• ven. Sep 20th, 2024

le Brésil craint d’autres incendies


Ribeirão Preto (Brésil), reportage

« Tout était en feu ! » Fabiana Mantuan peine encore à réaliser ce qu’elle a vécu. D’un pas pressé, la mère de famille de 40 ans s’avance vers un mur en béton de 2 mètres de haut et aux taches noires entourant le complexe résidentiel huppé de Beira Rio, où elle habite dans la banlieue sud de Ribeirão Preto, dans le nord de l’État de São Paulo. Une semaine plus tôt, le 24 août, un bois de « angicos », de grands arbres aux troncs fins bordant le complexe, a soudainement pris feu. Vers 18 h 30, des flammes s’élevant jusqu’à 8 mètres de hauteur « ont franchi le mur par-dessus et par-dessous », se souvient-elle, montrant des vidéos sur son smartphone.

Il a fallu réagir vite. Fabiana Mantuan s’est empressée de remplir des seaux avec l’eau de sa piscine pour contenir la progression des flammes. Pendant ce temps, son fils de 14 ans a sauté les portails des résidences longeant le mur à la recherche de robinets pour connecter des tuyaux d’arrosage.

Rapidement, une quarantaine de voisins, dont l’un avec un petit camion-citerne, se sont unis à la bataille. Au bout de quatre longues heures à lutter contre les flammes, ils sont finalement parvenus à en venir à bout. Les pompiers, probablement débordés par d’autres feux à Ribeirão Preto, ne sont pas arrivés.

Cette scène témoigne du chaos causé par les incendies qui ont ravagé l’État de São Paulo du 22 au 25 août. En seulement trois jours, plus de 2 700 départs de feu, pour la plupart à Ribeirão Preto, ont été recensés, causant deux morts et détruisant plus de 34 000 hectares — soit trois fois la superficie de Paris.

Fabiana Mantuan a combattu l’incendie à Ribeirão Preto.
© Paula Gosselin / Reporterre

Pendant la saison sèche, de mai à août, les feux dans des champs de canne à sucre, qui font la richesse de la région, sont fréquents. Mais « le feu n’était jamais arrivé si proche des résidences », s’inquiète Fabiana Mantuan, qui sursaute encore au moindre bruit lui rappelant le crépitement du feu.

Selon les autorités, qui ont décrété l’état d’urgence pour 180 jours dans 45 villes de l’État, les incendies seraient principalement d’origine criminelle. Cependant, l’étendue et la rapidité de leur propagation sont « liées au changement climatique », précise le climatologue Carlos Nobre, qui coordonne l’Institut des études climatiques de l’université fédérale d’Espírito Santo. « São Paulo a connu la sécheresse la plus sévère depuis quarante-quatre ans, observe-t-il, la végétation devient très inflammable. » Un simple verre abandonné dans une forêt ou une cigarette jetée négligemment peut ainsi suffire à allumer une braise.

Des voitures calcinées dans la commune.
© Paula Gosselin / Reporterre

Le 25 août, quelques précipitations ont enfin permis de neutraliser les principaux incendies et de dégager le ciel de l’épaisse fumée noire qui avait plongé Ribeirão Preto dans l’obscurité. « Nous restons en état d’alerte », a toutefois reconnu au téléphone Antônio Duarte Nogueira, le maire de la commune, le 30 août. Face à l’absence de prévisions de pluie dans les jours à venir, des feux peuvent reprendre à tout moment. Dans la commune, de nombreux camions-citernes patrouillent les autoroutes pour arroser les points de fumée apparaissant aux alentours.

« Gaz dangereux »

La pluie n’a pas non plus suffi à assainir totalement l’air, qui reste chargé d’une odeur de fumée. Le fils de Fabiana Mantuan, Rafael, en est tombé malade et n’a pas pu aller à l’école pendant une semaine. « Il tousse et a mal à la gorge », s’inquiète sa mère. Désespérée, elle a mouillé les rideaux et aspergé le sol de sa maison d’eau afin d’humidifier l’air et le rendre l’air « respirable ».

Comme Rafael, de nombreux habitants souffrent de problèmes respiratoires depuis le début des incendies. Le 24 août, « la fréquentation des unités de soins d’urgence publiques (UPA) a augmenté de 40 % par rapport à une période normale », estime Thiago Cardinal, coordinateur des quatre UPA de Ribeirão Preto, depuis celle qui dessert les habitants de la zone Est de la ville.

