• sam. Sep 28th, 2024

Braconné, moissonné, le vol contrarié du busard cendré


Reporterre a imaginé un calendrier révolutionnaire et écologique, pour symboliser un changement d’ère. Noms des mois, noms des jours et éphémérides sont réinventés pour célébrer les écosystèmes et celles et ceux qui les défendent. Le mois de septembre a été renommé busard, en hommage à ce surprenant rapace migrateur, que nous vous faisons découvrir.


« Un affût pour observer le busard cendré ? » À l’autre bout du fil, l’ornithologue Georges Risoud peine à masquer son étonnement : « Vous vous y prenez un peu tard… Il a déjà pris son envol vers l’Afrique. » Ce grand migrateur transcontinental n’a pas attendu que débute son mois éponyme — anciennement septembre — dans le calendrier révolutionnaire de Reporterre pour plier bagage. Et nous voilà dans l’embarras ! Heureusement, ce rapace diurne, tantôt baptisé busard de Montagu, a déjà livré quelques-uns de ses secrets à nos interlocuteurs du jour. Accrochez-vous, le numéro de voltige commence.

Circus pygargus porte bien son nom. Doté d’iris jaunâtres et d’un bec crochu, il emprunte aux illustres Pygargues à tête blanche quelque peu de leur élégance impériale. À ceci près que lui devance à peine le faucon crécerelle au classement de l’envergure.

Teintées de noir à leurs extrémités, ses ailes tranchent l’air avec agilité : « Leur technique de chasse consiste à planer au ras des pâquerettes, jusqu’à ce qu’un micromammifère apparaisse », détaille Georges Risoud. La parallaxe acérée sur sa proie, le busard cendré s’abat aussitôt sur le malchanceux. Des campagnols pour l’essentiel, mais aussi de petits passereaux comme les alouettes et les bruants, leurs œufs, quelques lézards, des sauterelles et des criquets.

Sa tâche accomplie, le mâle tournoie dans les cieux à proximité du nid, pour alerter la femelle de la capture. Celle-ci décolle à la hâte et poursuit alors son partenaire. Leur dimorphisme sexuel est tel qu’aucune confusion n’est possible : elle arbore un plumage brun moucheté, lui une robe cendrée et quelques flammèches roussâtres sur les flancs. Une fois à distance optimale, le mâle laisse tomber la proie et, d’une spectaculaire volte-face, la femelle l’enserre en plein vol.

« Ces échanges aériens de nourriture sont tout aussi saisissants que les parades nuptiales [où les spécimens dégringolent comme des feuilles mortes sur des dizaines de mètres] », poursuit l’expert de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO).

Des landes et roselières aux cultures céréalières

Nichant à même le sol, le busard cendré a conquis les landes, cariçaies et roselières et prairies humides, du Kazakhstan à la péninsule ibérique. Dès le XXᵉ siècle, l’emprise humaine l’a toutefois contraint à quitter ces milieux. Les cultures céréalières de blé, d’orge et de colza lui ont dès lors offert un refuge de substitution idéal. Du moins, en apparence.

« Dans ces zones artificialisées, les oisillons courent un grand danger, alerte Gilles Moyne, le directeur du centre Athénas de réhabilitation de la faune sauvage. Au moment où débutent les fauches, les petits ne savent pas encore voler et sont broyés dans les barres de coupe des moissonneuses-batteuses. » Un phénomène qui risque de s’accroître, les moissons étant plus précoces qu’auparavant pour anticiper les inéluctables sécheresses.

Nids en cage

Pour empêcher qu’un tel carnage ne se produise, l’équipe du sanctuaire jurassien épie dès le mois d’avril le retour de migration de Circus pygargus, pour circonscrire les zones de prospection. Les nids des quelques couples constituant le bastion franc-comtois sont alors localisés au mètre près.

Baptisé cage-traîneau, un dispositif de protection les encerclant est installé pour faciliter leur identification par les agriculteurs, du haut de leurs engins. Avant qu’un accident n’intervienne, ceux-ci peuvent ainsi composer le numéro d’urgence du centre Athénas, placardé sur les tracteurs.

