

De fait, des forages d’eau potable sont également recensés à Folschviller, St Avold, Porcelette et Diesen, qui ne semblent pas non plus devoir traiter leurs eaux au-delà des minima légaux. (Images : Observatoires / Selectra)

Dans l’hypothèse où les stations de captage de Folschviller seraient en fin de compte employées à l’extraction d’eau potable plutôt que « d’hydrogène blanc », il y aurait toutefois besoin d’un pipeline pour acheminer celle-ci de Lorraine vers les ports de la mer du Nord. Et pourquoi pas en suivant le tracé du mosaHYc, un projet « d’hydrogénoduc », qui doit justement permettre d’acheminer les productions de la région vers les ports d’Anvers, Rotterdam ou Amsterdam, via le Luxembourg.

On relèvera d’ailleurs que le conduit en question doit passer par la petite bourgade de Diesen (1000 habitants), dans l’arrondissement de Forbach, ainsi que par Saint-Avold. Deux communes qui se situent précisément, elles aussi, juste au-dessus des précieux (et abondants) aquifères du Grès du Trias de Lorraine ! (Où elles puisent d’ailleurs directement leur eau courante, cf. plus haut.)

Le mosaHYc : un projet « d’hydrogénoduc » qui doit relier le bassin « d’hydrogène blanc » de Moselle aux grands ports commerciaux européens et à leurs flottes de tankers. (Image : natrangroupe)

Il peut d’ailleurs paraître significatif que ce projet « d’hydrogénoducs » ait été annoncé en mai 2020 déjà, soit plus de deux ans avant la découverte du fameux « gisement » de Folschviller ! On notera par ailleurs que dès 2020, il était prévu que le petit village de Carling (3000 habitants) soit également intégré à ce réseau, alors même qu’un projet d’électrolyseur (c.-à-d. une usine de production « d’hydrogène vert ») n’y a été annoncé qu’en 2023 par la société Verso Energy… laquelle n’a du reste elle-même été fondée qu’en juin 2021, soit une bonne année après l’annonce du tracé du mosaHYc ! Autant dire que la narration autour de la production d’hydrogène dans cette région présente, là encore, quelques faiblesses embarrassantes…

(On remarquera pour l’anecdote que la bourgade de Carling, étant placée juste à côté de Diesen, est – elle aussi – assise sur la nappe phréatique du Grès du Trias de Lorraine.)

EFFET DE MODE – Depuis la piteuse affaire de la Moselle, les « découvertes » supposées « d’hydrogène blanc » se multiplient en Europe. Et en particulier dans des régions riches en ressources hydriques qui, une fois les gisements trouvés, pourront évidemment être reliées par pipeline au réseau européen. D’ici là, n’oubliez pas de remplir votre gourde d’hydrogène la prochaine fois que vous passerez par les montagnes suisses !

Siphonnage de l’eau potable européenne : et les compagnies pétrolières dans tout cela ?

Mais laissons de côté la tragicomique fable de « l’hydrogène blanc », et jetons un œil aux régions où est censé être fabriqué ce fameux « hydrogène vert » européen, pour lequel l’on construit tant de si coûteux pipelines. Car il faut bien en convenir, l’essentiel des usines destinées à la production européenne d’hydrogène est concentrée dans les zones côtières (points oranges ci-dessous). Et ce en particulier à proximité de ports en eaux profondes (pouvant donc accueillir des tankers) tels qu’Amsterdam, Rotterdam, Anvers, Hambourg, Wilhelmshaven, Marseille, Dunkerque, Gêne, Livourne…

Il faut dire qu’au cours des dernières années, nombre de compagnies pétrolières se sont subitement mises à construire d’énormes électrolyseurs (c.-à-d. les machines utilisées pour fabriquer de l’hydrogène à partir d’eau douce par activation électrique) à proximité immédiate des grands ports commerciaux européens…

C’est ainsi que BP opère, depuis quelques années déjà, un électrolyseur censé être capable d’absorber 500 MW (soit la moitié de la puissance d’un gros réacteur nucléaire !) à Teesside, ville portuaire britannique qui abrite l’un des plus importants terminaux pétroliers du pays ! Ou alors prenez Total, qui a notamment lancé un projet similaire avec l’aide d’Engie (alors propriétaire du groupe Suez…), à deux pas du port de Marseille ! Ou encore Shell, qui construit actuellement un gigantesque électrolyseur à proximité du port de Rotterdam, auquel il sera d’ailleurs relié par un « pipeline spécial » !

