• dim. Sep 22nd, 2024

La pire offensive israélienne depuis vingt ans détruit villages et champs en Cisjordanie


Beyrouth (Liban), correspondance

Tulkarem pleure ses morts, et ses champs. Cette ville moyenne du nord de la Cisjordanie, réputée pour son sol fécond et ses agrumes, a enterré douze de ses habitants, tués par les forces israéliennes lors de leur grande offensive militaire en Cisjordanie, encore en cours. Elle a aussi perdu des hectares de terres agricoles, bulldozées ou confisquées.

Entamée le 28 août, l’opération « Camps d’été » vise à affaiblir les factions armées palestiniennes dans les grandes villes et camps de réfugiés du nord : Jénine, Tubas et Tulkarem, faisant plus de 40 morts palestiniens armés ou civils et 1 mort israélien. L’armée, le Shin Bet (renseignement israélien) et la police militaire poursuivent les raids quotidiens contre des combattants — mais sont aussi accusés de délibérément anéantir des infrastructures civiles, s’attirant les foudres de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Les destructions causées par des colons dans des champs à Tulkarem.
DR

« Ce n’est pas la première fois qu’ils détruisent notre maison, mais là on a vraiment tout perdu », se désole Ibrahim [*], agriculteur et étudiant en sciences agricoles à Tulkarem. Sa maison et son potager, au cœur du camp de réfugiés Nour Shams, ont été réduits en gravats par les bulldozers israéliens.

« Économiquement, c’est vraiment dur pour nous. On doit louer ailleurs et on a perdu nos sources de revenus : je ne pourrais plus payer mes frais pour me réinscrire à l’université cette rentrée, écrit-il dans un message WhatsApp, en précisant qu’il recherche des dons pour l’aider à reconstruire. Il n’y avait aucun objectif militaire chez nous, on ne comprend pas pourquoi ils font cela. Mais c’est la réalité de l’occupation, et on ne peut rien faire contre. »

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Et comme si une catastrophe ne suffisait pas, les champs de sa coopérative agricole, Juzur as-Shams (Racines du ciel, en référence au nom du camp de réfugiés où elle est située), ont aussi été confisqués par les autorités israéliennes. Elles étaient situées dans les zones maraîchères près du mur de séparation, qui délimite la frontière avec Israël.

« Depuis le 7 octobre, ils ne veulent rien qui soit proche de cette zone, même si c’étaient juste des terres agricoles », explique Ibrahim. Il n’est pas le seul : plusieurs agriculteurs de cette zone ont dû céder des terres pour créer une zone tampon, ou même les perdre en entier. L’association Juzur as-Shams, qui offre un revenu à six jeunes ainsi qu’à des volontaires du camp, a failli perdre son autre terrain, mais l’ordre d’éviction a été rescindé.

Des champs en flammes à Tulkarem.
DR

Ruines et zones rurales sous siège

« L’invasion israélienne a un effet catastrophique sur les zones agricoles, confirme Mohammad Fahmi Nimr al-Marii, agriculteur à Kafr Dan, un village à l’ouest de Jénine. Comme les soldats bouclent toutes les routes et tirent sur tout ce qui bouge, les agriculteurs ne peuvent plus accéder à leurs champs pour les cultiver, les récolter, les irriguer. On risque de perdre toute la récolte automnale. »

Kafr Dan, comme Tulkarem, a enterré son lot de « martyrs » : trois morts, dont une fillette de 14 ans. « C’était la fille de mes voisins, elle s’est penchée par la fenêtre pour observer les soldats, ils lui ont tiré dessus. Deux autres enfants, qui allaient acheter du pain, ont aussi été pris pour cible », se désole-t-il. Dans un communiqué, le porte-parole de l’armée israélienne a indiqué que « des agents terroristes opèrent dans des camps en Judée et en Samarie [le nom hébreu pour le nord de la Cisjordanie] à partir de bâtiments civils et en exploitant l’infrastructure civile ».

« Quelle est la faute des arbres, des cultures, des fleurs qui ornaient les trottoirs ? »

Al-Marii est le responsable de la coopérative agricole de Kafr Dan : c’est lui qui met en commun la récolte de ses membres et qui les vend sur les marchés environnants. « Comme les routes sont fermées ou détruites, ce n’est plus possible », ajoute-t-il. En effet, pendant dix jours, les forces israéliennes ont fermé les accès à Jénine, assiégé ses hôpitaux, et détruit 70 % de ses routes principales à coups de bulldozers — officiellement pour les déminer. « Quelle est la faute des arbres, des cultures, des fleurs qui ornaient les trottoirs, des canalisations d’eau ? » s’exclame l’agriculteur.

Après le retrait du gros des forces israéliennes, le 5 septembre, les habitants et journalistes, jusqu’alors confinés chez eux, ont découvert que le centre-ville de Jénine avait été réduit en décombres. Cette tactique de la terre brûlée fait craindre l’importation des méthodes utilisées à Gaza depuis le 7 octobre, s’alarment des spécialistes.

Si le nord de la Cisjordanie est pris pour cible, le reste n’est pas épargné. « En parallèle, les attaques de colons contre les terres rurales palestiniennes se sont intensifiées », note Abeer al-Butmeh, coordinatrice de l’association environnementale palestinienne Pengon-Amis de la Terre. À Tulkarem, mais aussi autour de Bethlehem et Naplouse, des vidéos montrent des arbres incendiés, des cultures arrachées. Vivant à Naplouse, al-Butmeh doit se rentre à Ramallah pour son travail : « Cela peut mettre plus de huit heures aller-retour, avec tous les checkpoints qu’il y a en ce moment, contre deux heures normalement », témoigne-t-elle depuis sa voiture, faisant la file devant l’un d’eux. Et si Naplouse semblait avoir été épargnée par l’opération « Camps d’été », les raids quotidiens continuent. « C’est le pire que cela n’ait jamais été, même avant le 7 octobre », dit l’activiste environnementale.

En un an, plus de 660 Palestiniens ont été tués et 10 000 arrêtés en Cisjordanie, le « troisième front » sur lequel se bat l’État hébreu, après Gaza et le Liban-Sud.

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