• sam. Sep 28th, 2024

« Le féminisme s’arrête à la porte de l’usine »


27 septembre 2024 à 11h00
Mis à jour le 28 septembre 2024 à 08h03

Durée de lecture : 4 minutes

Cette année, Barbie fête ses 65 ans. L’an dernier, le film réalisé par Greta Gerwig et cofinancé par Mattel, son fabricant, a rencontré un gros succès. Sur les écrans, Barbie était présentée comme féministe et, dans son univers, les femmes étaient puissantes. La réalité est beaucoup moins rose, explique Salma Lamqaddam, chargée de campagne Droits des femmes au sein de ActionAid France. Cette ONG de solidarité internationale a publié le 27 septembre une étude révélant des conditions de travail difficiles et dangereuses dans l’usine chinoise qui fabrique la célèbre poupée en plastique.


Reporterre — Début 2024, vous avez enquêté en Chine dans une usine Mattel où est fabriquée la célèbre Barbie. Comment avez-vous procédé et qu’avez-vous constaté ?

Salma Lamqaddam — C’est par le biais de notre partenaire en Chine, le China Labor Watch, que nous avons pu infiltrer l’usine de Chang’an (à Dongguan dans le Guangdong) qui appartient à Mattel, la seule à produire des poupées Barbie dans le pays. Une enquêtrice s’est fait recruter sur la ligne d’assemblage pendant plusieurs jours et a pu nous transmettre ses notes, ses entretiens, ses photos, etc.

L’enquête donne à voir le quotidien des ouvriers et ouvrières : en moyenne, dix heures de travail par jour, 6 jours sur 7, avec un objectif de deux produits par minute, le rythme est tel que certaines personnes évitent de boire pour ne pas aller aux toilettes. Le tout pour l’équivalent de 280 euros par mois.

Les dortoirs des ouvriers fabriquant les poupées Barbie.
China Labor Watch


Vous pointez notamment la situation des salariées, confrontées au harcèlement sexuel. Quelle est l’ampleur de ce phénomène ?

Il y a en effet une culture du harcèlement et des violences sexistes et sexuelles. Globalement, les femmes vivent une double oppression : d’une part, la violence de l’exploitation, de l’autre, des violences sexistes et sexuelles dans une usine où le harcèlement est banalisé et où les responsables sont des hommes et les subalternes majoritairement des femmes.

Auprès de l’enquêtrice, celles-ci témoignent du harcèlement verbal qu’elles subissent quotidiennement et des violences qui se prolongent sur le groupe de discussion WeChat de l’usine. Celles qui logent dans les dortoirs de l’usine alertent sur les conditions de sécurité car le règlement leur interdit, par mesure de sécurité, de fermer les portes. Elles décrivent un climat de peur et constatent le peu de recours qu’elles ont face à cela.

Le contraste entre les discours supposément émancipateurs de la marque et le quotidien des travailleuses est frappant : le féminisme s’arrête à la porte de l’usine.

Les travailleurs et travailleuses sont exposées à des substances toxiques, selon vos observations.

La majorité des travailleurs et travailleuses est exposée à des substances chimiques, souvent sans aucune protection et équipements adéquats. Dans plusieurs ateliers, des produits dégraissants chimiques irritent les yeux et la peau. Des polluants sont également présents dans les ateliers de moulage et de peinture.

Plus alarmant encore, certaines substances hautement dangereuses, comme le benzène, sont manipulées sans que les salariés et salariées soient suffisamment informées des risques pour leur santé ou des mesures de protection à adopter. Il faudrait faire une deuxième enquête dédiée aux risques chimiques.

Le quotidien des travailleurs dans une usine Mattel de fabrication de poupées Barbie est déplorable.
China Labor Watch


Vous documentez les conditions de travail chez Mattel depuis près de trente ans. Pourquoi la situation des travailleurs et travailleuses ne s’améliore-t-elle pas ?

Depuis 1996, on interpelle en effet Mattel sur les conditions de travail dans ses usines et chez ses sous-traitants. Le suicide d’une travailleuse en 2011 dans une usine sous-traitante de la marque a été un tournant. Auprès des ONG, son mari évoque les conditions de travail empreintes de pression constante et de violences de la part des chefs dans le but d’atteindre des objectifs irréalistes fixés par la marque.

Sous la pression des organisations, Mattel s’est doté d’un code de conduite et a mis en place quelques mesures, trop artificielles selon nous. Surtout, la marque a fait réaliser des audits sociaux dans les usines dans lesquelles nous avons enquêtées. Si ces audits sont utiles pour évaluer le nombre d’extincteurs dans une usine, la conformité des équipements de sécurité, l’état des issues de secours, etc., ils ne permettent pas de détecter des violations des droits humains.

legende



Source link

Laisser un commentaire