Or, comme on l’aura compris, il n’est nullement certain que le pipeline en question soit destiné à pomper de l’hydrogène plutôt que de l’eau…

Comme nous l’avons déjà expliqué dans l’épisode précédent en effet, ces divers projets sont menés par des sociétés membres du Water Resources Group. Une sorte de lobby de l’eau en bouteille sponsorisé par la Confédération suisse – et qui affiche précisément l’objectif d’expédier de formidables quantités d’eau potable par tanker, là où elle sera le mieux « valorisée » (Chine, l’Inde, Moyen-Orient, etc.).

On notera d’ailleurs qu’il est parfaitement normal pour un électrolyseur d’être alimenté en eau douce (dont l’hydrogène doit ensuite être extrait par électrolyse), de telle sorte que les conduits correspondants y sont bien évidemment intégrés. De même qu’il ne surprendra personne qu’une telle installation soit reliée à un pipeline à hydrogène… lequel pourrait aussi bien servir à expédier de l’hydrogène produit sur le site qu’à pomper de l’eau, pour la rediriger ensuite vers des tankers mouillant à proximité immédiate. Et ce, sans que grand-monde ne s’en rende compte…

Car il faut bien se poser la question : comment ces entreprises comptent-elles expédier de l’eau potable par tanker aux quatre coins du monde, si ce n’est en commençant par en acheminer des centaines de milliers (et même plutôt des millions, voire des dizaines de millions) de m3 à proximité de grands ports commerciaux européens ?

SPOILER ALERT – Les projets d’électrolyseurs en question se situent à Rotterdam et dans la province néerlandaise du Zeeland, à proximité immédiate du port d’Anvers.

Et de toute manière : comment faire accepter aux populations européennes l’idée de réduire drastiquement leur consommation d’eau potable si celles-ci sont conscientes, dans le même temps, que les ressources ainsi « économisées » sont en réalité vendues outre-mer par des multinationales ? Et que celles-ci génèrent ainsi des milliards sur leur dos !

Comme dans beaucoup d’autres domaines, la vérité est donc ici nécessairement impossible à dire.

« La soif d’eau croissante de la Chine suscite un tollé. Des entreprises pompent l’eau des nappes phréatiques en Nouvelle-Zélande et en Australie [en pleine sécheresse] provoquant des manifestations. » (The Wall-Street Journal, septembre 2019)

Quelques recommandations pour conclure

Si le lecteur aura sans doute découvert ici des réalités très éloignées de ses représentations habituelles, il faut bien être conscient du fait que la mise en place d’un système de commerce de l’eau à l’échelle mondiale avait été annoncée dès les années 1990 par la Banque mondiale :

« En 1996, John Hayward, alors directeur des ressources en eau de la Banque mondiale, déclarait : ‘D’une manière ou d’une autre, l’eau sera transportée [à l’avenir] dans le monde entier comme c’est le cas avec le pétrole aujourd’hui’. » (Reuters, août 2007)

De telle sorte que l’idée d’après laquelle d’imposants systèmes de pipelines servent, depuis bien des années déjà, à convoyer des millions de m3 d’eau potable vers les ports commerciaux européens, n’a en soi rien de très surprenant.

S’il peut paraître légitime que l’Europe cherche à valoriser le potentiel commercial de ses formidables ressources en eau potable (cf. les débordements de nappes phréatiques en Moselle), l’attitude générale adoptée par les entreprises et pouvoirs publics concernés apparaît ici hautement problématique. Une certaine constance dans la propension au pillage et à la duperie ayant pu être observée au sein des milieux en question, il paraît dès lors fort douteux que les pays européens puissent faire l’économie, à l’avenir, d’un cadre réglementaire strict – ainsi que de mécanismes de surveillance crédibles en la matière.

Indépendamment de cela, une communication claire quant aux activités des entreprises impliquées dans l’exploitation des eaux de chaque région/commune paraît dans tous les cas hautement souhaitable. La rareté des cartes régionales présentant clairement les diverses installations (notamment hydroélectriques) présentes sur un territoire donné – ainsi que les flux d’écoulement des eaux correspondants, nous paraît être un indicateur éloquent d’une certaine déficience systémique en la matière. De même qu’il paraît souvent fort difficile de trouver des cartes compréhensibles – et des informations fiables – quant aux emplacement, volume et qualité de l’eau des nappes phréatiques, dès lors qu’elles présentent le moindre intérêt commercial.

