• ven. Sep 20th, 2024

Les pays baltes, champions européens de l’agriculture biologique


Skrīveri (Lettonie), reportage

À la ferme Ragares, sur les hauteurs du petit village de Skrīveri en Lettonie, Jānis Vaivars montre les branches des pruniers qui ploient sous le poids des fruits jusqu’à toucher le sol. « Cette année, les conditions météorologiques ont été très difficiles, malgré tout, nos récoltes n’ont jamais été si abondantes », commente l’agriculteur de 38 ans. Son cas est loin d’être rare : partout dans le pays, l’agriculture bio vit de beaux jours.

En ce mois d’août particulièrement ensoleillé, sa ferme en agriculture biologique — 7,5 hectares, dont environ la moitié de terres agricoles — a des airs de jardin d’Eden : au-delà des vergers bien garnis et d’une allée d’arbustes à minikiwis particulièrement goûteux, le terrain en pente offre une vue dégagée sur la rivière Daugava. Ici, radieuses courges et courgettes côtoient maïs et haricots, non loin d’une parcelle de menthe.

Un peu plus haut, six grandes serres accueillent les cultures de l’été : tomates, radis, poivrons, salades, fenouil, basilic… Toutes les plantations sont réalisées selon un agencement savamment réfléchi et expérimenté au fil des années, avec un principe phare : que la terre ne reste jamais à nu. « Dès qu’une récolte est terminée, une autre culture est mise en place », explique Jānis Vaivars, cheveux blonds et teint hâlé.

La ferme Ragares, exploitation en agriculture biologique à Skrīveri en Lettonie.
© Estelle Levresse / Reporterre

Située à environ 80 km de la capitale Riga, la ferme Ragares a été fondée en 1992, juste après l’indépendance retrouvée de la Lettonie. Jānis Vaivars l’a héritée de ses grands-parents, des pionniers de l’agriculture biologique dans ce petit pays de 1,9 million d’habitants.

« À l’époque soviétique, ma grand-mère Mara était chercheuse à l’institut scientifique local. Elle a fait des expériences officieuses sur ce terrain dès les années 1970-1980 sur la façon de cultiver sans engrais. Quand ils ont démarré la ferme avec mon grand-père, le terrain était presque abandonné, avec un sol terrible. L’époque était très dure, mais ils étaient tous les deux passionnés de la terre et des plantes », relate le petit-fils. Sa grand-mère a laissé de nombreuses recettes de tisanes, tirées de sa longue expérience et de ses connaissances des plantes médicinales.

À la tête du domaine agricole depuis 2008, Jānis Vaivars confie avoir énormément appris de ses grands-parents. Il s’en occupe aujourd’hui avec sa compagne, Elīna Skudra, architecte de formation, qui a laissé tomber son métier pour le rejoindre. « On fait tout ensemble, c’est plus efficace et plus intéressant aussi », dit l’agriculteur. Au total, la ferme Ragares fait pousser chaque année entre 100 et 150 cultures différentes (fruits, légumes, fleurs, herbes aromatiques, baies, etc.) et produit également épices et tisanes.

« C’est intense pour une ferme en bio, mais c’est ce qui nous permet d’avoir un modèle durable et de pouvoir faire face aux aléas climatiques, sans être dépendants d’une seule culture, dit Jānis Vaivars. Trente années de travail acharné ont été nécessaires pour en arriver là. » 95 % de la production est écoulée en vente directe (marchés, restaurateurs, livraisons, etc.).

Jānis Vaivars sur son exploitation en agriculture biologique à Skrīveri, en Lettonie.
© Estelle Levresse / Reporterre

Bons élèves

Si cette ferme bio se porte si bien, c’est que, au sein de l’Union européenne, qu’ils ont rejointe en 2004, les pays baltes portent une attention particulière aux questions environnementales et climatiques. Ils font ainsi partie des très bons élèves en matière d’agriculture biologique. Parmi les pays les plus avancés dans la feuille de route « De la ferme à la fourchette », adoptée par Bruxelles en 2021 et visant 25 % de surfaces agricoles européennes cultivées en bio à l’horizon 2030, la Lettonie atteint 16 %, soit près de 300 000 hectares, un chiffre multiplié par trois entre 2005 et 2023. Elle comptait, l’an dernier, 3 610 exploitations bio, selon le Service de soutien rural.

