• sam. Sep 21st, 2024

Les araignées de mer font le malheur des éleveurs de moules


Côtes-d’Armor, reportage

L’image est saisissante : des filets vides de moules. « Normalement, ils sont tout noir », dit Cédric Serrandour, mytiliculteur à Plévenon, dans les Côtes-d’Armor. Une mauvaise opération pour l’éleveur, qui avait acheté 47 km de naissains (les bébés moules). Toutes mangées fin juin, en quatre jours, par des araignées de mer. « 80 à 90 % de perte en quatre jours », se désole le producteur. À raison de 1,02 euro le mètre, c’est une perte de 50 000 euros et pas de récolte l’année prochaine.

En juin, les mytiliculteurs des baies de la Fresnaye et de l’Arguenon ont vécu quatre jours d’enfer au cours desquels une grande partie de leurs moules ont été mangées par des araignées de mer. Une attaque qui présage une année blanche, et les a poussés à manifester sur le barrage de la Rance, entre Dinard et Saint-Malo, début juillet, rejoints par les producteurs de la baie du Mont-Saint-Michel. Par ce blocage, ils ont demandé des aides financières d’urgence à l’État.

« Ça fait des années que l’on demande des aides pour faire face à ces attaques de plus en plus régulières », dit Laurent Denoual, basé à Saint-Cast-le-Guildo. « On est attaqués depuis quatre ans, là ça devient critique, se désespère Cédric Serrandour. On a interpellé le secrétaire d’État à la mer [démissionnaire] Hervé Berville, mais rien n’est fait. Si on n’a pas d’aide, dans trois ans, c’est terminé. »

Une araignée sur chaque pieu

Cédric Serrandour et Erwan Sarazin travaillent ensemble dans la baie de l’Arguenon, entre Plévenon et Saint-Cast-le-Guildo. Leurs grands-parents venus de Charente s’y sont installés les premiers, dans les années 1950.

Ils partent ensemble pêcher, une dizaine de bacs, lorsque la marée est basse. Un à un, les pieux sont délestés de leurs moules grâce à la machine que Cédric maîtrise parfaitement. Un travail physique : environ cinq heures en mer, de tri dans les bassins, auquel vient maintenant s’ajouter le déblayage des araignées accrochées aux filets. Une sur chaque pieu ce jour-là.

Cédric Serrandour s’occupe des manœuvres pendant qu’Erwan Sarazin ouvre chaque filet.
© Angéline Desdevises / Reporterre

Tous les jours, les pieux sont attaqués. « Les araignées tapissent le sol, elles se cachent dans le sable et sont peu identifiables, dit Cédric Serrandour. Tant qu’il y a de l’eau, elles restent là. Avec la mer, elles s’en vont. » Les pieux dénudés de moules, et même de filets, se remarquent. « Certains ne mettent pas de corde, ils savent que ça va être mangé. C’est la première saison que je vois ça », s’étonne le producteur.

Le stock d’araignées a vertigineusement augmenté en peu de temps. « Des rendements multipliés par trois ou quatre au cours des cinq-six dernières années, dit Martial Laurans, cadre de recherche à l’Ifremer de Brest. Par conséquent, il y en a aussi de plus en plus sur le littoral où elles acquièrent leur maturité sexuelle. Il y en a tellement qu’elles ne peuvent pas être toutes pêchées. »

Une perte de bénéfices énorme

En tout, le mytiliculteur déclare avoir perdu 1 million d’euros en cinq ans. « Il faut payer les salariés, réinvestir… et il y a deux fois plus de travail. Les employés font de grosses semaines en ce moment, parfois on travaille de 2 heures à 21 heures. »

Chez François Batard, qui exploite 9 600 m² à Saint-Jacut-de-la-Mer, 50 % de la production a été dévorée cette année par les araignées. Il décrit être de 25 à 30 % en dessous de son chiffre d’affaires. « Ça fait cinq ans que ça dure. La trésorerie est plombée, les banques ne veulent pas nous prêter. Dans deux ans, je ne pourrai plus payer. » L’homme dit ne plus bien dormir : « J’ai énormément de stress. Heureusement, les machines tiennent, mais on ne peut pas se permettre de dépenses en plus, il y a plein de matériel à acheter, des écarteurs, des gaines… »

François Batard, président des conchyliculteurs de la baie de l’Arguenon.
© Angéline Desdevises / Reporterre

Il a repris l’exploitation de sa famille, mais ne recommande pas de s’engager dans la profession. « Un collègue a poussé ses enfants à faire des études, il ne veut pas les envoyer au casse-pipe. Moi non plus, si ça continue, c’est hors de question qu’ils soient dans ce métier. »

Sur les deux baies de l’Arguenon et de la Fresnaye, les 13 entreprises qui employaient 70 à 80 salariés en emploient aujourd’hui 55 à 60, selon Cédric Serrandour. « On en est rendus à débaucher. Sinon, 2025 risque d’être une année très difficile. La récolte, c’était en moyenne 30 à 35 kg. Pour 2024, on est entre 16 et 19 kg. L’année prochaine risque d’être pire. » Déjà, quelques entreprises de la région sont susceptibles de mettre la clé sous la porte avant la fin de l’année.

