Le Tour de France, un parcours parsemé de luttes – Les moutons enragés


Par Emmanuel Clévenot

Le Tour de France lors de l’étape entre Muret et Carcassonne, le 20 juillet 2025. – © Loïc Venance / AFP

Volvic, La Plagne… Le parcours du Tour de France traverse de nombreux villages qui incarnent des luttes contre des projets polluants. Récap’ de ce Tour version écolo.

Le Tour de France des luttes [6/6]. Pendant les trois semaines de la Grande Boucle, Reporterre vous a fait découvrir des luttes écologiques emblématiques des régions traversées par le peloton. Récap’ de ces grandes étapes, à l’heure où le trophée s’apprête à être soulevé sur l’avenue des Champs-Élysées.


Une fois encore, l’inarrêtable cycliste Tadej Pogačar prive les aficionados du goût du suspens. Le 27 juillet, en dépit de l’inédite et redoutable triple ascension de la butte Montmartre, à Paris, le Slovène devrait remporter son quatrième Tour de France. L’aboutissement de dix-sept jours de lutte contre son principal rival : le Danois Jonas Vingegaard. Heureusement, des luttes à conter, Reporterre en a plein ses tiroirs.

Du 5 au 27 juillet, nos journalistes ont scruté les villages traversés à toute allure par le peloton pour en dénicher quelques-uns. Un travail ancré dans l’ADN de la rédaction, qui enquête à vos côtés depuis 2019 pour recenser les centaines de batailles locales contre les « grands projets inutiles et imposés ».

D’une étrange alliance contre la construction d’une prison au projet « complètement absurde » d’une LGV languedocienne, en passant par l’A69 et la colère d’un quartier populaire lillois… Reporterre fait le récap’ de sa « Grande Boucle » des luttes, en carte.

Carte du Tour de France des luttes écologistes. © Louise Allain / Reporterre

Le top départ des 3 339 km de route a été tiré dans la capitale des Flandres… à deux pas du quartier populaire d’Hellemmes-Lille. Lové contre les voies ferrées, celui-ci conserve les traces d’une riche histoire industrielle, à l’image de la friche Québecor — baptisée du nom de l’imprimerie qui occupait ces lieux jusqu’en 2013.

C’est ici même que l’ambition d’un promoteur immobilier se heurte à la grogne des habitants. Lui désire bâtir sur ce terrain de 5,4 hectares 31 immeubles de 550 logements. Eux, à l’inverse, y voient l’opportunité rêvée d’entretenir un poumon vert unique, au cœur d’une cité en manquant terriblement.

Les épreuves de plaine terminées, les quelque 184 coureurs ont sillonné les cols du Puy-de-Dôme… pour un premier avant-goût des plus de 50 000 m de dénivelé positif à venir. Au 26e km de l’étape, le peloton a traversé la bourgade de Volvic, où la société du même nom assèche les rivières pour mieux remplir ses bouteilles. Au point que « s’il y avait des poissons, leur nageoire dorsale sortirait de l’eau », déplore à Reporterre Christian Amblard, chercheur au CNRS.

Tout près d’ici, la célèbre usine — propriété du groupe Danone — tourne à plein régime. Chaque jour, le site produit 4 millions de bouteilles d’eau, exportées par plus de 300 camions. Alors fin juin, trois collectifs ont entamé une bataille judiciaire, en attaquant devant le tribunal administratif le récent arrêté préfectoral encadrant les prélèvements de l’entreprise.

Depuis 2006, la loi fixe les priorités d’usage de cet « or bleu ». L’approvisionnement en eau potable a la primeur. Suit l’alimentation des écosystèmes, avant — en dernière position — les autres utilisations, comme la commercialisation. Pourtant, seulement 20 % de l’eau coulant de la source profite aux milieux naturels, contre 26 % pour l’embouteillage. Aux yeux des requérants, les comptes ne sont pas bons.

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, avait promis d’avoir « un œil extrêmement attentif ». Raté ! Le 16 juillet, un activiste propalestinien de 27 ans, aussi militant contre l’A69, a réussi à se frayer un chemin entre les barrières pour disputer le sprint final de l’étape toulousaine… et s’offrir dès lors une tribune internationale, la compétition étant diffusée dans 190 pays. Seulement cette fois, ce n’est pas de l’autoroute ultracontestée que Reporterre a décidé de vous parler.

