Beyrouth (Liban), reportage
Normalement, la récolte des olives est une saison emplie de joie en Palestine. « Chaque année, on se réunit en famille autour de la cueillette, on fait bouillir le thé traditionnel sur un feu de bois, on chante, on danse. Les oliviers sont sacrés pour nous, ils représentent notre cause », témoigne par téléphone Mohammed Fahmi al-Marii, la cinquantaine. L’agriculteur vit à Kufr Dan, un village près de Jénine, où il cultive des champs et 15 000 m2 d’oliviers. « On produit l’huile surtout pour nos familles et nos voisins, on en vend une partie et on en distribue aux démunis, explique-t-il. Mais cette année, la récolte est vraiment difficile à cause des incursions de l’armée et des colons. »
C’est que Jénine, grande ville du nord de la Cisjordanie occupée, a fait l’objet de nombreux raids de l’armée israélienne cette année. Elle a même été assiégée pendant deux semaines, en septembre dernier. Plus de 193 personnes y ont été tuées et 710 blessées en un an. Depuis, la ville et ses environs vivent au rythme des incursions de soldats israéliens venant affronter des factions armées palestiniennes. « Chaque fois que cela arrive, les souks [marchés] sont fermés et on ne peut vendre ni notre huile, ni nos fruits et légumes », soupire-t-il.
Mohammed Fahmi al-Marii et de nombreux récoltants ont déjà terminé la récolte et ont besoin de l’écouler, alors que d’autres attendent encore que leurs olives grossissent. « Je préfère récolter vers le milieu de la saison pour avoir une huile au goût bien balancée. Elle est exquise, cette année, de très haute qualité », dit-il fièrement. Mais la récolte lui a laissé un goût amer.
Plusieurs membres de la coopérative oléicole de Kufr Dan, dont il est le responsable, ne peuvent plus accéder à leurs champs à cause de checkpoints de l’armée israélienne, dit-il. « Ici, nous sommes relativement épargnés des attaques de colons, mais cela reste difficile. L’armée vient avec ses bulldozers et détruit les champs, les routes et toute l’infrastructure civile », témoigne-t-il, vidéos à l’appui.
Terres confisquées
À une heure et demie au sud de Jénine, dans le centre de la Cisjordanie occupée, les attaques de colons sont en pleine recrudescence. « Ils ont installé des bases avancées sur les collines environnantes à la mi-octobre et ont confisqué 250 000 m2 de terres arables, qui appartiennent à des familles bédouines », dit par téléphone Mostafa Hamad, maire du village « écologique » de Farkha.
La coopérative oléicole y produit une huile d’olive biologique de qualité, exportée vers l’étranger. Ici, chaque habitant travaille la terre et possède un petit potager personnel. « On est totalement autosuffisants en fruits et légumes, cela fait partie de la philosophie de notre ville [ancrée dans le communisme depuis les années 1960] », explique le maire.
À quelques kilomètres des collines striées de restanques et du village en pierres anciennes se dresse la colonie israélienne d’Ariel. Plus de 20 000 Israéliens y vivent en toute illégalité vis-à-vis du droit international et y ont même installé une zone industrielle qui pollue les terres de Farkha et des communes palestiniennes environnantes. Ses colons grignotent progressivement les terres de Farkha — déjà bien avant le 7 octobre 2023. Mais après l’opération militaire du Hamas à Gaza et dans le sud d’Israël, les attaques de colons ont brutalement augmenté — par vengeance, et pour finalement s’approprier des terres longtemps désirées.
« Le 1er novembre, un groupe de colons est descendu du poste avancé et nous a interdit d’accéder à une parcelle de 8 000 m2 d’oliviers, nous menaçant de mort. Ils occupent maintenant 1 250 000 m2 de nos terres au total [soit environ un sixième des terres du village] », affirme Mostafa Hamad. Depuis cet assaut, 22 bédouins et leurs 450 moutons ont trouvé refuge à même le village de Farkha, et les villageois craignent pour leur avenir.
« C’est une stratégie afin de terroriser les Palestiniens, et nous forcer à quitter nos terres », affirme le jeune maire. Il estime le manque à gagner à 4 000 dollars (3 800 euros) juste pour la vente d’huile d’olive — une perte considérable, alors que le salaire moyen en Cisjordanie est de 300 dollars (280 euros) mensuels.
« Notre agriculture dépend fortement des saisons, et celle des olives représente un héritage historique et culturel important pour nous. Il ne s’agit pas seulement de tirer de l’argent des olives, mais il existe une connexion entre le fermier palestinien et sa terre, explique Mostafa Hamad. C’est pourquoi ils veulent agresser davantage les gens pendant cette saison. »
Depuis le 1er octobre 2024, l’Organisation des Nations unies (ONU) a documenté 203 incidents impliquant des colons directement liés à la récolte des olives ; 69 Palestiniens ont été blessés par des colons israéliens ; 13 par les forces israéliennes ; plus de 1 600 oliviers brûlés, sciés ou vandalisés ; et de nombreuses récoltes et outils volés. Au total, presque 800 Palestiniens ont été tués et presque 12 000 arrêtés par les forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie depuis le 7 octobre 2023.
« Israël a annexé la Cisjordanie en silence »
Le pire, c’est l’annexion croissante de la Cisjordanie, tombant de plus en plus sous contrôle israélien. En témoignent les 840 checkpoints établis par les forces israéliennes depuis le 7 octobre 2023, barrant les routes à des lieux et heures aléatoires et soumettant les Palestiniens à des contrôles humiliants.
« Désolé pour le retard, j’ai été coincé une heure devant un checkpoint », s’excuse ainsi Moayyad Bsharat, coordinateur pour le syndicat des Comités du travail agricole (UAWC, en anglais), lors de notre interview téléphonique. Il revenait de son bureau à Ramallah à son domicile à Jéricho. Un trajet qui lui a pris trois heures, au lieu d’une heure. « C’est totalement arbitraire, soupire-t-il. Ils peuvent fouiller nos téléphones. À la moindre mention de la cause palestinienne ou de Gaza, ils peuvent nous arrêter et nous torturer. »
L’accès aux oliveraies est ainsi devenu de plus en plus restreint par les forces d’occupation. « Dans certains villages, jusque 80 % des olives ne peuvent pas être récoltées, pour la deuxième saison d’affilée », dit-il. Pour cause : de nombreuses aires agricoles palestiniennes sont situées en zone C, sous contrôle de l’armée israélienne (61 % de la Cisjordanie occupée), qui exige des permis pour autoriser l’accès. Sauf qu’ils sont difficiles à obtenir : de nombreuses familles ont hérité des terres de leurs ancêtres sans documents juridiques. Dans beaucoup de cas, les autorités israéliennes autorisent les récoltants à accéder à leurs terres que 1 ou 2 jours par an. Difficile d’entretenir ses oliviers et de récolter dans ces conditions.
La catastrophe climatique est venue perturber la saison déjà très agitée. « Dans beaucoup d’endroits, elle a été retardée, les olives n’avaient pas suffisamment grossi à cause des jours de grêle et des canicules intenses », soupire-t-il.
Certains producteurs ont vu leur production diminuer d’un tiers pour cette raison. « Pour compenser, il faudrait pouvoir irriguer plus souvent, sauf que les Israéliens empêchent les gens d’accéder à leurs terres, rappelle-t-il. C’est vraiment difficile à vivre. Un vieux récoltant a pleuré chaudement en me racontant que pour la première fois de son histoire familiale, il a dû acheter de l’huile d’olive industrielle. Israël a annexé la Cisjordanie en silence, on vit sous une occupation totale. »
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