• ven. Sep 20th, 2024

ce qu’on a aimé (ou pas) dans la vidéo


Des influenceurs qui établissent leur bilan carbone avec Jean-Marc Jancovici ? C’est l’objectif de la dernière vidéo de McFly et Carlito, publiée sur YouTube le 16 septembre. Vidéastes aux 7,4 millions d’abonnés, David Coscas (McFly) et Raphaël Carlier (Carlito) sont connus pour leurs contenus humoristiques, et dernièrement pour leur vidéo très critiquée avec Emmanuel Macron. Cette fois, les deux acolytes s’attaquent à leur bilan carbone, un sujet qu’ils évoquent rarement et que Reporterre, en tant que média de l’écologie, se devait d’analyser.

Au final, si la vidéo est la bienvenue sur une plateforme où les questions climatiques sont marginalisées, elle développe une vision dépolitisée et carbocentrée.

• L’écologie, rare sur YouTube

En compagnie de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici et de son outil MyCO2, les deux compères ont calculé leur empreinte carbone. Résultat : 12,01 pour Mcfly et 12,3 tonnes pour Carlito. Un chiffre supérieur aux 10,8 tonnes d’un Français moyen. Carlito est le mauvais élève avec ses voyages en avion. McFly le suit de près, à cause de sa résidence secondaire. Pour alléger cette ardoise, Mcfly envisage de changer de chauffage, en passant d’une chaudière à gaz à une pompe à chaleur. Carlito semble prêt à réduire ses voyages en avion.

« On a un élan écologique depuis quelques mois, mais on a des contradictions. On n’est pas irréprochables, mais l’ambition est là », explique Raphaël Carlier. L’idée « n’est pas de culpabiliser », prévient son acolyte. Puis, s’adressant à ses abonnés : « Ça vous donne un point de départ pour potentiellement vous améliorer, ou pas, en fonction de ce que vous pouvez faire dans votre vie. »

Même si leurs réflexions peuvent parfois paraître naïves, les deux hommes ont le mérite d’aborder ces questions sur YouTube, un univers où les contenus climatosceptiques pullulent. La vidéo a d’ailleurs été vue plus de 1 million de fois et beaucoup d’abonnés ont félicité les youtubeurs de cette démarche. En vingt-quatre heures, plus de 100 000 personnes ont utilisé le calculateur d’empreinte carbone de Carbone 4, le cabinet de conseil créé par Jean-Marc Jancovici. Un succès salué par Carlito dans une story Instagram : « C’est superbe, on avance petit à petit, merci. »

Les youtubeurs étaient accompagnés dans cette vidéo de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici.
Capture d’écran/YouTube/McFly et Carlito

• Un bilan carbone sous-estimé

Tout au long de la vidéo, Jean-Marc Jancovici reste assez conciliant avec les deux vidéastes quant à l’empreinte carbone de leur métier d’influenceur. Placements de produits, vêtements et goodies envoyés par les marques : tout incite à la consommation. Sans compter que l’impact carbone des vidéos n’est pas comptabilisé. Si Carlito est bien conscient que « faire une vidéo et aller sur son ordi, ça consomme », il n’en est pas vraiment question dans les discussions. Pourtant, le secteur du numérique est responsable de 2,5 % de l’empreinte nationale. Soit 17,2 millions de tonnes équivalent CO2 rejeté dans l’atmosphère.

• Une vision dépolitisée, centrée sur les gestes individuels

C’était le gros piège qu’ils n’ont pas réussi à éviter : pendant vingt-huit minutes est déroulée une liste de « petits gestes » que McFly et Carlito devraient changer dans leur quotidien, sans que la question politique ne soit abordée une seule fois.

Comprenons-nous bien : oui, il est essentiel que les deux vidéastes — comme tous les autres citoyens — réduisent leur consommation de viande ou d’énergie. Mais si ces actions individuelles ne sont accompagnées d’aucun changement politique, ces petits gestes resteront vains. Jean-Marc Jancovici ne le rappelle pas clairement. En 2019, une étude de son cabinet de conseil Carbone 4 révélait pourtant que, par ses gestes individuels, un Français ne pourrait réduire son empreinte carbone « que » de 2,8 tonnes de CO2 chaque année (sur une empreinte carbone moyenne de 10,8 tonnes de CO2). « Indispensable, mais largement insuffisant », concluait Carbone 4.

Le bilan carbone de Carlito (à d.) : 12,3 tonnes par an.
Capture d’écran/YouTube/McFly et Carlito

L’ingénieur aurait donc pu rappeler que nos émissions carbone dépendent de notre mode de vie, mais aussi du pays dans lequel l’on vit. Par exemple, avoir recours au covoiturage est une bonne pratique pour réduire nos émissions liées au transport, mais cela n’enlève rien au fait que de nombreux territoires français sont dépendants de la voiture, elle-même dépendante de l’essence ou du diesel. Si l’État ne met pas en place de véritables réseaux de transport en commun, les citoyens seront donc condamnés à ne jamais pouvoir baisser cet aspect de leur empreinte carbone.

Même chose pour les entreprises : l’individu seul n’a aucun levier pour remanier leurs processus industriels, logistiques et techniques ; et ne peut pas non plus modifier le cours productiviste et capitaliste du monde. C’est donc à la puissance publique d’impulser de réels changements structurels pour réduire l’empreinte carbone du pays. Le rappeler, ne serait-ce qu’en quelques phrases, aurait été plus que bienvenu pour ne pas surresponsabiliser les citoyens.

