• jeu. Sep 19th, 2024

Viols, enlèvements, extorsions… Au Mozambique, Total « met les gens en danger »


Le controversé projet gazier Mozambique LNG de TotalEnergies a été relancé au début de l’année par le PDG de la multinationale, Patrick Pouyanné. Le chantier avait été suspendu après une attaque du groupe armé djihadiste Al-Shabab en mars 2021, qui avait fait plus de 1 200 morts et disparus dans la région de Cabo Delgado, devenue stratégique depuis la découverte de gisements sous-marins de gaz en 2010.

Relancer Mozambique LNG reviendrait à plonger davantage le pays dans l’insécurité, explique Daniel Ribeiro, biologiste de formation et directeur technique et de la recherche de l’ONG Justiça Ambiental, l’équivalent des Amis de la Terre Mozambique. Reporterre l’a rencontré à Paris, entre deux rendez-vous avec les banques françaises finançant le projet : la Société générale et le Crédit agricole.

Reporterre — Le PDG de TotalEnergies évoque une forme de « retour à la normale » à Cabo Delgado. Quel est votre regard sur l’instabilité dans la région ?

Daniel Ribeiro — Total voulait déjà relancer le chantier l’année dernière, mais chaque fois qu’il a été question d’un redémarrage, la situation s’est enflammée sur place. Rappelons qu’il s’agit de l’investissement privé étranger le plus important en Afrique. Quiconque veut nuire au gouvernement du Mozambique va viser cette cible stratégique, comme lors de l’attaque en 2021. La simple présence de Total dans cette région met les gens en danger.

Daniel Ribeiro (au centre), avec Lorette Philippot des Amis de la Terre et Antoine Bouhey, coordinateur de la campagne Defund TotalEnergies à Reclaim Finance.
© Mathieu Génon / Reporterre

Une grande partie de la militarisation de la région est dédiée à la protection des infrastructures gazières. Le gouvernement mozambicain a dispensé une formation rapide et médiocre, avec l’envoi de jeunes soldats inexpérimentés et peu supervisés. On constate des agressions de ces soldats à l’égard des communautés locales, des cas de viols de femmes, ainsi que des enlèvements et extorsions.

Les conflits entre les communautés locales et ces forces de sécurité, chargées de la lutte contre les insurgés djihadistes, perdurent. Ceci alimente l’attrait pour des récits extrémistes. Il faut aussi se pencher sur les causes socio-économiques. Plus de 80 % de la population de Cabo Delgado est constituée de pêcheurs ou d’agriculteurs. L’accès à la terre et aux écosystèmes dont ils dépendent est donc essentiel. Si l’on rompt ce lien, cela devient un facteur social d’instabilité.

Mozambique LNG va émettre entre 3,3 et 4,5 milliards de tonnes de CO2, davantage que les émissions annuelles de l’Union européenne. Quelles sont ses autres conséquences environnementales ?

D’abord, on manque de données. Il n’existe pas d’analyse cumulative des trois projets gaziers en cours dans la région : Mozambique LNG mené par Total, Coral South FLNG mené par Eni et Rovuma LNG mené par ExxonMobil.

Certains aspects ne font l’objet d’aucune mesure d’atténuation : c’est le cas des eaux de ballast [réservoir d’eau utilisé pour stabiliser les navires sans cargaison, dont la vidange peut causer des problèmes environnementaux]. Ces eaux proviennent d’une autre côte et sont rejetées au moment du chargement des navires. Or, elles contiennent tout un tas d’organismes venus d’ailleurs : moules, méduses, larves… De quoi introduire des espèces exotiques envahissantes, qui n’ont pas de prédateurs et déstabilisent l’écosystème.

Le Mozambique est déjà l’un des pays les plus touchés par le changement climatique. Le canal du Mozambique où se situent les réserves de gaz fait partie de l’océan Indien : de tous les océans tropicaux du monde, c’est celui qui connaît la plus forte augmentation de sa température moyenne en surface. Tout déséquilibre supplémentaire sera amplifié par cet environnement déjà sous pression. Alors que nous avons des îles tropicales, des mangroves et des forêts côtières abritant une énorme quantité d’espèces endémiques et très rares.

Daniel Ribeiro : « Total, Eni, ExxonMobil ont la capacité d’influencer les gouvernements pour fermer les yeux sur ce qui se passe sur le terrain. »
© Mathieu Génon / Reporterre

La population locale souhaite-t-elle le retour de TotalEnergies, ou critique-t-elle le projet ?

Dès le début du projet, les voix critiques ont été traitées de manière très agressive. Le journaliste mozambicain Ibrahimo Abu Mbaruco a disparu en 2020, on ne l’a plus jamais revu. Certains leaders communautaires et d’autres journalistes ont été mis sous pression.

Avec l’instabilité, la région connaît d’énormes pénuries alimentaires. Aujourd’hui, TotalEnergies finance des ONG et de l’aide humanitaire sur place. Les communautés dépendent donc fortement de la multinationale, et vont jusqu’à parler de « Total Land » (« le pays de Total »). Les habitants restent stratégiques, ils disent ce qu’il faut pour rester en sécurité et nourrir leur famille.

Lire aussi : Au Mozambique, « Total se substitue à l’État »

Notre gouvernement sait qu’il possède désormais des ressources très recherchées par ses homologues européens : cela lui donne de l’impunité. Il sait que des multinationales comme Total, Eni, ExxonMobil ont la capacité d’influencer les gouvernements pour fermer les yeux sur ce qui se passe sur le terrain.

En France, l’État s’était porté garant pour les prêts accordés au projet Coral South FLNG — financé par Société générale, Crédit agricole, BPI, Banque populaire, Caisse d’épargne et BNP Paribas. S’agissant de Mozambique LNG, Crédit agricole et Société générale ont signé un accord d’engagement en 2020. La suspension du chantier doit être l’occasion, pour ces acteurs impliqués, de réévaluer la situation.

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