Dans la salle d’attente, Thais Oliveira, 26 ans, qui travaille en tant que gardienne d’un supermarché du quartier, patiente depuis deux heures sur des bancs métalliques pour être consultée. La fumée « me donne mal à la tête, j’ai le nez qui coule, et je suis constamment essoufflée », se plaint la jeune femme, d’une voix nasonnée. Forcée à rester à l’extérieur toute la journée, elle n’a pu se protéger de la pollution, n’utilisant qu’un masque comme précaution.

© Paula Gosselin / Reporterre

Les scientifiques s’inquiètent également des conséquences de la combustion de substances toxiques. En prenant la route vers la banlieue sud de la commune, un site de transbordement de déchets, simplement recouvert d’une toiture métallique, a pris feu. « L’équivalent de trois jours de collecte de déchets à Ribeirão Preto a été brûlé », calcule une fonctionnaire sur place, qui a préféré garder l’anonymat.

Selon les données de la mairie, cela équivaut à environ 1 950 tonnes de poubelles. « La combustion de papier et de plastique émet des gaz dangereux pour l’atmosphère et la santé », prévient Marcelo Pereira, professeur en politique environnementale à l’université de São Paulo qui rappelle qu’à Ribeirão Preto, « le tri des déchets n’existe pas ».

Les incendies ont aussi laissé de lourdes conséquences économiques. Selon l’État de São Paulo, la destruction des cultures a causé des pertes s’élevant à 1 milliard de reais (environ 160 millions d’euros). « Nous n’avons plus rien », se désole Silvio Roberto Gomes, 55 ans, un petit producteur agricole qui habite avec sa femme Regina et leur fils de 15 ans dans une ferme située dans le sud-ouest de la région métropolitaine de Ribeirão Preto.

« Nous n’avons plus rien », expliquent les producteurs Silvio Roberto Gomes et Regina Aparecida Severino Gomes.
© Paula Gosselin / Reporterre

Cochons, lézards, capucins…

Dans cette zone isolée où vivent environ 420 familles, de nombreux paysans ont dû faire face seuls aux flammes. Le 23 août, l’agriculteur a tenté courageusement d’éteindre, à l’aide d’un tuyau, les feux qui se multipliaient à proximité de ses cultures de maïs qu’il triturait pour alimenter poules, poulets et cochons qu’il vend dans le centre de la commune. « Cela n’a servi à rien, regrette sa femme, les yeux dans le vide. Dès qu’il éteignait un feu, un autre surgissait ailleurs à cause du vent qui emportait les étincelles. »

En l’espace de quarante minutes, les flammes ont tout détruit : goyaviers, citronniers, papayers, cannes à sucre et manioc ont été réduits en cendres, ne laissant que des feuilles mortes, des troncs calcinés, des débris métalliques et les carcasses de 30 poules, 180 poulets et 16 cochons. Ne sachant que faire, le couple les a enterrés, sans prendre de précautions sanitaires, dans un coin ombragé de leur parcelle.

Un lézard brûlé par les incendies, soigné par le vétérinaire Pedro Favaretto, du Cetras.
© Paula Gosselin / Reporterre

« Les animaux les plus lents ont du mal à échapper aux flammes », s’inquiète Otávio Almeida, biologiste au Centre de triage et de réhabilitation des animaux sauvages (Cetras), qui a accueilli 17 animaux brûlés par les feux de forêt. Parmi eux se trouvent un lézard, un fourmilier, un ouistiti, des sarigues, un serpent et une cotia (petit rongeur). Deux animaux dans un état très grave sont morts, mais l’équipe ne se décourage pas. Ils se battent tous les jours pour permettre aux survivants de guérir et retrouver une vie dans la nature.

Parfois, leurs efforts sont récompensés. Le 27 août, la police a apporté un petit capucin dont le visage était brûlé par la chaleur des feux et complètement déshydraté. Son état était si critique, que le vétérinaire du Cetras, Pedro Favaretto, a dû l’induire dans un coma artificiel pendant 36 heures, « pour que le corps puisse récupérer son énergie », explique-t-il.

Le petit animal, qu’ils ont surnommé Bento en hommage à un bois qui porte ce nom dans la région, avait peu de chance de s’en sortir. Mais voilà que trois jours plus tard, avec une hydratation intraveineuse et l’application de pommades, sa peau noircie par les brûlures a commencé à s’éclaircir.

Bento ne semble pas manquer d’appétit : il se régale des œufs, bananes, papayes, miel et vers de terre que l’équipe a soigneusement préparés et déposés dans sa petite cage. « C’est une évolution inattendue », se réjouit Pedro Favaretto, qui espère pouvoir relâcher le singe en liberté d’ici quelques semaines.


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