• Une invisibilisation des inégalités sociales

D’autant que tout le monde n’est pas logé à la même enseigne en matière d’empreinte carbone. Une simple phrase de Carlito suffit à faire bondir de sa chaise : « Nous on a de la thune, c’est plus facile pour nous [d’être écolos] », sous-entendu, leur argent leur permet d’acheter une nouvelle pompe à chaleur ou de manger bio. Aucun recadrage de la part de Jean-Marc Jancovici, qui répond seulement en riant : « Ne pas partir en avion aux États-Unis, tu ne peux pas dire que ça te demande de la thune ! »

L’ingénieur aurait pu aller plus loin car, là encore, des chiffres existent. Dans un rapport publié en 2023, l’ONG Oxfam a montré que « les 1 % les plus riches (77 millions de personnes) sont responsables de 16 % des émissions mondiales liées à la consommation en 2019 » et que « les 10 % les plus riches sont responsables de la moitié des émissions mondiales ». McFly l’a d’ailleurs esquissé en reconnaissant ensuite qu’avoir « de la thune » les incitait à « partir plus en avion, prendre des hôtels de luxe » — des activités émettrices de gaz à effet de serre —, ce qu’ils ne feraient pas sans cet argent.

La vidéo laisse penser que tous les Français auraient la même responsabilité dans l’urgence climatique.
Capture d’écran/YouTube/McFly et Carlito

Évacuer le sujet en une phrase pose deux problèmes. D’abord, la vidéo ne contredit pas le mythe que s’intéresser aux enjeux écologiques est « un truc de riches ». Pire, elle laisse penser que tous les Français auraient la même responsabilité dans l’urgence climatique, et donc les mêmes efforts à fournir. Or, entre une personne qui ne chauffe pas son logement parce qu’elle n’en a pas les moyens, et McFly qui possède une maison de 235 m2 ainsi qu’une résidence secondaire dans les Landes, c’est au second de faire des efforts. En ne le rappelant pas, la vidéo invisibilise les inégalités sociales, et peut provoquer un sentiment de culpabilité — voire un rejet de l’écologie — chez des personnes précaires.

• Un déni des réalités coloniales

Le passage est court, mais hallucinant. Lorsque Carlito raconte qu’il a le sentiment qu’aux États-Unis les citoyens se fichent des enjeux écologiques, Jean-Marc Jancovici lui répond avec aplomb : « Les États-Unis, c’est un pays qui s’est créé dans un endroit qui était immense, où il n’y avait personne, qui est bourré de ressources. Il y a tout ce qu’on veut aux États-Unis : du pétrole, des mines, des forêts… Quand les pays sont créés comme ça, c’est ce qu’on appelle les “pays vides”, les gens n’ont pas de conscience écologique, ou très peu. » L’ingénieur oppose ensuite cette mentalité supposée à celle des pays d’Europe qui « ont dû faire gaffe à ce qu’ils avaient », à cause de « problèmes de ressources », de « famines » et de « maladies ».

L’ingénieur semble ainsi nier l’existence des peuples autochtones, qui vivaient aux États-Unis bien avant le début de la colonisation au XVIe siècle. Si la densité de population était évidemment plus faible qu’aujourd’hui, le pays était loin d’être « vide » et ces individus ne pillaient pas les ressources de leur territoire. Par ailleurs, les peuples autochtones ont également subi des « famines » et des « maladies », précisément à cause de la colonisation.

• Le nucléaire n’est pas une énergie propre

« L’électricité qu’on produit en France n’émet pas beaucoup de CO2, parce que c’est avant tout du nucléaire qui n’émet pas beaucoup de CO2 et des énergies renouvelables qui n’émettent pas beaucoup de CO2 non plus », a déclaré Jean-Marc Jancovici.

Avec cette phrase, l’ingénieur met sous le tapis tous les problèmes que soulève le nucléaire et l’associe artificiellement aux énergies renouvelables, sans prendre en compte la question des risques radioactifs, des déchets et de la pollution engendrée par cette forme d’énergie, donnant l’illusion que le nucléaire serait propre.

En réalité, comme Reporterre l’a montré à plusieurs reprises via diverses enquêtes, le nucléaire est un pari qui se transforme en boulet. « Chaque euro investi dans de nouvelles centrales nucléaires aggrave la crise climatique, car cet argent ne peut plus être utilisé pour investir dans des options efficaces de protection du climat », observait dans Reporterre Mycle Schneider, spécialiste de l’économie du nucléaire.

• « Une vision carbocentriste »

Au fond, les deux influenceurs et leur invité ont eu un discours soluble dans l’idéologie de la croissance verte en opérant une forme de réductionnisme de la crise écologique, limitée à la question des émissions de gaz à effet de serre. Comme le rappelait l’économiste Hélène Tordjman dans un entretien à Reporterre, cette approche consiste à prendre « la crise écologique par le petit bout de la lorgnette ».

« Le réchauffement climatique ne peut pas être vu comme l’unique expression de la destruction plus générale de la nature », affirmait-elle, d’autant que « la décarbonation de l’économie peut justifier des projets complètement fous d’un point de vue écologique : la construction de centrales nucléaires, la promotion de l’hydrogène, le renouvellement total du parc automobile en voitures électriques, etc. Ces mutations soi-disant “vertes” nous maintiennent dans un système productiviste, extractiviste et destructeur ».

Dans la vidéo, cette focalisation sur l’empreinte carbone a tendance à masquer les autres problèmes écologiques : l’anéantissement de la biodiversité, la pollution massive, le dépassement des limites planétaires, etc. Elle pousse à concevoir l’écologie comme un enjeu résolument technique où seuls les chiffres prédominent, au détriment d’un discours plus général sur l’état de nos sociétés et nos formes de vie insoutenables. Il nous suffirait de bouger le curseur, de limiter quelques achats, de modifier notre chaudière là où, en réalité, il nous faudrait changer d’état d’esprit, révolutionner notre rapport à la Terre et au reste du vivant.

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