Ce que le féminisme change aussi pour les hommes


Le féminisme est souvent perçu, à tort, comme une cause exclusivement féminine, voire comme une lutte opposée aux hommes. Pourtant, en déconstruisant les normes de genre et les rapports de domination, il ouvre la voie à une société plus juste pour toutes et tous. Et si le féminisme libérait aussi les hommes ?

À travers ses combats pour l’égalité et l’émancipation des femmes dans une société qui les a trop longtemps reléguées au second rôle, le féminisme interroge des constructions sociales qui enferment aussi les hommes dans des postures rigides et oppressantes.

Injonction à la virilité, tabou des émotions, pression à la réussite ou à la domination : autant de normes patriarcales qui nuisent à leur santé mentale, à leurs relations et à leur liberté d’être.

Ce que propose le féminisme, ce n’est pas une inversion des rapports de pouvoir, mais bien une libération collective des carcans genrés. Car en réalité, ce combat n’est pas seulement celui des femmes, c’est celui de toutes les personnes qui veulent vivre autrement.

« Les hommes devraient soutenir le féminisme, non pas par altruisme, mais parce qu’eux aussi ont à y gagner. » Jackson Katz

Une meilleure santé mentale… pour tout le monde

Le patriarcat n’impose pas seulement aux femmes une charge mentale et des inégalités criantes. Il impose aussi aux hommes un silence émotionnel pesant. Et ce silence, parfois, tue. Littéralement.

Les chiffres sont sans appel : en France, environ 75 % des suicides sont commis par des hommes. Une tendance que l’on retrouve dans de nombreux pays. Cette surreprésentation s’explique en partie par l’intériorisation des normes virilistes, qui empêchent nombre d’hommes de demander de l’aide ou de verbaliser leur souffrance. Parce que montrer ses émotions reste perçu comme une faiblesse. Parce qu’un homme ne « craque » pas, il « gère ». Jusqu’à l’explosion. Jusqu’à la mort.

Le féminisme, en ouvrant la porte à une redéfinition des normes de genre, propose justement de sortir de cette impasse. Il invite les hommes à s’autoriser à parler, à demander de l’aide, à pleurer sans honte, à déposer les armes du « sois fort » pour se connecter à ce qu’ils ressentent vraiment.

Un silence qui alimente les violences

Pouvoir exprimer ce que l’on ressent est un besoin humain fondamental. Ne pas se sentir légitime de verbaliser ses douleurs peut alimenter une mauvaise gestion des émotions, notamment de la colère.

S’il est crucial et impératif de responsabiliser tous les agresseurs quant à leurs actes, analyser les moyens de les désamorcer à l’échelle systémique reste vital, littéralement. Par exemple, le manque d’éducation des hommes à l’intimité émotionnelle participe à inciter des milliers d’internautes à libérer une parole immature et violente sous couvert d’anonymat : le sexe qui incarne une forme de vulnérabilité insoutenable pour l’homme devient ainsi un thème de frustration récurrent sur internet, voire de haine, jusqu’au harcèlement.

Si le féminisme cherche à protéger les femmes des attaques qui découlent de ce malaise émotionnel, il n’est donc pas l’ennemi des hommes pour autant : c’est une invitation à sortir du costume trop serré d’une « virilité » imposée par le carcan sociétal. Une porte ouverte vers une (co)existence plus authentique, plus saine, et plus épanouie.

– Pour une information libre ! –Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

La remise en cause de la figure masculine traditionnelle (forte, silencieuse, performante) ne peut que permettre à une majorité d’hommes de construire des identités plus nuancées, moins marquées par la détresse ou l’isolement affectif, jusqu’à l’insensibilisation.

Libération des stéréotypes de genre : en finir avec l’injonction à la virilité

Le féminisme ne se limite pas à la défense des droits des femmes et, bien loin des idées reçues, il ne cherche pas à « féminiser » les hommes ou à leur arracher leur barbe de force – ce qui pose au passage la question de la dévaluation du féminin. Il remet en question les stéréotypes de genre – tous les stéréotypes, y compris ceux qui pèsent lourdement sur les hommes.

À ce titre, il s’oppose aux injonctions à la virilité qui pèsent sur les hommes : la nécessité de masquer ses sentiments, de démontrer constamment sa force, de cacher ses failles ou encore de porter seul la responsabilité financière du foyer.

