Au début du mois de juillet 2025, la loi Duplomb a été votée par la majorité de l’Assemblée nationale après une alliance entre la droite et l’extrême droite. Au-delà des reculs environnementaux considérables contenus dans ce texte, c’est également le processus d’adoption, très contestable, qui interroge. Analyse.
Non contents d’avoir contourné le débat […] grâce à un stratagème peu connu, les fidèles d’Emmanuel Macron et le Rassemblement national semblent maintenant faire fi d’une importante pétition contre ce projet, qui approche doucement des deux millions de signatures. Dans ce contexte, l’absence de moyen d’intervention citoyenne dans la fabrication de la loi pose un véritable problème démocratique. Retour sur ce scandale environnemental et démocratique.
Un danger environnemental certain
Avant toute chose, il convient de rappeler que cette fameuse loi Duplomb semble tout droit sortie de l’agenda de la FNSEA, syndicat de l’agro-industrie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si son instigateur vient lui-même de ce milieu. Ignorant toute considération environnementale et sanitaire, le projet défend les intérêts d’une minorité de grandes exploitations prêtes à tout pour engendrer le plus de profits possible.
Si la réintroduction de certains pesticides a fait les gros titres, il ne s’agit pas de la seule mesure polémique contenue dans ce projet. En effet, la loi consacre aussi les méga-bassines comme « d’intérêt public majeur », ce qui signifie qu’elles pourront désormais être bâties dans des zones où nichent des espèces protégées. Ces constructions ont pourtant déjà démontré leur caractère nocif pour la planète.
Mais ce n’est pas tout : le texte va également faciliter l’installation d’élevage intensif par l’abaissement des seuils de contrôles des exploitations, et il placera la police de l’environnement sous la tutelle des préfets, énième procédé anti-démocratique.
Le scandale du « 49.3 parlementaire »
À l’origine, puisque cette loi venait du Sénat, il incombait donc à l’Assemblée nationale d’en débattre, voire de l’amender, avant qu’elle puisse être adoptée définitivement. Or, toute la droite, avec la complicité du Rassemblement National, a usé d’un stratagème pour tout simplement éviter cette confrontation avec la gauche.
Ainsi, elle a déposé une motion préalable de rejet sur sa propre proposition qu’elle a votée elle-même. Dans ce cas de figure, le texte est directement envoyé en commission mixte paritaire, un petit groupe de députés et de sénateurs, sélectionnés de manière restreinte, pour tenter de trouver un accord.
À l’Assemblée Nationale, le droit de l’environnement face au « 49.3 parlementaire »
— AlterMedia (@altermedias.skyfleet.blue) 2025-06-11T09:33:15.084Z
En large supériorité au Sénat, la droite a reçu l’appui du Rassemblement national pour ne pas donner son mot à dire à la gauche au sein de cette formation réduite. Au bout du compte, la loi a finalement été votée par la majorité de l’assemblée sans avoir pu être débattue ou modifiée. Un processus qualifié de « 49.3 parlementaire » par la gauche qui avait d’ailleurs déposé une motion de censure pour protester. Mais le gouvernement Bayrou avait alors une nouvelle fois été sauvé par le Rassemblement National.
Une pétition qui fait l’effet d’une bombe
Face à la dangerosité du texte et de ce processus anti-démocratique, Éléonore Pattery, une étudiante en sécurité environnementale, a déposé une pétition sur le site de l’Assemblée nationale contre ce texte qu’elle considère anticonstitutionnel (le conseil devra d’ailleurs se prononcer sur cette question avant le 10 août 2025).
Or, à la surprise générale, des centaines de milliers de citoyens se sont mobilisés pour signer cet appel, portant le total de ses soutiens à plus de 1,8 million. Une bombe médiatique qui a obligé la classe politique à réagir sur le sujet.
Un débat, mais pas de réexamen ?
