• jeu. Sep 19th, 2024

Girl go green, le « bulldozer » de la lutte écolo sur Instagram


Sainte-Camelle (Ariège), reportage

Dans sa combinaison jaune, elle court partout. On la reconnaît avec ses airs de « copine d’à côté », son sourire 100 000 watts et son téléphone toujours à portée de main. Lors du festival de la coopérative Oasis, les 24 et 25 août, on l’a vue dormir dans un dôme sous les arbres, monter sur scène pour une prise de parole très politique sur l’influence bénéfique des écolieux sur la société, tester des toilettes sèches de compétition… Elle est remontée sur pile, à croire qu’elle fonctionne avec une batterie — solaire bien sûr — chargée à bloc.

Du haut de ses 128 000 followers, Girl go green, aka Camille Chaudron, fait partie du Landerneau ultraselect des influenceurs bios, écolos, verts, militants, activistes… Attention, le terme d’influenceur est « à bannir » selon elle, tant il est pollué dans l’inconscient collectif par pas mal d’inepties et de superficialité, d’arnaques et de corps bodybuildés par la téléréalité.

128 000 personnes suivent Girl Go Green, aka Camille Chaudron, sur Instagram.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

Donc, parlons de « créatrices et créateurs de contenus », plus sérieux, plus utiles… dont les communautés n’appartiennent cependant pas aux mêmes stratosphères : aux côtés de comptes suivis par des millions d’abonnés, les écolos les plus connus ou les plus en vue peinent à dépasser le million. Seul Hugo Clément, le présentateur de « Sur le Front » (France Télévisions) culmine à 1,4 million d’abonnés ; Camille Étienne, militante mainstream, plafonne à moins de 500 000 et Cyril Dion réalisateur, poète et activiste à tout juste 180 000. À côté d’une superstar totale comme Selena Gomez qui totalise 424 millions de fans ou d’un Kylian Mbappé adulé par 122 millions d’adeptes, les stars instagrammables de l’écologie évoluent dans une niche indolore pour le monde tel qu’il va.

Bye bye la carrière dans le marketing

Il existe d’après Camille Chaudron un « plafond de verre pour la niche écolo militante des réseaux sociaux ». Voilà pourquoi mieux vaut combiner ses communautés : lors de la dernière séquence politique en France, Girl go green s’est associée à Gaëtan Gabriele, MC danse pour le climat ou Vivre moins con. À eux quatre, ils ont pu toucher près de 600 000 followers et engrangé des dizaines de milliers de « J’aime » lors de leur invitation à aller voter le 9 juin pour les Européennes.

De donneuse d’astuces écologiques, elle a glissé lentement mais sûrement vers la désobéissance civile et l’activisme.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

Camille Chaudron n’était pas destinée à devenir une créatrice de contenus pour plateforme numérique. Elle illustre à merveille la génération « bifurquante », bardée de diplômes et écœurée par des expériences professionnelles sans égard pour les enjeux civilisationnels du moment. Pour cette fille de profs campée « sur une montagne de privilèges », la claque avec le réel a été infligée par le géant de l’agroalimentaire Bonduelle. « J’ai simplement suivi la voie royale après une classe préparatoire HEC et l’Edhec à Lille, j’ai embrassé une carrière dans le marketing, au département innovations », se souvient-elle comme s’il s’agissait d’une vie très lointaine. Elle débarque donc au sein de l’un des fleurons du petit pois-carottes français dans l’optique « d’optimiser les flux de production ».

Au cours de la visite d’une future usine et d’entrepôts interminables contenant « une semaine de la consommation des Carrefours français », elle vomit. Point. Le corps dispose de moyens indéfectibles pour faire savoir quand déguerpir. « Le futur site avait prévu de remplacer les humains par des robots. J’ai trouvé cela vertigineux. » Elle ne s’attendait pas à être cueillie par tant de violence. « J’étais dans l’innovation pour aider à la transition du secteur de la conservation… Je me disais : si je parviens à changer quelque chose ici, cela pourrait avoir un impact colossal. Quelle naïveté. »

Écolieux, toilettes sèches et jouets recyclés

Lasse, elle quitte les mastodontes de la boîte de conserve pour « une année de vide fertile ». Comprendre que la jeune femme s’inscrit à feu Pôle emploi et décide de se laisser porter au gré du vent, des rencontres et de ses élans. Elle se porte assez naturellement vers des associations spécialisées dans les plaidoyers et la mobilisation : Make Sense, Zero Waste France… Et entame une démarche de changement au quotidien, façon conseils de la copine sympa qui initie à la confection de tawashi ou de conserves, donne des astuces pour faire durer une poêle, aide à se procurer des jouets recyclés ou explicite le sort des terres agricoles, teste une infinité d’écolieux (et donc de toilettes sèches)… « Je créais du contenu comme on confectionne son carnet de vacances. Je ne me prenais pas au sérieux. » La preuve ? Il y a une faute d’anglais dans son nom de scène : Girl go green et non Girl goes green…

« J’ai démarré d’une manière assez classique par un changement de comportement individuel. C’était une clef d’entrée très personnelle et pas du tout collective. En tirant les fils, j’ai eu envie d’aller plus loin. » De fait, de simple Huggy les bons tuyaux écolos, elle a glissé lentement mais sûrement vers la désobéissance civile et l’activisme. « Elle a l’art de rendre l’engagement joyeux et heureux », confirme son amie Raphaëlle, rencontrée lors d’une longue formation au sein de l’école de la coopération Fert’îles. « Elle doute beaucoup, se pose beaucoup de questions, mais balaie tous les sujets possibles et inimaginables, du plus léger au plus engageant. »

« Elle a l’art de rendre l’engagement joyeux et heureux »

Voilà pourquoi on la retrouve en garde à vue lorsqu’elle agit aux côtés de Dernière rénovation. Elle participe à l’action Bloquons les pollueurs avec Greenpeace et Alternatiba, s’est rendue au Village de l’eau à Melle (Deux-Sèvres) contre les mégabassines. Elle s’engage aussi dans une grève de la faim aux côtés de Thomas Brail et des écureuils en lutte contre l’A69. « Cela personnifie et rend palpable la lutte sur le terrain », assure-t-elle.

