La céramiste et le maître espion, une aventure au temps des purges, par Sonia Combe (Le Monde diplomatique, août 2025)


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André Steiner. – « Anamorphose – Échiquier et reflet », vers 1938

© Martine Husson – Centre Pompidou, MNAM-CCI – photographie : Samuel Kalika – RMN-Grand Palais

Se seraient-ils reconnus s’ils s’étaient rencontrés cet automne-là à Broadway, tous deux fraîchement débarqués dans le Nouveau Monde quoique par des voies et pour des raisons différentes ? Ils avaient pourtant passé plusieurs nuits ensemble il n’y avait pas si longtemps.

Quitter l’Europe pour les États-Unis en 1938 n’avait été facile ni pour l’une ni pour l’autre. Elle y était parvenue, de Vienne en passant par Londres, grâce à des affidavits, ces documents attestant que vous seriez pris en charge et présenteriez une utilité pour le pays d’accueil. L’un de ses frères était déjà installé à New York et se démenait pour sauver des griffes nazies la famille restée en Autriche. Ils étaient juifs, bien entendu.

Pour lui, les choses s’étaient passées de façon plus rocambolesque : tout d’abord une course contre la montre pour atteindre de Paris le paquebot SS Montclare, qui quittait Cherbourg à destination de Montréal, puis l’obtention sous une fausse identité et une fausse fonction d’un visa avant de pénétrer dans le territoire des États-Unis. Une fois la frontière franchie, il allait rejoindre New York, où, comme elle, il pouvait compter sur l’aide de sa famille mais, là encore, pour d’autres raisons et d’une façon encore plus étrange. Il était juif, mais ce n’était pas pour cela qu’il s’enfuyait et, en tout cas, pour autant que l’on sache, cela n’avait joué aucun rôle dans leur relation.

Elle, c’est Eva Stricker. Née à Budapest en 1906, dans une famille assimilée et aisée qui comprend nombre de scientifiques et non des moindres, notamment les frères Karl et Michael Polanyi. C’est une artiste, mais sa mère a insisté pour qu’elle apprenne un métier qui lui permette de gagner sa vie. Elle sera céramiste. Eva se forme à la poterie en Hongrie puis en Allemagne, où, de 1930 à 1932, elle mène une vie de bohème à Berlin tandis que s’y déroulent des combats de rue. Elle loge dans le studio du peintre Emil Nolde, avant de rejoindre à Kharkov/Kharkiv son amant et futur mari, l’ingénieur Alex Weissberg. Alex fait (…)

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