Rennes (Ille-et-Vilaine), reportage
Vendredi, un peu plus de 9 heures. Comme toutes les semaines, Hélène Pecoil enfourche l’un des deux vélos-remorque de Rennes du Compost. Sa mission du jour, collecter les bacs d’une petite dizaine de professionnels dans Rennes. Elle connaît son parcours. Au programme, une boulangerie, une fleuriste, deux restaurants, une épicerie, une copropriété et la première collecte dans une entreprise d’informatique, un nouveau client… « Un beau panel représentatif. Il ne manque plus que les hôtels. »
À la fin de la matinée, Hélène aura parcouru un peu plus de vingt kilomètres dans la ville et récupéré deux cents kilos de biodéchets. « C’est notre moyenne à chaque ramassage », commente la jeune femme, cofondatrice de Rennes Compost, avec Amel M’Sadek et Sophie Gimenez. Les trois amies ont fait connaissance dans le centre de santé où elles travaillaient à Rennes et laissé mûrir leur envie d’un changement d’horizon professionnel et d’une activité en accord avec leur idéal d’une société plus sobre. Elles sautent le pas en février 2021 et créent Rennes du Compost, un service de collecte des biodéchets de professionnels en « mobilité douce avec une valorisation locale ».
- Chaque bac ou seau collecté est pesé. © Dominique Guibourg Vasseur / Reporterre
Il est bientôt midi, Hélène rejoint Corentin Gouyou-Beauchamps qui s’est joint à l’équipe de départ assez rapidement et qui revient lui-même de sa tournée urbaine. Rennes du Compost s’est installé sur un terrain prêté par l’association du Jardin des Mille-Pas [1] à quelques centaines de mètres de la rocade ouest de Rennes. L’endroit est idéalement situé entre des parcelles foisonnantes de jardins familiaux et une vaste forêt préservée. Hélène et Corentin pèsent leur récolte et vident leurs bacs dans l’un des conteneurs mis à disposition par la métropole rennaise. Ils veillent scrupuleusement à maintenir le ratio magique 70/30, c’est-à-dire 70 % de matière azotée (les déchets organiques) et 30 % de produits carbonés (un apport de broyats de feuillus livrés chaque mois par un élagueur du coin).
Au passage Hélène et Corentin jettent un œil sur le contenu des bacs collectés le matin. Le gisement est varié : marc de café, touillettes en bois et serviettes en papier dans les entreprises, sandwichs et viennoiseries invendus des briocheries, épluchures de fruits et légumes et restes de repas dans les restaurants. Peu d’erreurs de tri. « La consigne est simple : on récupère tout sauf les viandes et poissons crus, les gros os et les coquillages. Il faut dire aussi qu’à chaque fois que l’on dépose nos bacs ou seaux chez un nouveau client, on prévoit une rencontre pour expliquer la façon dont on travaille et comment fonctionne le compostage. »
50 % de déchets organiques dans les poubelles des restaurants
Les quatre « Rennes du Compost » l’expliquent à chacune de leurs interventions pédagogiques : « Les poubelles des particuliers renferment 30 % de matières organiques, principalement composées d’eau : épluchures, marc de café, restes de repas, papiers absorbant, coquilles d’œufs. Et ça monte à 50 % pour les restaurants par exemple. Dommage de les brûler. Récupérés, déposés d’abord en bac de compost pour la montée en température [2] nécessaire à l’hygiénisation de la matière pendant un petit mois, puis en andains, les déchets organiques se transforment en compost de qualité prêt… à retourner à la terre [3]. »
« Beaucoup cherchaient une solution depuis un moment »
Aujourd’hui, Rennes du Compost récupère près d’une tonne de biodéchets par semaine chez une petite soixantaine de clients/partenaires, tous motivés et se sentant concernés par la réduction de leurs poubelles. « La plupart nous ont contacté, explique Hélène. Ils sont soulagés de pouvoir valoriser cette part importante de leurs déchets. Beaucoup cherchaient une solution depuis un moment. » Et, de son côté, l’entreprise peut communiquer sur cette initiative vertueuse dans le cadre de sa démarche RSE [4] ou auprès de sa clientèle.