Comme l’explique le site de l’Assemblée nationale, cette pétition n’est cependant guère contraignante : « Après attribution de la pétition à une commission, les députés de la commission désignent un député-rapporteur qui propose ensuite soit d’examiner le texte au cours d’un débat faisant l’objet d’un rapport parlementaire, soit de classer la pétition. La Conférence des présidents de l’Assemblée nationale peut également décider d’organiser un débat en séance publique sur une pétition ayant recueilli au moins 500 000 signatures, issues d’au moins 30 départements ou collectivités d’outre-mer. »
Un débat pourrait donc avoir lieu au Palais Bourbon sur le sujet, mais ce débat n’aura aucune portée légale. Si les députés pourront enfin exprimer leur point de vue à la tribune, les élus ne pourront « en aucun cas revenir sur le texte voté », comme l’a martelé Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée, également députée de la majorité présidentielle.
Déni démocratique
Cette situation met donc bien en lumière l’absence totale de leviers participatifs en France pour intervenir dans la fabrication de la loi. Une fois les élus désignés, ceux-ci sont entièrement libres de légiférer sans contrôle citoyen , sans consultation populaire et sans contrainte, comme en témoigne également l’épisode de la réforme des retraites.
Pourtant, dans une véritable démocratie, un tel nombre de signataires pourrait a minima enclencher un processus de référendum, comme le référendum d’initiative citoyenne (RIC), réclamé notamment lors du mouvement des Gilets Jaunes en 2018. On peut d’ailleurs grincer des dents lorsque l’on repense aux prétendues volontés d’Emmanuel Macron d’organiser un référendum. Étrangement, il existe peu de doute sur le fait qu’il n’appelle pas le peuple aux urnes sur des sujets aussi discutés que la réforme des retraites ou cette loi Duplomb.
Un mépris de la population
Face à cette opposition, le sénateur Duplomb, connu pour son climato-scepticisme à l’origine de la loi a, par exemple, estimé que la gauche faisait « peur à tout le monde », un propos paradoxal de la part d’un membre d’un parti qui entretient régulièrement un discours alarmiste sur l’insécurité et l’immigration. Emmanuel Macron a déploré « entendre des choses un peu simplistes ». À l’extrême droite, Marine Le Pen a dénoncé les « mensonges » accompagnant cette pétition, tout comme le député RN Julien Odoul qui assure que le pesticide n’est « pas nocif » et le texte est « truffé de mensonges et instrumentalisé par les réseaux d’extrême gauche ».
En d’autres termes, les citoyens seraient, selon eux, inaptes à saisir la situation, guidés par leurs angoisses et par des contre-vérités. Une belle illustration de la « pensée complexe » et du mépris de certains représentants politiques envers des citoyens jugés incapables de comprendre dès lors que leurs choix s’opposent aux intérêts du capitalisme agro-industriel.
Une nécessaire refonte
De fait, une telle situation nous rappelle à quel point la population française est étouffée par son manque de respiration démocratique. La cinquième république, ultra-verrouillée et dépassée, offre la quasi-intégralité des pouvoirs au président et aux députés majoritaires.
Dans ce contexte, le peuple doit lui se contenter de voter une fois tous les cinq ans pour des élus qui ne seront, en pratique, soumis à aucune obligation de rendre des comptes ni aucune obligation d’appliquer leur programme politique. De quoi décourager de participer aux scrutins, ce qui en définitive finit par favoriser toujours plus les grands défenseurs de ce système à bout de souffle.
Pour autant, cette mobilisation populaire sur la loi Duplomb a de quoi nous remémorer qu’il existe encore en France de nombreux opposants à ce fonctionnement. Un appel au blocage du pays a d’ailleurs déjà été lancé pour le 10 septembre prochain. De quoi rendre un peu d’espoir à ceux qui aimeraient voir la situation évoluer.
– Simon Verdière
Photo de couverture : Laurent Duplomb, sénateur de la Haute-Loire depuis 2017.
