• ven. Sep 20th, 2024

« La guerre est un fardeau toxique »


Le 10 septembre, Greenpeace a inauguré un nouveau bureau à Kyiv, en Ukraine. C’est une étape importante dans la volonté de l’association de contribuer à la reconstruction écologique du pays, tout en enquêtant sur les crimes de guerre contre l’environnement causés par l’invasion russe, explique Natalia Gozak, nouvelle directrice de Greenpeace Ukraine.



Reporterre — Pourquoi ouvrir un bureau en Ukraine, en pleine guerre ?

Natalia Gozak — C’est une nouvelle étape dans le travail, ininterrompu, de Greenpeace en Ukraine. L’invasion russe de 2022 a eu des conséquences dramatiques pour la population mais également pour l’environnement. Cette guerre a perturbé les systèmes alimentaires et énergétiques à l’échelle mondiale, affectant tous les domaines d’action de Greenpeace.

Dès le début du conflit, nos équipes en Europe centrale et orientale, en Pologne, Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie, se sont mobilisées pour fournir une aide humanitaire aux populations affectées. Nous avons mis à disposition nos locaux comme bases pour la coordination des ONG et l’hébergement des réfugiés, et nos activistes sont restés en contact étroit avec les ONG locales pour soutenir leurs efforts sur le terrain.

Greenpeace

Parallèlement, Greenpeace a réorienté ses priorités pour répondre aux conséquences environnementales de cette guerre, en enquêtant notamment sur la destruction du barrage de Kakhovka ou en documentant les risques de catastrophe nucléaire autour des centrales de Tchernobyl et de Zaporijia. L’ouverture de ce bureau à Kyiv permet d’intensifier ces efforts. Nous sommes huit Ukrainiens à y travailler et des collègues d’autres bureaux de Greenpeace nous soutiennent à distance.

Quelles actions précises sont menées contre les crimes environnementaux de guerre ?

Avec l’association Ecoaction, nous avons développé une « carte des dommages environnementaux », qui recense près de 900 cas de destruction. Chaque cas est vérifié par des images satellites et des données de la Nasa. Cette carte est un outil précieux pour évaluer les dégâts environnementaux et contribuer à leur documentation.

La destruction d’infrastructures vitales ou la pollution généralisée des sols et des eaux est un fardeau toxique pour des générations. Nous constatons une pollution toxique des sols due aux bombardements d’industries ou de réservoirs de pétrole, et maintes destructions de zones naturelles précieuses, comme le Lower Dnipro National Nature Park. La mer Noire est gravement affectée, et par exemple, les mammifères marins de la mer Noire ont subi des décès massifs en 2022, tous liés à la guerre.

« Un fardeau toxique pour des générations »

L’un des dommages environnementaux les plus dévastateurs à ce jour est l’anéantissement du barrage de Kakhovka, survenu en juin 2023. Cet épisode a entraîné des inondations sur de vastes zones. Nos recherches, basées sur des données satellites, ont montré que des raffineries de pétrole, des stations-service, des centrales thermiques et divers entrepôts ont été inondés. Tout cela s’ajoute à au moins 150 tonnes d’huile moteur qui auraient été déversées dans les premiers jours de la catastrophe. Et des zones encore plus vastes ont été affectées par le manque d’approvisionnement en eau.

Nous soutenons le rapport de l’ONG ukrainienne Truth Hounds, qui qualifie la destruction du barrage de Kakhovka de crime de guerre environnemental, et nous appelons la Cour pénale internationale (CPI) à mener une enquête approfondie sur cette attaque.

Comment Greenpeace surveille-t-elle la situation autour des sites nucléaires ukrainiens ?

Nous avons lancé deux missions à Tchernobyl pour surveiller les niveaux de radiation en temps réel. Nous avons installé des capteurs dans des écoles, des hôpitaux et des sites nucléaires, afin de détecter les radiations et prévenir les populations en cas de danger. La situation à la centrale de Zaporizhzhia est également une source de grande inquiétude, et nous appelons au passage à des sanctions contre Rosatom, qui contrôle illégalement ce site.

Quels sont vos projets pour l’après-guerre ?