Quatre jours plus tard, les cyclistes partaient de Muret. Située à 20 km au sud de la Ville rose, cette commune abrite une alliance quelque peu déroutante. Écologistes, agriculteurs proches du syndicat productiviste la FNSEA, anarchistes et militants anticarcéraux se côtoient pour lutter contre la construction d’une nouvelle prison de 615 places, en lieu et place de terres agricoles et d’espaces naturels protégés — où vit une soixantaine d’espèces menacées.

« Chacun y est pour ses propres raisons, dit à Reporterre Caroline Mourgues, de la Ligue des droits de l’Homme. Alerter sur les enjeux environnementaux, dénoncer l’accaparement des terres agricoles… » Et, dans son cas, critiquer la politique pénitentiaire française, cherchant à enfermer toujours plus sans s’attaquer aux véritables causes de la surpopulation carcérale. En dépit de recours judiciaires toujours en cours, les travaux pourraient commencer d’un jour à l’autre.

À mi-chemin entre les Pyrénées et les Alpes, le peloton a fait escale en pays montpelliérain. Ici est contesté un projet « complètement absurde » de la modique somme de 6,12 milliards d’euros. Autrement dit, quatorze fois le coût de l’A69. Objectif : construire une ligne à grande vitesse (LGV) de 150 km, devant connecter Montpellier à Perpignan.

Ce serpent de mer vieux de plus de trente ans, risquant d’artificialiser des milliers d’hectares, doit se concrétiser d’ici 2040. Aux yeux de Carole Delga, la présidente socialiste de l’Occitanie, il est « indispensable pour désenclaver nos territoires ». Les habitants de Sète craignent tout l’inverse, puisque ces futurs TGV ne s’arrêteront plus à leur gare.

La ligne scinderait aussi en deux la zone Natura 2000 des Basses Corbières, où nichent certains oiseaux rares, tels que le traquet oreillard, le cochevis de thékla et le circaète Jean-le-Blanc.

Le 25 juillet, la 19e étape du Tour a été rabotée de 34 km quelques heures à peine avant le top départ. En cause : la détection d’un nouveau foyer de dermatose nodulaire contagieuse au sein d’un troupeau vivant au col des Saisies, que devaient franchir les coureurs. Et surtout, en filigrane, la crainte des organisateurs de voir l’épreuve interrompue par une mobilisation d’éleveurs, en grogne contre les euthanasies des cheptels.

Toujours est-il que le peloton a terminé sa route à La Plagne, en Savoie. Depuis 1991, la station abrite la seule et unique piste de bobsleigh — sorte de luge rapide — du territoire français. Et celle-ci devrait accueillir les professionnels de la discipline lors des Jeux olympiques d’hiver 2030. Seulement, pour cela, encore faut-il la rénover.

En 2023, le Républicain Laurent Wauquiez, alors président de la région, avait promis de ne pas dépasser « les 10 ou 15 millions d’euros pour la mettre aux normes ». Deux ans plus tard, aucun budget n’a pourtant été bouclé. Las de payer des impôts locaux ne bénéficiant qu’à une minorité — pas plus de 100 licenciés —, un collectif citoyen entre en résistance.

• À Paris, les pétroliers célèbrent le final

Comme à son habitude, le finish du Tour de France se joue, le 27 juillet, à Paris, terre d’accueil d’un géant des fossiles : TotalEnergies. Le 18 juillet, Le Monde dévoilait un récent partenariat signé entre ASO — société organisatrice de la compétition — et la multinationale de Patrick Pouyanné.

Rien de bien surprenant, puisque 7 des 23 équipiers de la Grande Boucle — à l’empreinte carbone représentant 216 000 vols Paris-New York en 2021 — sont déjà sponsorisés par des entreprises ou des États liés à la production de fossiles. Cette stratégie dite de sportwashing consiste à se servir du sport, ici du vélo incarnant la mobilité douce, pour verdir son image. Et TotalEnergies y a déjà eu maintes fois recours, comme lors de la Coupe du monde de rugby 2023.

Si l’édition 2025 du Tour de France s’achève dans la ferveur sur les Champs-Élysées, le troisième événement sportif le plus visionné sur Terre et sa grande caravane publicitaire ont encore du pain sur la planche. Heureusement, les victoires écologistes sont là pour équilibrer la balance.

Emmanuel Clévenot

Publié le 27 juillet 2025 sur Reporterre

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