• sam. Sep 21st, 2024

la Cour des comptes demande d’arrêter l’hémorragie


Les défenseurs des forêts peuvent désormais s’appuyer sur un rapport de la Cour des comptes. Cette dernière a rendu jeudi 19 septembre un rapport sur l’Office national des forêts (ONF) où elle pointe la nécessité de mettre fin à la baisse des effectifs qui frappe l’établissement public depuis plus de vingt ans.

Le service public qui gère un quart des forêts françaises et met sur le marché 40 % des volumes de bois produits en France est en proie à de multiples défis. Les effets du réchauffement climatique, avec les sécheresses, les incendies et les attaques parasitaires malmènent les massifs, tandis que la « privatisation rampante » de l’établissement public fragilise ses moyens d’action et ses capacités de riposte.

C’est le constat que dresse, en creux, la juridiction. Derrière un langage tout en retenue, elle critique les politiques néolibérales menées ces dernières années qui ont contribué a démanteler l’ONF. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, en 2017, 1 000 postes ont été supprimés. Et la part des fonctionnaires a été considérablement réduite au profit des contractuels. Au total, en vingt ans, le personnel de l’ONF est passé de 12 500 à 8 000 salariés. Soit une réduction de 40 %.

« Les moyens humains de l’établissement sont insuffisants »

Face au réchauffement climatique, cette érosion n’est plus possible, acte la Cour des comptes. « Soumis pendant de nombreuses années à des schémas d’emploi contraignants visant à réduire sa masse salariale, les moyens humains de l’établissement apparaissent désormais insuffisants pour répondre aux missions croissantes qui lui sont assignés », écrivent les auteurs du rapport. Ils notent aussi que « ces réductions d’effectifs ont eu des conséquences importantes sur le maintien des compétences au sein de l’établissement ». « En allant très loin dans la réduction des effectifs, on a perdu des compétences, insiste Catherine Perin, la présidente de section et co-autrice du rapport. On a besoin de personnels en forêt pour marteler les arbres, observer la faune, surveiller les risques d’incendie, etc. »

Manifestation fin 2021 à Paris pour dénoncer les coupes dans les effectifs d’agents de l’ONF effectuées par le gouvernement.
© Émilie Massemin / Reporterre

Au cours des dernières années, les réductions d’emploi auraient d’abord ciblé « les fonctions support » puis se seraient étendues aux effectifs d’ouvriers forestiers. Un choix très dommageable compte tenu que « l’établissement a désormais de plus en plus besoin d’eux pour répondre aux travaux sylvicoles de renouvellement des forêts publiques », analyse Catherine Perin.

Des milliards d’euros nécessaires

La Cour des comptes s’attend à un chantier considérable dans les années à venir. Elle rappelle que 25 000 hectares de forêt domaniale et autant de forêts des collectivités ont été détruits entre 2018 et 2021. Elle prévoit qu’à l’horizon 2050, l’effort de reconstitution des peuplements des forêts domaniales dépérissant ou susceptibles de le devenir concernera 21 000 ha par an contre 12 000 actuellement, et le coût du reboisement pourrait exploser. « Si nous nous projetons sur une courte période, à l’échelle d’un cycle forestier, soit quelques décennies, les besoins de financement se chiffrent en milliards d’euros », précise la direction de l’ONF, dans une annexe du rapport.

« En l’état de ses capacités financières, l’établissement ne pourra pas répondre seul aux enjeux de la transition écologique, notamment ceux liés au changement climatique », confirme la Cour des comptes. L’ONF a de forte de chance de rester tributaire des subventions de l’État pour poursuivre sa mission de gestion durable des forêts publiques, quand bien même une part non négligeable de ses ressources provient de la vente du bois et que le contexte actuel — une hausse ponctuelle du prix du bois — lui a permis d’améliorer sa situation financière. L’endettement de l’ONF qui a atteint 400 millions d’euros il y a quelques années a été réduite à 271 millions d’euros.

