• sam. Oct 5th, 2024

Pour réduire la dette, l’État pourrait s’attaquer aux niches fiscales polluantes


Quelques jours avant la présentation du projet de loi de finances pour 2025, le gouvernement n’a qu’un objectif : renflouer les caisses de l’État. Face à un déficit public plus élevé que prévu qui devrait atteindre 6,1 % du produit intérieur brut (PIB) à la fin de l’année et une dette publique de 3 228 milliards d’euros, Michel Barnier cherche à faire des économies. Pour « alléger le fardeau » de la dette et ramener le déficit à 5 % du PIB en 2025, il veut trouver 60 milliards d’euros d’économies ou de recettes supplémentaires dès l’an prochain.

L’effort proviendra aux « deux tiers » de la réduction des dépenses, soit 40 milliards d’euros, a dit le Premier ministre lors de son discours de politique générale devant les députés, mardi 1er octobre. Il n’a cependant pas précisé quels secteurs seront visés. Pour faire des économies, et si le gouvernement s’attaquait enfin aux dépenses fiscales néfastes pour le climat et la biodiversité ?

Il s’agit d’abord des niches fiscales brunes, c’est-à-dire des réductions ou exemptions d’impôts sur les taxes sur les énergies fossiles. Cela concerne les entreprises du bâtiment qui ont droit à un tarif réduit pour le gazole non routier utilisé pour les engins de chantier (1,2 milliard d’euros de recettes en moins en 2023). Même chose pour les agriculteurs pour faire rouler leur tracteur (1,3 milliard). Les taxis et véhicules routiers bénéficient aussi de taux réduit sur leur carburant (67 millions).

Certaines niches plus simples à supprimer que d’autres

Supprimer ces niches fiscales brunes pourrait rapporter 7 milliards d’euros aux finances publiques selon le budget vert de l’État. Celui-ci recense les dépenses budgétaires et fiscales favorables et défavorables à l’environnement. En réalité, c’est beaucoup plus : 19 milliards d’euros selon l’Institut de l’Économie pour le climat (I4CL) et même 25 milliards d’après le Réseau Action Climat (RAC).

Car tout dépend de ce que l’on considère comme une niche fiscale brune et quel critère on prend en compte. Par exemple, dans son calcul, l’État n’intègre pas l’exonération de taxes sur le kérosène (4,7 milliards d’euros), la TVA à 10 % seulement sur les billets d’avion, le taux réduit pour le carburant du transport maritime, le différentiel de taxation entre l’essence et le gazole ou encore les avantages fiscaux pour la construction de logements neufs qui contribue à artificialiser les sols.

Si éliminer ces niches fiscales est une nécessité dans la mesure où elles incitent à polluer et sont incompatibles avec l’objectif de neutralité carbone en 2050, on ne peut pas faire ça n’importe comment. Parmi les plus simples à supprimer, « augmenter la TVA sur les billets d’avion de 10 % à 20 % permettrait de gagner 1 milliard d’euro », indique Simon-Pierre Sengayrac, codirecteur de l’Observatoire de l’économie à l’institut Jean Jaurès.

C’est d’ailleurs ce que prévoit le gouvernement : si on ne connaît pas encore toutes les modalités, le ministère du Budget veut tripler le montant de la taxe de solidarité sur les billets d’avion pour récupérer « un milliard d’euros de taxation supplémentaire ».

Supprimer les autres niches est plus difficile à mettre en œuvre, à la fois pour des questions sociales et de compétitivité. Par exemple, « si l’on supprime l’avantage fiscal accordé aux entreprises de fret maritime, les armateurs français vont perdre en compétitivité face à la concurrence chinoise », poursuit Simon-Pierre Sengayrac. Pour ce qui est de la taxation du kérosène, « il faudrait que ce soit homogénéisé au niveau européen car sinon, les compagnies aériennes iront se ravitailler chez nos voisins », ajoute-t-il.