Sur les deux baies de l’Arguenon et de la Fresnaye, treize entreprises exploitent des bouchots.
© Angéline Desdevises / Reporterre

La reconnaissance en espèces nuisibles

Pour l’instant, les producteurs jugent que les instances publiques ne font pas assez. « L’État nous laisse à l’abandon », dit François Batard. Le seul moyen autorisé est l’effarouchement, par autorisation orale, mais il n’existe pas de texte officiel. Avec un bateau équipé d’une drague à roulettes, ils remuent le fond pour déloger les araignées. « Un coup d’épée dans l’eau », dit Erwan Sarazin.

Cédric Serrandour (à g.) et Erwan Sarazin travaillent ensemble dans la baie de l’Arguenon.
© Angéline Desdevises / Reporterre

Les mytiliculteurs demandent des moyens plus efficaces, et surtout de faire reconnaître les araignées comme espèce nuisible pour avoir le droit de les détruire avec un engin ou en plongée en bouteille. « On a déjà connu un épisode dans les années 1970. Mes grands-parents les ont enlevées à coups de chalut et le problème était réglé », décrit François Batard, partisan de refaire la même chose.

La possibilité de draguer les fonds au chalut et l’effarouchement, en limitant au maximum les conséquences environnementales, font partie des solutions actuelles. En baie du Mont-Saint-Michel, c’est déjà le cas avec un passage au chalut effectué au printemps, après une discussion entre l’Ifremer et les associations environnementales normandes. « Il n’y a pas d’impact zéro sur les fonds marins. On agit en utilisant la technique la moins impactante possible avec un système de rouleaux, et sur des zones limitées », dit Martial Laurans, cadre de recherche à l’Ifremer de Brest.

« On n’a plus rien à perdre », dit François Batard. « On lâchera pas, dit également Cédric Serrandour. Autant agir avant le redressement judiciaire. On a été très patients déjà. »

Des aides locales et européennes

Les mytiliculteurs déplorent également un manque de moyens. « On fait tout nous-mêmes ; mettre des casiers pour prélèvement, baguer les araignées pour calculer leur nombre, taille et sexe… »

Ils disposent tout de même d’aides financières de l’agglomération de Dinan et de l’Union européenne. L’agglomération a en effet mis en place des aides lorsque des espèces comme la macreuse et le crabe vert ont commencé à menacer les cultures il y a quelques années.

Depuis cinq ans, une convention a été engagée auprès des producteurs (avec le comité régional de conchyliculture de Bretagne Nord) à hauteur de 10 000 euros par an. Face à la menace de l’araignée de mer, l’agglomération de Dinan a débloqué 20 000 euros supplémentaires l’année dernière pour des mesures comme de l’effarouchement. « On a commencé le versement dès mars cette année, car les producteurs ont remarqué que la prédation avait déjà débuté », dit Corentin Guérin, chargé de mission mer, transition et innovation à Dinan Agglomération.

Au niveau de l’Europe, une enveloppe de 1 million d’euros est répartie entre Dinan, Saint-Malo et Dinard, et soutient les projets locaux. Les collèges décisionnaires ont attribué des fonds pour lutter contre la prédation.

Cédric Serrandour, capitaine du bateau, effectue les manœuvres pour se rapprocher le plus possible des pieux.
© Angéline Desdevises / Reporterre

Les producteurs ont déjà rencontré Hervé Berville, et obtenu un rendez-vous avec le préfet après l’action de blocage du barrage de la Rance. Le 26 août dernier, le vice-président à la mer et au littoral de la région Bretagne, Daniel Cueff, s’est rendu auprès de six producteurs, avec qui il a échangé. Il a exprimé sa compréhension et s’est engagé à débloquer des aides régionales.

En relation avec le comité de conchyliculture de Bretagne Nord, l’Ifremer mène une étude pour comprendre le mode de vie de ces araignées. Les premiers marquages ont été réalisés il y a quelques mois pour suivre l’évolution de l’espèce, comme leur période de reproduction, ou leur régime alimentaire dont leur dépendance aux moules de bouchot. Les résultats finaux sont attendus dans deux ans.




Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *