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Un boulanger bon marché dans un beau marché – Les Maraudes épisode 016

ByVeritatis

Sep 26, 2024


Un très beau marché, même, plus exactement. Et un très beau boulanger, également.

En effet, le marché Jeanne d’Arc, au cœur du 13ème arrondissement de Paris, est absolument magnifique. D’abord parce qu’il a la particularité de s’enrouler autour de l’église Sainte Jeanne d’Arc (superbe édifice) ; à savoir qu’il s’étend aux quatre côtés de celle-ci ; ensuite parce que les barnums sous lesquels les commerçants officient sont très joliment décorés et éclairés, et, enfin, parce qu’on y trouve des produits délicieux et originaux. Dont justement ceux qu’y vend un habitué du lieu : Guillaume, le boulanger.

Ah si ! Je vous l’assure : ça vaut le déplacement. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je m’y suis déplacé. Des amis m’avaient vanté à maintes reprises ses mérites, et, le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne m’avaient pas menti.

Car par « les mérites » de Guillaume, je n’entends pas uniquement la qualité des pains qu’il propose (brioches et autres viennoiseries), et les qualités physiques qu’il faut pour travailler sur un marché, ainsi que les prédispositions nécessaires au parfait camelot qu’il est (être un lève-tôt, avoir une voix qui porte, de l’entrain, le contact facile avec les gens et le sens du commerce). J’entends par là aussi ses qualités de cœur.

Je m’explique

Comme nombre d’entre nous, Guillaume a connu, dans sa vie, ce que nous avons coutume d’appeler « une période de galère. » Fort heureusement, à force de détermination et de courage, il s’en est extirpé. Comment ? Par son travail, bien sûr, et grâce à des camelots. Des hommes et des femmes qui d’abord l’ont aidé à se remplir la panse, et ensuite à se remplir les poches, en lui tendant la main.

Oui. D’abord, tandis qu’il était alors tiraillé par la faim, ces personnes lui ont donné de quoi manger, gratuitement, lui offrant un peu de ceci, un peu de cela, sur les invendus du jour.

« Mais enfin, voyons ! On ne jette pas la nourriture, alors que des gens meurent de faim ! »

s’est-il exclamé, saisi aux tripes, j’imagine en repensant à l’époque où les siennes sonnaient creux.

Puis il poursuivit en ces mots, le récit de cette période où ces camelots, un couple, l’ont aidé.

« C’était vraiment des braves gens. Et attention ! Des travailleurs. Toute leur vie ils se sont levés à trois heures du matin, pour aller charbonner. Quelle que soit la météo, ils étaient là. Et toujours avec le sourire. C’est eux qui m’ont appris le métier. Et surtout, c’est eux qui m’ont appris à l’aimer. Aimer tout ce qui fait sa beauté. Parler avec tous ces gens qu’on voit, tous les jours, sur le marché. L’entraide aussi, entre commerçants. Le plaisir de faire plaisir aux gens en vendant des produits frais, des produits de qualité et qu’ils ne trouvent pas forcément ailleurs. Et aussi, oui, bien sûr, aider ceux qui sont dans le besoin. Comme moi, on m’a aidé, quand moi j’étais dans le besoin. »

Et cette aide à ceux qui sont dans le besoin, Guillaume l’opère de deux façons. D’une part en offrant ses invendus à ceux qui n’ont rien, et en bradant la fin de ses stocks du jour, à ceux dont le budget ne leur permettrait pas, sinon, de bénéficier de cette excellente bectance. C’est le cas de Marie. (1)

Cette parisienne pure souche de 84 ans a pour seule ressource sa petite retraite de maîtresse d’école :

« Vous pensez bien que ce n’est pas avec ça que je peux me payer du caviar tous les jours. » me confia-t-elle, le sourire aux lèvres, tout en me donnant un léger coup de coude dans le mien, histoire de souligner la boutade. À savoir qu’en réalité, du fait de l’extrême petitesse de sa retraite, c’est jamais, aucun jour de l’année qu’elle (ne) peut se payer du caviar. Toutefois, d’accord, côté ressources en pécuniaire, ce n’est pas Byzance, mais côté ressources morales, la dame est très loin d’en manquer. C’est la reine de la débrouille. Une sorte de « Ma Dalton », qui néanmoins elle fait dans la légalité. Elle discute les prix à mort. Et alors, quel bagout ! Les camelots la connaissent tous, et tous autant qu’ils sont, ils apprécient et félicitent cette immense dame quelle est, par son courage, et pour sa bonne humeur communicative, que rien ne semble pouvoir emprunter.