Une « prise de conscience » au sein de l’État

Dans le contexte d’austérité, la Cour des comptes marche sur un fil. « Les moyens de l’État sont sous tension, la situation n’est pas des plus propice à des augmentations importantes d’effectifs », a reconnu le président de la juridiction, Pierre Moscovici, lors d’une conférence de presse. Il n’en reste pas moins que la Cour des comptes recommande à l’État de « mieux hiérarchiser ses priorités » et pointe « les injonctions contradictoires » auxquelles fait face l’ONF : « Accroître le volume de bois à vendre, améliorer la régénération forestière ou augmenter la captation carbone de la forêt sont des objectifs qui ne vont pas forcément dans le même sens. »

Chez les syndicalistes et des écologistes, on s’en félicite. « On assiste à un changement de paradigme politique », déclare Patrice Martin, porte-parole du Snupfen, le syndicat majoritaire de l’ONF. « Il y a une prise de conscience au sein même de l’appareil de l’État, nos efforts et alertes commencent à payer ».

Nous serions à un point de bascule. « On a cassé la spirale infernale qui nous massacre depuis vingt ans. Ce rapport est une remise en cause de la brutalisation produite par les politiques néolibérales », analyse le syndicaliste.

« On a cassé la spirale infernale »

Depuis deux ans, et à la suite d’une lutte considérable lors de l’examen des précédentes loi de finance, les syndicalistes de l’ONF ont réussi à geler les objectifs de réduction des effectifs. Même si l’usage de l’article 49.3 avait balayé les amendements qui demandaient une augmentation de la masse salariale, les syndicalistes avaient pu négocier avec le ministère l’annulation du schéma d’emploi 2023 et 2024 qui prévoyait une baisse de 95 équivalents temps plein (ETP) par an.

« Le rapport confirme nos constats. C’est une arme de plus pour convaincre les députés », dit Bruno Doucet, de Canopée.
© Mathieu Génon / Reporterre

La direction de l’ONF évalue les futurs besoins à 365 salariés supplémentaires. Un chiffre insuffisant pour les syndicats. « Nous avons besoin, en réalité, de 4 000 salariés, il faut revenir à la masse salariale des années 2000, estime Patrice Martin du Snupfen. Aujourd’hui, un garde forestier gère 1 500 hectares, il y a vingt ans, c’était 800. Les outils numériques et les drones Lidar que promeut la direction ne sont pas suffisants pour palier ce manque d’agents sur le terrain, insiste-t-il. Il faut des observateurs physiques. La gestion forestière, ce n’est pas un joli jeu vidéo piloté depuis Paris. »

Combat à l’Assemblée nationale

Pour Bruno Doucet, de l’association Canopée, le combat à l’Assemblée nationale, lors de l’examen du budget ces prochaines semaines, va être décisif. Une majorité parlementaire pourrait se dessiner pour augmenter les effectifs et de nombreux amendements ont été envoyés dans ce sens. « Le rapport confirme nos constats. C’est une arme de plus pour convaincre les députés. »

Quant à l’argument de l’austérité, le salarié de l’association environnementale le balaye d’un revers de main. « L’État a mis 250 millions d’euros par an pour pérenniser le plan de renouvellement forestier qui a contribué à subventionner massivement des coupes rases. 39 % des projets financés ont rasé des forêts saines, rappelle-t-il, au profit de plantations monospécifiques ». Une aberration écologique.

« On pourrait arrêter de financer ces chantiers et redéployer ces 97,5 millions d’euros ailleurs : vers des missions en faveur de la biodiversité, pour l’embauche de gardes forestiers à l’ONF, pour des postes à l’OFB [Office français de la biodiversité], etc. Cinq cents postes à l’ONF équivaut à 23 millions d’euros. On a donc de la marge. L’argent est là, il faut juste la rediriger vers des politiques véritablement écologiques », affirme-t-il.

legende



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *