L’éventualité d’une détente avec washington divise les élites russes
Intellectuel marxiste, Boris Kagarlitsky est une figure de la gauche russe. Depuis la prison où il se trouve en raison de son opposition à la guerre, il poursuit sa réflexion sur l’ordre international. Dans cet article coécrit avec Alekseï Sakhnine, militant exilé en France, il décèle dans le camp du pouvoir russe des divisions qui pourraient s’accentuer.

En s’engageant dans le dossier ukrainien au lendemain de son élection, le président américain Donald Trump a formulé d’importantes concessions à l’intention de Moscou, comme renoncer au projet d’intégrer l’Ukraine dans l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) ou reconnaître formellement la Crimée en tant que territoire russe. Six mois plus tard, le Kremlin maintient ses revendications territoriales sur cinq régions de son voisin, et entend toujours imposer à Kiev des restrictions en matière de garanties de sécurité. L’intransigeance russe — souvent expliquée par la fuite en avant d’un seul homme, M. Vladimir Poutine — s’éclaire mieux à l’aune des débats qu’a suscités dans le pays l’ouverture américaine. Deux tendances se dessinent, mais elles se rejoignent sur un point : ne rien céder concernant l’Ukraine.
Cette situation ne manque pas d’ironie : en adoptant des trains de sanctions massives après l’invasion de 2022, Washington et Bruxelles espéraient fracturer le camp du pouvoir. Il est alors impossible d’imaginer une rupture des liens économiques entre Moscou et le monde occidental : 35 % du commerce extérieur russe s’effectue avec l’Union européenne, deux fois plus que les échanges russo-chinois. La Russie constitue le troisième partenaire commercial de l’Union (297 milliards de dollars), derrière les États-Unis (747 milliards) et la Chine (466 milliards de dollars). En 2016, plus de 70 % du stock des investissements directs à l’étranger russes se trouvaient dans un pays de l’Union européenne (hors centres financiers offshore ou concentrant des holdings financières) ; davantage si l’on compte Chypre, le Luxembourg ou les Pays-Bas, utilisés comme plates-formes de défiscalisation pour les capitaux du pays. En tête des investisseurs (hors paradis fiscaux également), le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France détenaient en 2018 près de 33 milliards de dollars d’actifs en Russie. De nombreux oligarques et hauts fonctionnaires, ainsi que leurs épouses et leurs enfants, vivent ou (…)
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Boris Kagarlitsky &
Alekseï Sakhnine
Respectivement sociologue, auteur de The Long Retreat : Strategies to Reverse the Decline of the Left, Pluto Press, Londres, 2024, et journaliste.