Chez Guillaume, elle a son pain gratis. Un pain. Le deuxième (ça c’est lorsqu’elle a des invités), il le lui fait à moitié prix. Voire le tiers. Ça dépend des pièces qui restent dans son porte-monnaie, quand elle a fini son marché. Toujours en terminant par le stand de Guillaume, car c’est celui qui est le plus proche de l’entrée de l’immeuble où elle habite. Vu son grand âge, elle limite au maximum ses déplacements, et, pour ce faire, elle calcule minutieusement chacune de ses trajectoires.

Quant à la deuxième façon qu’a Guillaume d’offrir son aide à ceux qui sont dans le besoin, la voici.

Il prend avec lui, sur son stand, des personnes que, « se faire un petit billet » dépanne fort à propos.

Ces assistants sont de deux catégories distinctes : les assistants « ad hoc » et les assistants réguliers.

Les premiers, ce sont ceux qu’il prend avec lui selon les besoins du jour, sans avoir décidé à l’avance qui serait l’heureux élu. Quelqu’un présent sur place ce jour-là, qui propose ses services ou qui se dit intéressé par l’offre.

Les autres, ce sont les réguliers. Ceux qui l’aident à la vente des produits et à l’installation du stand plus d’une fois, et que Guillaume recrute un ou plusieurs jours avant. Ce dimanche, c’était le cas d’Amélie (1) : une jolie petite française d’origine algérienne de 21 ans, dynamique et sympathique, mais encore un tantinet timide avec les clients (pas tous). Et c’est bien compréhensible, c’était là seulement la seconde fois qu’elle assistait Guillaume.

Actuellement étudiante en faculté juridique, elle ne roule pas sur l’or. Loin de là. Comme la plupart de ses camarades d’hémicycle, il lui faut cumuler études et travail rémunéré, si elle veut pouvoir s’en sortir : payer son loyer, ses factures, et remplir son frigidaire.

« C’est une amie, elle-même amie de la fille aînée de Guillaume, qui m’a suggéré de lui proposer mes services. Mardi dernier, je suis allé le voir, ici, sur le stand, et il m’a dit « Ok. Viens mardi. »

m’a-t-elle dit, joviale, car ravie de leur collaboration.

Pardi !

La paie, elle aussi, est « sympathique », et, en bonus, cette sémillante et douce jeune femme repart avec un ou plusieurs des succulents gros pains, frais du jour, que Guillaume propose à ses clients. Pains aux olives, pains aux amandes, pains aux noix, pains sportifs, et autres pains spéciaux maison, ils sont tous au levain. Je vous les recommande. Un soucis, un seul : l’embarra du choix.

Et pour les gourmands aussi, il y a de quoi se faire plaisir. Croissants, chocolatines, cannelés, pains aux raisins, etc. Et là aussi je me permets une recommandation maison : la brioche « marbrée », nature et chocolat, au beurre normand. Un régal. J’aurais dû en prendre deux. Trois. Quatre !

Voilà. Tout cela justifiait donc bien, qu’en lieu et place de la « Maraude » par définition nocturne (2) que j’effectue d’ordinaire le samedi, ce dimanche, au matin, je suis allé à la rencontre de cet homme qui certes, lui n’est plus dans le besoin, mais qui n’en oublie pas pour autant d’aider ceux qui y sont, à sa façon.

Bravo à lui !

Et bonnes tartines à tous.

 

1) le prénom a été changé.

2) « Maraude : tournée de rue qui consiste à aller rencontrer les personnes sans domicile fixe (SDF) et sans-abri qui ont besoin d’aide, et leur apporter un soutien bénévole, matériel ou moral. »





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