Quant à ceux qui s’étaient demandés à l’époque (2008) à quoi pouvait bien rimer la fusion entre Gaz de France (spécialiste notamment du transport de gaz par pipelines) et Suez (mastodonte de la gestion des eaux), nous espérons leur avoir fourni un début de réponse.

Vincent Held

Références

[1] « Water in China: Everywhere and Nowhere », EURObiz (Journal of the European Union Chamber of Commerce in China), septembre/octobre 2012.

[2] Ainsi qu’une consommation d’eau douce de plus de 100 millions de litres par jour… puisqu’il s’agit de la matière à partir de laquelle on fabrique l’hydrogène « vert » !

[3] On notera d’ailleurs que, si les eaux de l’Alqueva nécessitent un traitement afin d’atteindre le niveau de qualité requis pour leur embouteillage, la région montagneuse entre Monforte et Celorico da Beira (les deux stations affichées par le projet de pipelines portugais) regorge en stations de traitement de l’eau potable. Avec de petites communes rurales qui, à coups de subventions européennes (chiffrées en millions d’euros), possèdent aujourd’hui des capacités de production d’eau potable suffisantes à la subsistance de centaines de milliers de personnes !

Ainsi de la pittoresque bourgade de Sabugal (12’000 habitants pour 820 km2), dont la station de traitement des eaux (6,5 millions d’euros en 2005 + 4 mio. en 2021), d’ailleurs inaugurée en grande pompe par le ministre de l’Environnement, est réputée desservir quelque « 31’000 habitants ». Or, son débit annoncé de 16’800 m3/jour suffirait à répondre aux besoins de 110’000 personnes !

Ou alors prenez la petite ville provinciale de Castelo Branco (52’000 habitants pour 1’400 km2), située en pleine pampa, à proximité immédiate de la frontière espagnole. Or, sa station d’épuration (Santa Agueda / 4 mio. d’euros) offre un débit de 52’800 m3/jour, soit de quoi couvrir les besoins de 350’000 personnes !

Et de même avec la station de Caldeirão (11 millions d’euros pour un débit évalué à 26’400 m3/jour), qui dessert la collectivité rurale de Guarda (40’000 personnes réparties sur 710 km2), malgré une capacité annoncée (et peut-être quelque peu sous-évaluée) correspondant aux besoins de 176’000 personnes.

Et ainsi des stations de Monte Roxo (ETA Apartadura), de Campo Maior (ETA do Caia), de São João Batista (ETA da Póvoa), de Sitio Alto Vigia (ETA de Vigia), de Herdade da Tesoureira (ETA de Monte Novo), de Pinhel (ETA da Vascoveiro), ETA da Capinha…

Au final, les capacités de production d’eau potable dans ces régions reculées (dont l’ensemble des systèmes de distribution d’eau se trouvent être gérés par la société Águas do Vale do Tejo) atteignent ainsi des surplus qui se comptent à tout le moins en dizaines de milliers de m3 par jour. Pour ce que l’on en sait.

*Cf. PLANO DIRECTOR MUNICIPAL – MUNICÍPIO DE ÉVORA, VOLUME I – DIAGNÓSTICO, DEZEMBRO 2007.

[4] La station de Rubensdorf, située sur la commune de Gampern, se trouve au Nord-Est de l’Attersee, à moins de 4 km en ligne droite des stations de pompage (Pumpwerke) PW Seewalchen I, II, III et IV, opérées par l’association Reinhaltungsverband Attersee (cf. ci-dessous).

Pour l’anecdote, on notera qu’en 2009, la petite commune de Weyregg (1’500 habitants) se sera vue gratifier d’une canalisation longue de 2,6 km et passant à travers le lac pour être reliée au village d’Attersee (1’600 habitants), située sur l’autre rive. Le tout pour la modique somme de 885’000 euros ! Car bien qu’elle soit équipée de six (!) stations de pompage donnant directement dans le lac – en plus d’être reliée à un réseau déjà passablement surdimensionné, cette petite station de vacances se retrouvait « en manque d’eau » durant l’été ! Il fallait donc aller chercher l’eau du lac sur l’autre rive pour la ramener au bon endroit…

Il semblerait donc que ce soit sur la base de telles sornettes que les petites communes riveraines du lac ont déjà allongé pas moins de 63 millions d’euros (!) à cette œuvre dont elles ne sont certainement pas les seules à tirer les bénéfices !

[5] Comme l’indique le collectif allemand Gegen Gasbohren, qui aura fait parvenir au gouvernement bavarois une pétition populaire « massive » à cette effet en fin d’année 2011.