« L’avenir de ce noyau ne tient qu’à un fil »

Au-delà de cette opération de terrain, les ornithologues invitent les paysans à s’approprier l’histoire de l’oiseau cendré. « Il y a vingt ans, j’ai déposé entre les mains d’un gamin de six ans un poussin dont le nid risquait d’être écrasé, se souvient Gilles Moyne. Ce garçon, je l’ai croisé il y a peu. Aujourd’hui, il mesure 1 m 90, a pris la succession de son père à la ferme et est convaincu de la nécessité de protéger l’espèce. »

D’autant que la répétition d’échecs de reproduction peut, au fil du temps, entraîner la désertion de ces territoires hostiles : « Dans les années 1990, une cinquantaine de couples peuplaient la Franche-Comté, poursuit le directeur du centre Athénas. Cette année, nous en avons dénombré huit. L’avenir de ce noyau ne tient qu’à un fil. »

Et la lutte touche grand nombre de contrées. Près de Châtillon-sur-Seine, en Côte-d’Or, la création d’une usine de méthanisation a à l’inverse marqué une rétrogression dans la conservation du voltigeur. Les 200 000 tonnes de matières organiques, que peut engloutir cette marmite XXL à l’année, sont principalement tirées des récoltes précoces de seigle : « Celles-ci ont lieu au moment exact où le busard cendré nidifie, déplore Georges Risoud. Les oisillons seront broyés à coup sûr. Et ce ne sont pas les seuls concernés : les bergeronnettes printanières et les alouettes des champs, dont les effectifs sont en chute libre, subiront le même sort. »

L’autre menace : le braconnage

L’infortune du rapace ne s’arrête pas là : « Nous avons le triste privilège de compter dans nos plaines une poignée d’hommes sans scrupule, heureux de piétiner les poussins, dénonce Gilles Moyne. Le profil de ces braconniers ? D’irréductibles ennemis de tout prédateur, et notamment des becs crochus. »

« Sûrement pensent-ils que les busards cendrés, pesant 300 grammes, capturent des lièvres frôlant parfois les 7 kilos. L’absence de culture, et de bon sens, est malheureusement criante chez certains, poursuit-il. Ces grands prédateurs de rongeurs sont pourtant, au même titre que la chouette effraie, de véritables auxiliaires pour les agriculteurs.

De nombreux oisillons, qui ne savent pas encore voler au moment des fauches, sont tués par les moissoneuses-batteuses.
Julia Koblitz / Unsplash

Depuis son inscription à l’annexe 1 de la directive Oiseaux de l’Union européenne de 1979, et l’arrêté d’application du 17 avril 1981, les busards cendrés — et leurs œufs — bénéficient d’une protection totale en France. Pour autant, en seulement deux décennies, près d’un tiers des effectifs ont disparu de l’Hexagone. Le chiffre grimpe à 70 %, pour leurs congénères, les busards Saint-Martin.

En 2011, dans le Jura, 14 des 40 nouveau-nés avaient été tués. « Au départ, nous avons tenté de mobiliser les forces de l’ordre et l’OFB, se remémore Gilles Moyne. Des procès verbaux ont été dressés, mais les procédures judiciaires ont été classées sans suite, faute d’éléments. Il faut dire qu’on a affaire à des braconniers méfiants et peu courageux. »

Dès 2013, pour stopper l’hémorragie, des bénévoles mobilisés par le centre Athénas ont alors commencé à camper la nuit à proximité des nids. Toujours d’actualité, ces rondes de dissuasion semblent porter leurs fruits : cette année, aucune perte n’a été déplorée.

L’heure de la migration

L’automne pointant le bout de son nez, la grande migration des busards cendrés a débuté. Si la population asiatique, vivant entre la mer Caspienne et la Sibérie, part élire domicile sur la péninsule indienne, les spécimens européens filent en direction de l’Afrique, via le détroit de Gibraltar. Parmi eux, deux petits rescapés des moissonneuses jurassiennes : « Mi-juillet, nous avons recueilli des petits en train d’éclore », témoigne Gilles Moyne.

D’abord placés dans un nid artificiel, avec un luxe de précaution pour éviter toute imprégnation humaine, le duo de poussins au duvet blanchâtre a appris à chasser et voler. Avant de s’envoler vers le sud, le 25 août. Il faudra désormais patienter jusqu’au printemps de l’an 8 pour tenter de les apercevoir fendre les cieux.

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