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Cauchemars en cuisine, par Alexia Eychenne (Le Monde diplomatique, septembre 2024)

ByVeritatis

Sep 10, 2024


« Être des guerriers, courber l’échine »

Des petits bistrots aux grandes tables, les humiliations font souvent partie du quotidien de ceux qui travaillent en cuisine. Enracinée dans une conception militaire de la hiérarchie, la violence est justifiée comme un passage obligé. Alors que les nouvelles recrues sont plus enclines à dénoncer les abus, quelques chefs s’attaquent au système.

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Jérôme Bosch. — « Le Jugement dernier » (détail), vers 1482

Académie des Beaux-Arts de Vienne, Autriche

Un jeudi après-midi, au lycée hôtelier de Metz, une cinquantaine d’élèves reviennent sur leurs premières expériences dans la restauration. « Mon maître de stage m’a plaqué contre le mur et frappé », « J’ai pris un “headshot” avec un œuf parce que j’avais oublié d’enfourner les meringues », « Ils m’ont jeté un torchon mouillé au visage en me disant : “C’est toi l’esclave” », indiquent les témoignages rédigés d’une écriture enfantine sur des feuilles volantes. Leurs auteurs n’ont pas plus de 20 ans, mais beaucoup ont déjà éprouvé la tradition de violence — physique et verbale — ancrée dans un secteur fort de 1,2 million de salariés.

La banalité du phénomène n’étonne pas Mme Marion Goettlé, face aux élèves ce jour-là. Longtemps la jeune femme, cheffe du Café Mirabelle à Paris, a gardé le silence sur le dénigrement quotidien et le harcèlement sexuel qu’elle a subis de la part d’un ancien patron. « Je vivais ces violences comme inhérentes au métier, comme s’il fallait être des guerriers, courber l’échine », relate-t-elle. L’association qu’elle a cocréée en 2021, Bondir.e, intervient dans les formations en cuisine pour aider les élèves à identifier comme telles les maltraitances, et à les refuser.

Depuis une dizaine d’années, des témoignages percent la chape de plomb. En 2015, un commis dépose une plainte — classée sans suite — contre le chef Joël Robuchon pour harcèlement. La même année, une enquête de France Télévisions met en cause M. Yannick Alléno, auréolé du titre de « cuisinier de l’année » par le guide Gault & Millau : les prud’hommes reconnaîtront l’existence de « faits de violence physique » au Pavillon Ledoyen, son restaurant trois étoiles des Champs-Élysées. Depuis 2019, le compte Instagram « Je dis non chef ! » a compilé quelque deux cents récits de sévices : apprentis soulevés par le cou, brûlures à l’aide de casseroles, agressions sexuelles dans des chambres froides…

Soixante-quinze heures par semaine

Les difficultés de recrutement de la profession, dont la presse se (…)

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