• jeu. Oct 3rd, 2024

comment la pollution de l’air perturbe les moussons


Les 27 et 28 septembre, l’aéroport de Katmandou, au Népal, a mesuré 240 millimètres de pluie tombés en vingt-quatre heures. Un épisode torrentiel d’une intensité inédite depuis plus de vingt ans, selon les observations locales rapportées par l’Agence France-Presse. Plus de 200 personnes sont mortes à cause des inondations dans le pays, selon le bilan provisoire des autorités le 30 septembre.

Ces événements dramatiques ne sont hélas pas nouveaux. Les précipitations diluviennes sont caractéristiques de la mousson, cette saison des pluies que connaissent tous les étés le Népal comme l’ensemble de l’Asie du Sud et du Sud-Est ainsi qu’une partie de l’Océanie, de l’Afrique et de l’Amérique. Des régions tropicales ou subtropicales, toutes soumises au même phénomène : l’arrivée de vents humides venus de l’océan, qui génèrent des nuages puis des précipitations lorsqu’ils rencontrent des masses d’air plus chaudes sur les continents.

Plus l’air est chaud, plus il peut contenir d’humidité et engendrer des précipitations importantes. Et plus le contraste de température entre les masses d’air qui se rencontrent est élevé, plus la mousson aura tendance à être intense. Or, ces deux mécanismes sont amplifiés par le changement climatique. Cela explique en partie pourquoi les projections climatiques, synthétisées dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), anticipent une intensification des moussons asiatiques au cours du XXIe siècle. Un autre élément, toutefois, joue un rôle crucial sur l’avenir de ces événements extrêmes et complexifie l’équation : la pollution de l’air.

Quand les aérosols affaiblissent la mousson

Les particules fines relâchées dans l’air par nos activités polluantes (via nos transports et activités industrielles notamment) ont un effet refroidissant sur le climat. D’une part, parce que ces particules réfléchissent directement la lumière du soleil, d’autre part, parce qu’elles peuvent changer les propriétés réfléchissantes et la durée de vie des nuages.

À tel point que ces particules peuvent ostensiblement affaiblir les moussons. Le fort développement industriel de l’Asie du Sud, et notamment de l’Inde, s’est accompagné d’une très forte pollution atmosphérique. Or, cette période de développement correspond à un affaiblissement des précipitations durant la mousson dans la région, observé sur la seconde moitié du XXe siècle. Les travaux sur le sujet montrent que cet affaiblissement a bien été provoqué par l’émission d’aérosols anthropiques, c’est-à-dire la pollution de l’air.

Le même phénomène s’est aussi produit ailleurs, notamment en Afrique de l’Ouest, récemment touchée par des inondations meurtrières et une mousson là aussi vouée à s’intensifier. « Beaucoup d’études montrent les effets des aérosols sur les moussons. Notamment en Afrique de l’Ouest, où il est de plus en plus admis que la sécheresse des années 1970-1980 est liée à l’augmentation de la concentration des aérosols », souligne Benjamin Sultan, climatologue, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

Pollution et gaz à effet de serre : des effets contraires

Cette période de moussons asiatiques et africaines affaiblies semble belle et bien derrière nous. Car non seulement le changement climatique va en accentuer les effets, mais la lutte contre la pollution de l’air, qui tue prématurément plus de 4 millions de personnes par an, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), pourrait encore accélérer le processus.

C’est notamment la conclusion d’une étude britannique, dirigée par l’université de Reading (Angleterre) et publiée en 2020 dans la revue Atmospheric Chemistry and Physics. Les chercheurs y prévoient que la réduction de la pollution de l’air, en entraînant un réchauffement plus fort du continent et donc un contraste de température plus important entre celui-ci et l’océan, va provoquer la survenue de plus grands volumes de pluie durant les moussons en Asie.

L’influence de ces polluants est telle que, paradoxalement, la mousson asiatique risque de se renforcer davantage dans le scénario très optimiste où le monde reste sous 1,5 °C de réchauffement. Les précipitations augmentent mais relativement moins, en comparaison, dans les scénarios où le réchauffement global est plus important. Pourquoi tel paradoxe ? Parce que le scénario dans lequel l’on réduit le plus nos émissions de gaz à effet de serre est aussi celui où l’on réduit le plus la pollution de l’air. Moins de gaz à effet de serre, c’est moins de réchauffement, mais moins de pollution, c’est à l’inverse plus de réchauffement au niveau local…

Le rôle de ces particules fines n’intervient toutefois qu’à moyen terme, précisent les chercheurs. Ils influencent les évolutions de la mousson d’ici 2050, mais en fin de siècle, c’est la réponse du climat aux gaz à effet de serre qui devient définitivement dominante, selon l’étude. Ce que confirme également le dernier rapport du Giec : les précipitations des moussons sud-asiatiques sont largement plus abondantes sur le long terme (2081-2100) dans le scénario menant à 3 °C, et encore plus dans celui menant en moyenne à 4 °C de réchauffement mondial, que dans celui où nous limitons la montée du mercure à 1,5 °C.

Au-delà des hausses de volumes moyens de précipitations sur la saison des pluies, la survenue de plus d’événements courts et extrêmes est aussi attendue. Les derniers modèles climatiques projettent une hausse de 58 % de l’intensité des journées de pluie extrême en Asie du Sud sur la période 2065-2100, par rapport à 1979-2014 dans le scénario de réchauffement médian, notent aussi trois climatologues étasuniens dans un texte de vulgarisation publié par Carbon Brief. Ainsi qu’une multiplication par trois de la fréquence de ces pluies extrêmes sur le sous-continent indien dès 1,5 à 2,5 °C de réchauffement.

L’influence des polluants aérosols dans ces mécanismes reste extrêmement complexe à appréhender, rappelle quant à elle l’étude de l’université de Reading. Il est par exemple possible que les émissions de polluants continuent de croître en Asie du sud mais diminuent en Asie de l’est, entraînant des effets opposés sur les moussons. Mais comme des interactions météorologiques fortes existent entre ces deux régions, cela génère « une forte incertitude dans les précipitations des moussons estivales de l’Asie du Sud dans les 30 à 50 prochaines années », concluent les chercheurs.

« Pour un événement isolé comme ce qui s’est passé au Népal, c’est très compliqué de quantifier la responsabilité de chaque facteur. Le changement climatique et les aérosols jouent, mais également la variabilité naturelle du climat, des phénomènes comme La Niña tendent aussi à renforcer les moussons indiennes, et des variations ont lieu au cours même de la mousson », ajoute Pascal Terray, chercheur au Laboratoire d’océanographie et du climat, de l’Institut Pierre-Simon Laplace.

Seule certitude : il est urgent de réduire toutes nos émissions, polluantes et à effet de serre, et de nous adapter aux bouleversements déjà inévitables engendrés par les volumes pharaoniques de ces gaz et particules déjà envoyés dans l’atmosphère.

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