Et l’avenir ? Aujourd’hui, deux des quatre cofondateurs sont salariés à temps plein. Les deux autres le seront à l’automne 2023. Une deuxième parcelle d’accueil, non loin de la première, devrait pouvoir permettre d’augmenter leur tonnage de biodéchets à valoriser. Le modèle économique est basé sur la rémunération du service. La collecte est facturée en fonction du nombre de passages hebdomadaires et du volume récupéré. Compter entre 26 et 300 euros par mois en fonction du gisement à collecter.
- Dans le composteur, 70 % de déchets azotés et 30 % de déchets carbonnés, c’est la recette du succès. © Dominique Guibourg Vasseur / Reporterre
L’équipe de Rennes du Compost est confiante, même si l’avenir reste encore inconnu du fait du changement de la législation dans les mois à venir. « Actuellement, toutes les entreprises qui produisent plus de dix tonnes de déchets alimentaires par an doivent avoir mis en place une solution de collecte autre que l’enfouissement ou l’incinération. Cette obligation descendra à cinq tonnes d’ici la fin de l’année 2022. Nous avons déjà eu des contacts de structures comme des centres hospitaliers ou des grandes surfaces, qui vont devoir se conformer aux nouvelles dispositions. »
Deuxième étape d’importance, en 2024, la collecte des biodéchets devra être mise en place pour chaque habitant qui n’a pas accès à un composteur indépendant ou partagé, commerçants, restaurateurs, entreprises… Les collectivités locales, Rennes Métropole la première, planchent sur ce dossier. Le changement sera d’importance dans les habitudes des citoyens et dans l’organisation des collectes d’ordures ménagères.
Composteurs et apports volontaires
La ville entend mettre en place plusieurs systèmes complémentaires : le renforcement du nombre de composteurs dans les jardins de particuliers [5], la multiplication des points d’apport volontaires [6] dans chaque quartier et commune et l’installation d’abribacs dans l’hypercentre, les zones denses et aux pieds des immeubles. Parallèlement, 143 000 bioseaux [7] seront distribués, un par foyer. But de l’opération, récupérer et valoriser les 57 kg de déchets alimentaires générés par habitant et par an. Dans le même temps et au regard de la baisse de leur volume, la collecte des ordures ménagères résiduelles passera d’une fois par semaine à une fois par quinzaine en secteur résidentiel.
- Sophie, Hélène et Amel travaillaient ensemble dans un centre de santé avant de se réorienter collectivement. © Rennes du compost
Si les Rennais sont plutôt bons élèves (en 2019, ils produisaient 181 kg d’ordures ménagères par an et par habitant, contre 249 kg en moyenne en France) la route à parcourir reste longue. Laurent Hamon, vice-président de Rennes Métropole en charge des déchets et de l’économie circulaire, n’hésite pas à parler de « révolution culturelle ». Il estime que 30 % de déchets organiques échapperont à la collecte. L’élu compte s’appuyer sur la pédagogie et un réseau de plus de deux mille ambassadeurs recrutés (et formés) dans les quartiers et les communes. Pour ce qui est du traitement et de la valorisation de ce gisement, le dossier prévoit une part de méthanisation et la transformation en compost.
Le déploiement du nouveau modèle de gestion des déchets — Laurent Hamon préfère, en l’occurrence, parler de ressources — va demander beaucoup d’énergie, d’imagination et de coopération/mutualisation pour la Métropole. Il concernera pas moins de 43 communes et 461 000 habitants. Un appel d’offres sera lancé cet automne pour en définir les modalités, les acteurs et les partenaires. À Rennes comme ailleurs, même si le temps presse, beaucoup reste encore à construire.