« Supprimer une niche fiscale de manière sèche comme ça a été tenté avant les Gilets jaunes [ici en 2019], c’est l’exemple à ne pas suivre », estime Émeline Notari, du Réseau Action Climat.
© Marie Astier / Reporterre

Pour ce qui concerne les niches fiscales accordées aux agriculteurs, routiers ou taxis, les différents gouvernements ont tenté de les supprimer dans le passé. À chaque fois, ils ont reculé face à la contestation sociale. Dernière illustration en février dernier : alors que la niche fiscale sur le gazole non routier devait disparaître, face à la colère des agriculteurs, le gouvernement a fait machine arrière. Mais seulement pour les exploitants. Mécontent de ce traitement différencié, le secteur du bâtiment a obtenu que les entreprises de moins de quinze salariés puissent bénéficier d’un remboursement de la hausse de la taxe.

Exemple typique des contestations sociales liées à la fiscalité environnementale : les Gilets jaunes. Le mouvement est né de la hausse des prix des carburants (via une taxe carbone) ainsi que de la volonté du gouvernement d’aligner la taxation du gazole sur celle de l’essence. « Supprimer une niche fiscale de manière sèche comme ça a été tenté avant les Gilets jaunes, c’est l’exemple à ne pas suivre », estime Émeline Notari, responsable financements de la transition écologique au RAC.

Transformer les niches fiscales brunes en aide à la transition

D’abord car cette suppression a été faite selon elle pour les mauvaises raisons : le gouvernement de l’époque a voulu supprimer cet avantage fiscal car il avait besoin de 3,5 milliards d’euros pour financer le crédit impôt recherche.

« Il faut abandonner l’idée qu’en supprimant des niches fiscales brunes, l’État va augmenter ses recettes fiscales ou pouvoir financer telle politique publique, explique Simon-Pierre Sengayrac. Il faut tout de suite redistribuer cet argent pour aider ceux visés par la mesure à s’adapter avec des alternatives plus écologiques. » Dans le cas des Gilets jaunes, « ceux habitant dans les zones reculées n’avaient pas de transports en commun, ni d’installations de bornes électriques ou de pistes cyclables. Cette mesure parisiano-centrée tend inutilement le débat entre les écolos des centres-villes et les autres », juge-t-il.

La construction de logements neufs, néfaste à l’environnement, bénéficie d’avantages fiscaux.
Jean-Claude MELLIN / CC BYSA 4.0 / Wikimedia Commons

« Les ménages les plus modestes qui n’avaient d’autre choix que la voiture thermique pour leurs déplacements quotidiens ne se sont vu offrir ni accompagnement financier, ni alternatives plus écologiques, abonde Émeline Notari. On a dit que les Gilets jaunes étaient anti-écolos, c’est faux, ils n’avaient juste pas le choix. » C’est pourquoi, à l’époque, les associations écolos n’avaient pas soutenu cette mesure.

Financer la transition énergétique

En redistribuant l’argent aux acteurs affectés, l’État ne récupère pas tout de suite les pièces dans ses caisses, certes, mais la somme va servir à la transition écologique. Or, plus on agit tôt, moins on paiera les dégâts liés au dérèglement climatique.

Pour adapter notre système fiscal à la transition énergétique, les experts interrogés, l’Institut de l’économie pour le climat et la Cour des comptes demandent d’abord plus de transparence de la part de l’État. « Il faut que l’État change de méthodologie dans son budget vert afin qu’il intègre tous les avantages fiscaux défavorables à l’environnement comme l’exonération du kérosène ou les avantages fiscaux pour la construction de logements neufs », préconise Émeline Notari.

Tous réclament aussi depuis longtemps la mise en place d’une stratégie pluriannuelle des financements de la transition énergétique. « Changer la fiscalité prend du temps car il faut se concerter avec les différents acteurs et leur donner de la visibilité », précise Émeline Notari. Alors que les associations touchaient au but — la stratégie devait être dévoilée fin septembre — « nous n’avons aucune information, Michel Barnier n’a rien dit dessus dans son discours de politique générale », regrette-t-elle.

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