En défendant la liberté des femmes d’être autre chose qu’un rôle figé, le féminisme défend aussi la liberté des hommes à être pleinement eux-mêmes. Il permet aux hommes d’accéder à une forme de masculinité plus libre et plus humaine, où la sensibilité, l’empathie, la vulnérabilité, la bienveillance et la tendresse ne sont plus perçues comme des signes de faiblesse, mais comme des traits pleinement légitimes.

Il encourage chacun à redéfinir ce que signifie « être un homme » aujourd’hui, sans devoir cocher les cases d’un manuel poussiéreux rédigé il y a quelques siècles. Une masculinité vidée de sa toxicité, plus libre, plus riche, et, par ailleurs, bien plus séduisante qu’une démonstration de virilité forcée.

Ce n’est pas en refoulant ses émotions que l’on devient un homme, c’est en osant les vivre. Prenons l’exemple emblématique de cette évolution : des figures publiques comme Pedro Pascal, l’un des acteurs les plus appréciés de ces dernières années, et dont l’image brise les codes virilistes traditionnels, incarnent une masculinité décomplexée, bienveillante et assumée. Ce modèle ne renonce pas à sa masculinité en étant attentionné et vulnérable. Au contraire, il l’élargit, il l’enrichit. Il montre qu’on peut être un homme sans devoir ressembler à une caricature de publicité pour de la mousse à raser. Ce type de représentations contribue à redéfinir les contours de la virilité contemporaine, en dehors des schémas oppressifs.

Lutter contre les violences subies par les hommes : une urgence aussi

Le féminisme est parfois caricaturé comme ignorant, voire niant, les violences subies par les hommes. Or le féminisme reconnaît bel et bien cette réalité : les hommes sont également victimes de violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles, et qu’elles soient infligées par des femmes ou, le plus souvent, par d’autres hommes.

Ces violences sont fréquemment minimisées, voire tournées en dérision, mais davantage par le patriarcat lui-même que par les féministes. La vision genrée du couple hétéronormé dissuade les victimes de signaler ces violences ou d’en parler. Un homme qui dit avoir été frappé par sa compagne ? On se moque de lui. Un garçon qui parle d’agression sexuelle ? On lui répond qu’il devrait plutôt « s’en vanter ». Le féminisme, en dénonçant précisément les systèmes qui légitiment et banalisent la violence comme expression de domination, œuvre également à rendre visibles et audibles les souffrances masculines.

Parce que si les femmes restent les principales victimes de violences sexistes et sexuelles (en 2023 et 2024, sur l’ensemble des victimes de violences conjugales et/ou sexuelles, 85 % sont des femmes), ce n’est pas « moins grave » quand c’est un homme qui souffre. Ce n’est pas « ridicule » non plus. C’est sérieux et injuste. Le féminisme s’attaque aux systèmes qui banalisent, justifient ou perpétuent la domination viriliste sous toutes ses formes.

Dans une société plus égalitaire, fondée sur le respect et la dignité de toutes les personnes, chaque victime – quel que soit son genre – doit être crue, protégée et accompagnée. Le féminisme vise un monde où être vulnérable n’est plus une honte, et où la violence n’est plus banalisée, quel que soit le genre de la victime, mais en conscientisant de façon réaliste que l’agresseur est dans une écrasante majorité de cas un homme. Ce qui n’est pas anodin et doit, qu’on le veuille ou non, nous interpeller.

Le féminisme n’est pas une guerre des sexes

Le féminisme ne cherche pas à renverser les rôles, ni à instaurer un « matriarcat » vengeur fantasmé. Il propose un modèle de société où chacun·e peut vivre mieux. Où la domination, la peur et le contrôle calqués sur des valeurs capitalistes de compétitivité et de pseudo-méritocratie ne sont plus la norme. Où, a contrario, l’on avance ensemble, selon des principes jusqu’à présent discrédités de solidarité et de collaboration, d’empathie et de douceur ; autant de notions renvoyées par leur détracteurs parallèlement à des idéologies politiques « naïves » comme à une « sensiblerie » féminine afin d’assurer la perpétuation d’un système qui les privilégie.

