« Un si grand soleil », l’anti-« The Wire », par Frédéric Lordon (Le Monde diplomatique, août 2025)


Quatre millions de spectateurs devant la première série quotidienne française

C’est un feuilleton, sur France Télévisions, au titre prometteur : « Un si grand soleil ». Un programme bien fait pour nous reposer des difficultés de la vie sociale et, plus encore, des envahissements de la politique. Mais est-ce si sûr ? Que fait une série très regardée à ceux qui la regardent — y compris politiquement ? À plus forte raison quand elle est convaincue de ne rien avoir de « politique ».

Tout va bien. Il est bon de le rappeler, aussi souvent que possible d’ailleurs, car le spectacle du monde pourrait conduire des esprits négatifs à en douter. À tort, bien sûr. Non pas, pour être honnête, que, rigoureusement parlant, tout aille au mieux, mais pour l’essentiel tout de même, oui. La « création » — précisons : la création vendue aux institutions — est d’ailleurs là pour nous en assurer. Ainsi, Leïla Slimani, au Festival de Cannes en conférence de presse du jury. Gardienne de l’essentiel. Un journaliste a eu le mauvais goût d’interroger le sens politique du Festival alors même qu’on massacre à Gaza, au point qu’une tribune de Grandes Consciences un peu brutalement réveillées s’en émeuve. Sur l’estrade, on regarde la pointe de ses souliers. Leïla Slimani se porte heureusement volontaire pour rattraper ce léger début de naufrage. L’essentiel, cette bouée de sauvetage : « Nous avons à continuer de défendre la beauté, la poésie et l’envie de vivre — l’envie de vivre (bis). » Il est bien certain que dans les conditions de fortune qui sont les siennes, défendre l’« envie de vivre » de Leïla Slimani ne nécessite pas d’efforts excessifs. Mais les autres, à qui l’essentiel n’apparaît pas avec autant de clarté ? Comment le leur faire apercevoir à nouveau ?

Heureusement, comme tous les autres secteurs capitalistes, l’industrie « artistique » pratique le sain principe de la division du travail. Le Festival de Cannes parle aux festivaliers, le service public de l’audiovisuel se charge de la masse. Tous les soirs, à l’heure adéquate, c’est-à-dire après le journal télévisé (JT) qui pourrait conduire à faire douter, la série Un si grand soleil réadministre une petite dose d’« essentiel », bien sûr dans une formule redescendue des hauteurs slimanesques, néanmoins ramenée à son principe fondamental, très concentré : tout va bien. Le titre même de la série n’est-il pas en soi comme un prospectus : à la fois des charmes incontestables de la vie à Montpellier, puisque toute la série y a (…)

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