[6] Le « rapport final » de RAG Austria publié en 2021* sur les expérimentations conduites exclusivement (!) sur son site-test de Lehen relevait en effet que : « The well was flushed with 40.000 Nm³ of natural gas to establish a layer of corrosion inhibitor on the casing. When reproducing the gas hydrogen broke through almost immediately. »

Or, l’on se demande bien à quoi pourrait servir l’application de cette supposée « couche anti-corrosion » sur le gainage (casing) du puits, si celui-ci était effectivement adapté à l’exploitation de l’hydrogène…

Il faut dire que, dans un premier « rapport final » déjà publié en 2017**, RAG avait constaté des problèmes d’étanchéité pour tous les conduits métalliques examinés lorsque ceux-ci étaient exposés à des sulfides d’hydrogènes (H2S) : « The introduction of test gases containing H2S into the respective test media, on the other hand, led to a massive reduction in elongation at break and to increased hydrogen absorption. »

Or, ces gaz aussi corrosifs que toxiques sont notoirement formés par certaines bactéries lorsqu’elles sont exposées à l’hydrogène : « The only remaining risk from the addition of hydrogen is the proven increase in microbiological activity in the geological system and represents a pure financial risk for the company. Any impairment of the safety of the plant or personnel can be ruled out. The only exception would be a sulfate reduction by special bacteria which could lead to hydrogen sulfide generation in the reservoir.« 

Il y a ainsi quelque raison de penser que RAG pourrait avoir tenté de remédier à ce problème, par ailleurs bien documenté dans la littérature académique, via l’injection de biocides dans son réservoir-test. « A l’été 2018 », des analyses de sols prélevés à l’intérieur dudit réservoir par l’Université BOKU de Vienne y avaient en effet mis en évidence « une cessation [totale] de l’activité microbienne ». Suite à quoi RAG aurait tenté de « raviver les transformations microbiennes » à l’intérieur de son puits… sans rire !

A toutes fins utiles, l’on relèvera encore que les conduits « L80 », présentés comme « adaptés à la génération d’énergies renouvelables » dans le rapport de 2021, étaient en revanche clairement identifiés comme inadéquats pour l’exploitation de puits d’hydrogène souterrains dans le rapport de 2017 : « The low pH-value of the medium and the H-absorption, increased by the catalytic effect of hydrogen sulphide, lead to a very rapid embrittlement of the L80. »

Sans compter le fait que la surveillance des installations souterraines (corrosion, etc.) et des gaz qui s’en échappaient semble avoir été abandonnée, au cours des essais en question, à la pleine discrétion de la seule RAG Austria. La société TÜV Austria s’étant contentée, d’après ses propres dires, d’auditer par la suite des aspects en lien avec la « machinerie » et les « questions de pression » des installations concernées (et ce, par un inspecteur apparemment plus habitué à traiter avec des « chaudières à pression » qu’avec des puits souterrains emplis de gaz toxiques). Il peut en outre paraître surprenant que TÜV ait indiqué avoir « audité le premier site de stockage d’hydrogène dans le monde » (sans d’ailleurs préciser lequel), alors que RAG avait alors déjà inauguré deux sites de « stockage », l’un à Rubensdorf – et l’autre à Pilsbach.

Enfin, on notera que la validité de certains des résultats produits par RAG à l’appui de la viabilité de son projet de « stockage souterrain de l’hydrogène » auront été très largement mises en doute dans diverses publications scientifiques indépendantes. Comme par exemple celle-ci, publiée par la revue Earth-Science Review (Elsevier) : « Experience from industry on the ongoing hydrogen storage projects show that the percentage of hydrogen consumption [through microbial reactions] ranges from 3% for the Underground Sun Storage project in Austria […] to 45–60% for an underground town-gas reservoir near Lobodice, Czech Republic. The evidence of microbial activities were also reported by other projects in France and Argentina. While the conversion of hydrogen and contamination due to microbial activities can significantly impact hydrogen cycling efficiency and increase the cost of reproducing gas, it falls beyond the primary scope of this work, which focuses on storage integrity. […] The safe storage and cycling of hydrogen in depleted gas reservoirs require the preservation of high stability and integrity in the caprock, reservoir, and wellbore […] There exists a significant gap in the current research concerning storage integrity in underground hydrogen storage within depleted gas reservoirs. »

*Cf. « Underground Sun Conversion – Final Report », RAG Austria, 23/12/2021.

**Cf. « Underground Sun Storage – Final Report », RAG Austria, 31/10/2017.

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