Dans le trio de tête, l’Estonie voisine fait encore mieux avec 23 % de ses terres en agriculture biologique, juste derrière l’Autriche (25 %) et devant la Suède (20 %). Avec près de 10 %, la France reste loin derrière. La Lettonie est également très bien placée en ce qui concerne l’élevage avec plus d’un tiers (36 %) des ovins et caprins élevés selon les méthodes de l’agriculture biologique. Il s’agit du chiffre le plus élevé de l’UE. Elle se classe au second rang pour les bovins (26 %), derrière la Grèce.

Le défi n’était pourtant pas simple à relever pour ces deux pays baltes, qui ont fait partie de l’URSS pendant près de cinquante ans, jusqu’au début des années 1990. En Union soviétique, l’agriculture était basée sur des fermes collectives (les kolkhozes et les sovkhozes) qui fonctionnaient selon un modèle agricole concentré et intensif, surconsommateur de produits chimiques. Ces fermes ont disparu avec l’indépendance et de petites exploitations ont commencé à apparaître.

À la ferme Ragares, toutes les herbes sont récoltées et triées à la main. Elles sont ensuite séchées pour produire du thé.
© Estelle Levresse / Reporterre

À 47 ans, Gustavs Norkārklis est aux commandes d’une ferme familiale de 200 hectares dans la région de Latgalie, proche de la frontière biélorusse. Chaque samedi, d’août à septembre, il fait le déplacement à Riga pour vendre ses récoltes au marché de producteurs bio de Kalnciema. « J’ai 3 heures de route aller et 3 heures retour, mais j’apprécie le contact humain, les échanges sur le marché, c’est ce qu’il y a de plus précieux dans mon métier », confie l’agriculteur, au polo noir et tablier vert sapin aux couleurs de l’association lettone de l’agriculture biologique dont il a été président pendant quinze ans. Il a passé la main en mars dernier, mais continue d’être un membre actif de l’organisation.

Pour lui, le succès de l’agriculture biologique dans son pays est avant tout lié au contexte historique. « À la chute de l’URSS, les gens ayant lancé leur exploitation ont choisi l’agriculture biologique, c’était beaucoup plus simple et plus économique. Ils n’avaient pas besoin d’acheter des produits chimiques, des pesticides, difficiles à se procurer à cette époque. L’arrivée des certifications bio européennes n’a rien changé dans leur façon de travailler, ils avaient toujours fonctionné comme ça. »

Autre facteur ayant favorisé le développement d’une agriculture respectueuse de l’environnement, estime-t-il, la petite taille du pays qui facilite les échanges d’expériences et de bonnes pratiques entre agriculteurs.

Peu compétitifs dans l’UE

Si le constat global est positif, le marché des produits bio en Lettonie, comme ailleurs en Europe, a été affecté par la guerre en Ukraine et l’inflation sur les denrées alimentaires, enregistrant ces dernières années un ralentissement après vingt ans de croissance. Le pays peine également à exporter en raison de coûts de transport très élevés. « Notre position géographique nous rend peu compétitifs par rapport à d’autres pays d’Europe », regrette Gustavs Norkārklis.

À Skrīveri, s’il reconnaît avoir reçu des aides conséquentes pour s’équiper en matériel, Jānis Vaivars pointe du doigt un autre frein au développement du bio. « L’agriculture raisonnée reçoit le même soutien financier que l’agriculture biologique, dit-il. Comment cela peut-il inciter les gens à se convertir ? »

La part du budget de la Politique agricole commune (PAC) consacré à l’agriculture biologique (conversion et maintien) reste très limitée : elle devrait représenter 5 % des dépenses agricoles totales de l’UE pour la période 2023-2027. Malgré les difficultés, la Lettonie ne se décourage pas et compte bien avoir un quart de sa surface agricole cultivée en bio d’ici 2030.

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