Le féminisme, n’est donc pas une guerre des sexes : c’est une main tendue pour construire un monde plus juste, plus équilibré et plus vivable. C’est un socle commun entre écologie et égalité de genre pour un monde plus respirable loin du cynisme de nos modèles de société.

Ce n’est pas une théorie fumeuse, c’est un fait observable : les sociétés les plus égalitaires sont aussi les plus pacifiques, les plus prospères et les plus heureuses.

Moins de violences, plus de coopération, une meilleure santé mentale, un climat social plus sain, une justice plus équitable, des enfants mieux éduqués… Le féminisme dans son ensemble ne cherche pas à « dominer les hommes », ce n’est pas une « revanche » contre eux. Son but n’est pas non plus d’instaurer une dictature du torchon bien plié.

Des relations plus saines, plus égalitaires

En encourageant le respect mutuel et le consentement, le féminisme rend les relations interpersonnelles plus équilibrées, moins chargées d’attentes rigides. Finis les clichés de l’homme viril qui doit tout porter sur ses épaules et de la femme douce et compréhensive qui devine les besoins de tout le monde sans jamais se plaindre. Moins de pression, plus de compréhension. Moins de conflits, plus d’épanouissement.

Des relations équilibrées sont aussi moins marquées par les rapports de pouvoir ou de domination. Elles sont plus propices à l’épanouissement personnel, à la complicité et à l’écoute mutuelle. En cela, le féminisme contribue à apaiser les tensions liées à la charge mentale, aux attentes contradictoires ou aux frustrations accumulées dans des relations inégalitaires.

La mise en question de la division sexuée du travail domestique ou parental participe également de ce mouvement. Loin d’être une perte pour les hommes, le partage des tâches – matérielles, émotionnelles, éducatives – est une source d’équilibre et de reconnaissance. Il ne s’agit pas d’« aider » la partenaire, mais de co-construire un foyer solidaire et équitable.

Vers une paternité plus libre et valorisée

Le féminisme défend les droits des femmes à ne pas porter seules la charge parentale, mais cette revendication ouvre également la voie à une revalorisation de la paternité.

En défaisant l’idée que la mère serait naturellement plus compétente pour s’occuper des enfants, le féminisme permet aux pères de trouver pleinement leur place dans la sphère familiale. Être père, ce n’est pas « aider la maman », c’est être impliqué dans la vie de ses enfants. Et cela change tout : pour eux, pour leur développement, mais aussi pour les pères eux-mêmes.

La reconnaissance des congés paternitémême si encore loin d’être idéale -, l’évolution des mentalités autour de la parentalité active, ou encore la légitimation d’un attachement paternel plus démonstratif sont autant de progrès rendus possibles par les luttes féministes.

Ces avancées permettent aux hommes de construire un lien fort, quotidien et impliqué avec leurs enfants, avec des effets positifs tant pour ces derniers que pour eux-mêmes. En ce sens, le féminisme contribue à dés-essentialiser les rôles parentaux, offrant aux hommes la possibilité de s’investir dans des sphères affectives autrefois renvoyées au féminin. Malheureusement, même s’il y a eu des avancées de ce point de vue ces dernières décennies, on est encore bien loin de l’égalité en matière de charge parentale :

Une libération sexuelle bénéfique pour tous et toutes

Les luttes féministes pour le droit fondamental de disposer de son propre corps, et en particulier pour l’accès à la contraception et à l’avortement, ont profondément transformé la sexualité contemporaine, non seulement pour les femmes, mais également pour les hommes. Ces combats ont permis de sortir d’un modèle dans lequel la sexualité féminine était soumise à la peur permanente d’une grossesse non désirée, et donc à un contrôle social et moral étouffant.

Cette émancipation a eu pour effet de rendre les relations sexuelles plus libres, plus sereines et plus égalitaires. La possibilité, pour les femmes, de choisir si et quand elles veulent avoir des enfants est aussi une garantie de responsabilité partagée et de choix consentis pour les hommes. Elle permet d’établir des rapports fondés sur la confiance, le dialogue et le respect mutuel, plutôt que sur la peur ou le non-dit.

En défendant le droit à la contraception et à l’avortement, le féminisme a ainsi ouvert un espace dans lequel la sexualité n’est plus automatiquement liée à la reproduction, ni soumise à des logiques de contrôle ou de dépendance. En plaçant le consentement et la réciprocité au cœur des relations intimes, le féminisme offre un cadre où le désir peut s’exprimer pleinement, sans rôle à jouer, ni performance à prouver.