Nous travaillons sur plusieurs fronts. Notre priorité est de contribuer à la reconstruction verte des infrastructures et des communautés détruites par la guerre. Nous voulons démontrer qu’il est possible de reconstruire de manière durable, tout en inspirant d’autres pays. En utilisant des énergies renouvelables et des technologies écologiques, nous espérons que les fonds alloués à la reconstruction de l’Ukraine seront investis dans des solutions durables comme le solaire et l’éolien. Pour la sûreté et la sécurité de la nation, l’Ukraine doit mettre en marche la transition vers l’abandon des combustibles fossiles. Pour préparer « l’après », nous avons donc lancé le projet-pilote de « verdissement de la reconstruction de l’Ukraine » en collaboration avec des ONG locales.

Comment allez-vous collaborer avec les ONG ukrainiennes ?

Nous collaborons déjà étroitement avec des organisations locales comme Ecoaction, la plus grande ONG environnementale en Ukraine, ainsi qu’avec Save Dnipro, Ecoclub Rivne, Rozkvit et Truth Hounds.

Pour nos projets de reconstruction verte, nous sommes aussi en relation étroite avec plusieurs municipalités. Nous accompagnons les autorités locales en leur fournissant des compétences techniques et des conseils pour intégrer des solutions d’énergie renouvelable. Comme à Horenka, par exemple, dans la région de Boutcha. Un hôpital, paralysé par les bombardements russes, a été reconstruit avec une pompe à chaleur et un système d’énergie solaire, renforçant l’indépendance énergétique du bâtiment. Au cours de la première année de fonctionnement, la pompe à chaleur a permis à la clinique d’économiser 43 % sur les coûts de chauffage. La centrale solaire a couvert 55 % des besoins en électricité — l’hôpital fonctionne exclusivement à l’énergie solaire jusqu’à 150 jours par an.

Greenpeace a aussi installé des centrales solaires dans une école à Hostomel et une clinique à Mykolaïv, et a travaillé sur des projets similaires avec l’hôpital pour enfants de Krementchouk, l’hôpital de Chepetivka et une maternelle endommagée à Okhtyrka. Nous soutenons également le développement et la mise en œuvre d’un programme de réhabilitation des bâtiments pour toute la ville de Trostyanets. Ces initiatives locales montrent déjà la voie pour une reconstruction durable de l’Ukraine.

Vous êtes, vous-même, Ukrainienne…

Oui, et la première fois que j’ai vu une action de Greenpeace en direct, j’avais 12 ans. Je descendais du métro à la station Arsenalna, à Kyiv, lorsque j’ai vu une installation qui m’a profondément impressionnée : un énorme robinet se dressait au milieu d’une foule de gens. Des personnes avec des affiches et des banderoles protestaient autour du robinet, exigeant que les autorités de Kyiv introduisent une nouvelle technologie de traitement de l’eau pour la ville. C’est resté gravé dans ma mémoire. Je suis fière d’être à la tête de ce nouveau bureau, trente ans plus tard.

Quelle importance a le mouvement écologiste en Ukraine ?

On a tendance à l’oublier, mais les activistes écologistes en Ukraine ont toujours été à l’avant-garde des événements importants pour ce pays et pour la région en général. Lorsque la catastrophe de Tchernobyl s’est produite en 1986, les militants écologistes ukrainiens ont organisé un mouvement antinucléaire massif. Les manifestations de masse contre l’exploitation des installations nucléaires ont montré qu’il était possible de protester en URSS, de s’exprimer et d’atteindre ses objectifs. Les défenseurs de l’environnement ont alors réussi à arrêter la construction de la centrale nucléaire de Tchyhyryn, des unités supplémentaires à la centrale nucléaire de Khmelnitsky, et même celle, presque achevée, en Crimée.

À l’époque, le mouvement environnemental a incité les Ukrainiens à ne pas avoir peur de manifester. L’activisme ukrainien s’est renforcé pour donner lieu, finalement, à la victoire sur la peur et le désir de vivre dans un pays où l’on peut s’exprimer librement, qui ont contribué à la chute de l’Union soviétique et à l’indépendance de l’Ukraine. Aujourd’hui, avec l’ouverture du bureau de Greenpeace Ukraine en pleine invasion russe, les activistes écologistes montrent une fois de plus qu’ils n’ont pas peur de défendre les valeurs de liberté, de démocratie et le droit de protéger la nature.

Lire aussi : En deux ans, la guerre en Ukraine a émis 175 millions de tonnes de CO2

Je crois que le mouvement environnemental en Ukraine prendra un nouvel élan en cette période de crise et sera prêt à créer du changement, à se libérer de l’influence coloniale de la Russie, et à bâtir une Ukraine verte, durable, démocratique et résiliente.

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