Elle découvre alors la face cachée de la vie des créatrices de contenu : la violence du cyberharcèlement. « J’ai déjà reçu des messages du type : “t’as qu’à crever salope !”, ça fait bizarre. Ces raids de haineux sont difficiles à supporter. Globalement, j’ai noté que plus je galérais, plus les gens adoraient. Je n’ai jamais eu autant de vues que pour mes stories durant la grève de la faim où j’apparaissais chaque jour le visage un peu plus émacié ! » Et de conclure : « Internet et les réseaux sociaux, c’est le Far West du sexisme, du capitalisme, du patriarcat ! »

« J’ai démarré par un changement de comportement individuel. C’était une clef d’entrée pas du tout collective. En tirant les fils, j’ai eu envie d’aller plus loin », se souvient Camille.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

Elle ne jette certainement pas le compte Insta avec l’eau du bain : « Des choses extraordinaires existent en matière d’éducation populaire, de comptes très pédagogiques consacrés au droit du travail — par exemple —, etc. Mais ça va très vite. Tout ce qui marche est raccourci et de plus en plus court, même s’il reste du fond. »

Engagement contre l’extrême droite

Quand on passe d’un tuto sur les toilettes sèches à une garde à vue, le parcours de créatrice de contenu va au-delà de la simple écologie. Il y a de l’engagement politique à vouloir utiliser les codes qui parlent à la génération des 18-25 ans. Politiquement engagée, elle n’a pas hésité à donner des cours d’Instagram à Nicolas Soret, maire de Joigny où elle s’est installée, résolu à se présenter aux législatives face au porte-parole du Rassemblement national, Julien Odoul. Il s’est fait laminer, perdant au premier tour, mais ressort ravi de la collaboration et des quelques vidéos faites depuis les vignes surplombant la ville.

Elle sent qu’elle a passé un cap dans l’univers des réseaux sociaux. « La temporalité des réseaux sociaux évolue dans une autre dimension, à 34 ans, je me sens déjà vieille… » Peu importe, car elle ne compte sûrement pas dépendre des Gafam [1] pour s’épanouir dans l’activisme écolo et s’est déjà mise au service de 1001 projets. Comme par exemple celui Château du Feÿ (Yonne), un haut-lieu de l’élite cosmopolite artiviste et activiste, où elle gère la communication d’événements comme le Festival Feÿ Arts.

Capture d’écran du compte Instagram Girl go green.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

Jessica Angel, propriétaire dudit château est « ultrafan » et ravie d’avoir trouvé une perle aussi rare. « C’est un bulldozer capable de faire 40 000 choses à la fois. Avec une vision à 360 degrés qui permet de la plonger dans plein d’univers. Elle met des gens très à l’aise, a beaucoup d’humour et un enthousiasme débordant. » Contrepartie : elle a peut-être du mal à lever le pied.

Greenpeace, Abbé Pierre, Reclaim finance…

Girl go green est-elle une millionnaire sautillant d’un écolieu dans l’Ariège à un autre écolieu dans la Drôme ? Pas vraiment. Les réseaux sociaux lui rapportent environ 25 000 euros pas an. Pour le reste, en couteau suisse, elle se met au service de produits écolos, d’écolieux ou associations, de fondations, anime des conférences, facilite des groupes en intelligence collective, donne des cours… Comme cette petite formation aux enjeux de fin du monde, chapeautée par le mouvement On est prêt et donnée à des confrères et consœurs influenceurs à mille lieues de l’écologie. Certains ont partagé leur dilemme : « Ils n’osent pas dire à leur communauté qu’ils sont végétariens, voire véganes, de peur de brusquer leurs fans… »

Moyennant un budget allant de 800 à 2 000 euros, elle fait des vidéos sur mesure pour soutenir les plaidoyers et campagnes de différentes associations telles Greenpeace, la fondation Abbé Pierre ou Reclaim finance. « Je me vis comme une caisse de résonance et je m’adapte aux projets que l’on me propose, je les mets à ma sauce. »

Et il n’y a aucune raison pour que le temps passé à fomenter les vidéos, les tourner, les monter et les diffuser, soit du pur bénévolat. Girl go green est une « slasheuse », conformément à ce qu’exige l’époque.

Camille Chaudron au Festival Oasis, dédié aux écolieux, en Ariège fin août 2024.
© Nicolas Nouhaud / Reporterre

En attendant, elle vérifie que son hygiène numérique est impeccable. « Puis-je avoir des relations épanouissantes sans les réseaux sociaux ? Bien sûr ! Si demain, on devait bloquer mon compte, j’irais parfaitement bien. »

Girl go green n’est pas totalement Camille et Camille n’est pas uniquement Girl go green. « Ah non, Camille, c’est Girl go green à 99 % ! » rectifie son amie Raphaëlle. Quand on la reconnait, elle donne l’impression de faire partie de la famille. « J’ai la chance d’avoir une communauté sympathique : on pourrait toutes et tous être des potes dans la vie. » Il n’empêche que son engagement frontal et sans appel contre le RN lors des législatives lui a fait perdre quelques milliers d’abonnés. Elle s’en tamponne comme de sa première story.

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