Une sexualité libérée des rapports oppressifs ne nuit pas aux hommes : elle les libère tout autant. Cette redéfinition ouvre la voie à des expériences plus libres, plus sincères, affranchies des injonctions à la domination ou à la virilité.

Alléger la pression économique sur les épaules masculines

Pendant longtemps, les rôles au sein du couple étaient clairement définis, et profondément inégalitaires : Madame gère la maison et les enfants, un travail invisible et non rémunéré, tandis que Monsieur ramène l’argent. Résultat : une charge mentale écrasante d’un côté, et une pression financière étouffante de l’autre.

Dans un modèle patriarcal, l’homme est souvent perçu comme le pilier économique du foyer. Ce rôle, rarement débattu publiquement, pèse encore fortement sur les trajectoires masculines : stress, épuisement, et sentiment d’échec en cas de chômage ou de précarité.

Le féminisme, en favorisant l’égalité professionnelle et salariale, contribue à redistribuer les responsabilités économiques et à reconnaître pleinement la légitimité des femmes dans le monde du travail. Cette avancée ouvre aux hommes la possibilité de choisir des parcours de vie plus variés.

Parenthèse importante : le modèle du travail actuel reste largement critiquable, notamment pour sa logique de performance, d’exploitation et d’aliénation. Cette dynamique féministe ne peut donc aucunement s’envisager sans une critique conjointe du néolibéralisme. Parce que l’accès égal à l’emploi sert aussi le capitalisme en doublant la main d’œuvre disponible, sans pour autant redistribuer les bénéfices et en augmentant toujours plus les pressions financières sur les ménages. C’est pourquoi un alliance entre le féminisme et les luttes sociales est essentielle pour garantir un véritable équilibre, fondé à la fois sur la justice économique et l’égalité des sexes.

Le féminisme et la lutte des classes ne s’opposent pas, les deux sont parfaitement complémentaires. L’un sans l’autre reste incomplet, surtout dans un monde où le capitalisme instrumentalise toutes les causes, aussi justes soient-elles.

Féminisme & justice sociale : des alliés naturels

Le féminisme, dans sa version intersectionnelle, dépasse largement la seule question des rapports femmes/hommes. Il s’inscrit dans une démarche plus large de justice sociale et économique, en articulant les luttes contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, la transphobie, le validisme ou encore les inégalités de classe.

Il est important de rappeler – même si ce n’est pas l’objet central de cet article – que le féminisme peut également être profondément écologiste, comme en témoigne l’émergence des courants écoféministes. Car au fond, il interroge tous les systèmes d’exploitation, qu’ils soient humains ou environnementaux.

À ce titre, il ne constitue pas une cause isolée, mais un pilier central des combats contemporains pour l’égalité des droits et des conditions de vie. Il ne s’agit pas d’opposer les luttes, mais de reconnaître leur complémentarité, et de créer des alliances solides entre ces mouvements. Le féminisme intersectionnel permet de penser la pluralité des oppressions, et de construire des solidarités nouvelles, qui incluent aussi les hommes marginalisés par le système patriarcal – notamment ceux touchés par la précarité, la stigmatisation de genre ou les violences systémiques.

Refuser le féminisme, c’est défendre un système… qui nuit aussi aux hommes

Quand on gratte un peu sous les discours antiféministes, on trouve un attachement profond à des normes qui font souffrir l’ensemble des individus, peu importe leur genre. Les injonctions à la réussite, les tabous autour des émotions, la pression sur la performance sexuelle, la peur d’être perçu comme « faible », la honte d’avoir été agressé… Toutes ces souffrances, les hommes les vivent aussi. Et elles ne sont pas tombées du ciel. Elles sont le produit d’un système : le patriarcat.

Le féminisme ne veut pas remplacer une oppression par une autre. Il veut détruire les carcans.
Ce n’est pas l’ennemi des hommes, c’est l’allié de toutes les personnes qui veulent vivre libres, sans rôle imposé, sans domination, sans violence.

Elena Meilune


Photo d’entête @Samantha Sophia/Unsplash

– Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous –

Donation



Source link

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *