les collectifs écologistes ciblent l’extrême droite


C’est une assemblée générale qui promet d’être mouvementée. Le géant français Vivendi, dont le groupe Bolloré est l’actionnaire principal [1], a convié ses actionnaires le lundi 9 décembre à Paris, pour voter (ou rejeter) un projet de scission des différentes activités de la société. Mais d’autres personnes ont prévu de s’inviter à la fête : les organisations signataires de la campagne d’action « Désarmer Bolloré » ont appelé à se réunir « dans un furieux carnaval », au théâtre des Folies Bergère, pour perturber de manière « festive » l’assemblée générale.

Il s’agira de la première mobilisation [2] de cette campagne lancée en juillet (quelques jours après les élections législatives anticipées). « Nous devons, sans attendre de prochaines échéances électorales, unir nos forces contre les vecteurs de fascisation de la société », écrivait alors la centaine d’organisations signataires — en désignant les différentes activités du milliardaire Vincent Bolloré comme des responsables de cette « fascisation ». Parmi les adhérents de la campagne : des syndicats, des associations antiracistes et féministes, mais aussi de nombreux collectifs écologistes.

« Pendant l’entre-deux-tours des législatives, on s’est demandé ce qu’on allait faire. Il y a eu une réponse rapide et unanime : en cas de gouvernement d’extrême droite, on ne pourrait pas se cantonner à lutter contre les mégabassines », raconte Sarah [*], membre des Soulèvements de la Terre, mouvement qui s’était jusque-là fait connaître pour ses actions contre l’artificialisation des terres, le maraîchage industriel et l’accaparement de l’eau.

La militante poursuit : « Évidemment, il faut continuer à s’opposer aux mégabassines jusqu’à l’arrêt des chantiers, mais on ne peut pas faire que ça. On ne peut pas laisser la lutte contre l’extrême droite à d’autres, c’est trop grave. Il n’y a pas le choix. »


Manifestation féministe contre l’extrême droite suite aux législatives anticipées, à Paris le 23 juin 2024.
© Laurent Demartini / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

D’autres associations écologistes avaient déjà amorcé un changement de stratégie similaire, à l’image d’Action Justice Climat (anciennement Alternatiba Paris), qui a opéré en avril une scission avec le réseau national, pour lier davantage lutte contre le changement climatique et contre l’extrême droite.

« On a ancré dans nos principes fondateurs la lutte contre les idées d’extrême droite. Ce sont des sujets qu’on traitait depuis longtemps, mais les derniers résultats électoraux ont démontré que c’était un enjeu urgent, à traiter maintenant », raconte Léa Geindreau, porte-parole d’Action Justice Climat.

Exploitation des terres et des humains

Selon elle, les élections européennes puis le scrutin législatif semblent avoir été un « soubresaut pour le mouvement climat » dans son ensemble. Parmi les signataires de Désarmer Bolloré, on retrouve ainsi l’association pour la conservation des océans Bloom, l’association contre la bétonisation Terres de luttes, les mouvements de désobéissance civile Extinction Rebellion et ANVCOP21, l’organisation de chercheurs militants Scientifiques en rébellion

« La cible du groupe Bolloré est apparue de façon assez évidente », se souvient Sarah, des Soulèvements de la Terre. Depuis les années 1990, le milliardaire breton a investi dans une multitude d’activités. Agricoles, tout d’abord : il est notamment actionnaire d’un groupe financier belgo-luxembourgeois (Socfin) qui gère des participations dans de grandes plantations de palmiers à huile en Afrique et en Asie.

Il possède également des sociétés industrielles (dépôts pétroliers, bornes de recharge électrique, portiques de sécurité, verbalisation électronique…) ; des médias (Canal+, CNews, Europe 1, Le Journal du dimanche…) ; ou encore des entreprises dans le milieu de la musique, du livre et de la communication (Universal Music France, Hachette, Havas…).

« La mainmise qu’il a sur ses médias
est un superpouvoir »

Or des enquêtes ont documenté la gestion problématique — voire illégale — de Vincent Bolloré sur ses activités. Ainsi, l’émission « Complément d’enquête » a révélé que le groupe Bolloré employait, via une filiale de la Socfin, des travailleurs sous-payés (dont des enfants) dans les palmeraies, notamment au Cameroun. Après son acquisition de différents médias, Vincent Bolloré a également licencié des journalistes, censuré des enquêtes en cours, supprimé des programmes d’investigation et placé au cœur des rédactions ses propres équipes de journalistes et de chroniqueurs aux idées réactionnaires.

« Vincent Bolloré tire de l’argent de l’exploitation des terres et des humains, à travers ses activités agricoles en Afrique et en Asie, et il l’injecte dans le rachat de médias qu’il transforme pour propager ses idées d’extrême droite », résume Sarah, des Soulèvements de la Terre. « L’empire de Vincent Bolloré est tentaculaire, il possède énormément de choses, abonde Léa Geindreau. La mainmise qu’il a sur ses médias est un superpouvoir, ça lui permet de mettre des sujets à l’agenda sur ses différentes antennes. »

« Je me sers de mes médias pour mener un combat civilisationnel », admettrait même Vincent Bolloré en petit comité, d’après une biographie écrite par le journaliste Vincent Beaufils.

Actions coordonnées et alliances

Collectifs écologistes, féministes, antifascistes, syndicaux se sont donc regroupés pour « désarmer » le milliardaire. Outre la perturbation de Vivendi le 9 décembre, une « première grande vague d’actions coordonnées, du 29 janvier au 2 février 2025 » a été annoncée le 2 décembre.

« L’une ou l’autre des ramifications de ce royaume tentaculaire est probablement implantée pas loin de chez vous, écrivent les organisations dans un communiqué. Il est d’intérêt public de faire obstacle à son développement », suggérant aux comités locaux de choisir eux-mêmes un type d’action à mener en fonction de leur situation géographique. Le milliardaire n’a pas officiellement réagi, mais Le Journal du dimanche — qu’il possède — avait dénoncé une « menace à peine voilée » en juillet.

Les organisations ont également annoncé une «  première grande vague d’actions coordonnées, du 29 janvier au 2 février 2025  ».

Un collectif de libraires indépendants a d’ores et déjà appelé, le 19 novembre, à ne pas mettre en avant dans leurs magasins les ouvrages édités par les maisons du groupe Hachette, qui appartient à Vivendi. « Ces livres financent et arment, souvent bien malgré eux, une entreprise qui vise à nous détruire », écrivent-ils dans une tribune publiée dans plusieurs médias.

Depuis son rachat du groupe Hachette, Vincent Bolloré a par exemple placé à la tête des éditions Fayard Lise Boëll, l’ancienne éditrice de la personnalité d’extrême droite Éric Zemmour (Reconquête !). Elle a depuis publié le nouveau livre de Jordan Bardella, figure du Rassemblement national.

Lire aussi : Pour la liberté de la presse et la démocratie, stoppons Bolloré

Mais en passant des manifestations contre les mégabassines à des actions contre la propagation des idées d’extrême droite, n’y a-t-il pas un risque de dispersion ? Non, répondent systématiquement les différents collectifs écologistes. « Notre écologie est une écologie décoloniale, antifasciste, queer, affirme Sarah, des Soulèvements de la Terre. On considère qu’on ne peut pas penser l’écologie sans penser la libre circulation des personnes. L’antiracisme n’est pas un champ d’action, c’est tout simplement un des présupposés de base de notre militantisme. »

« Ces alliances entre écologistes, syndicalistes, groupes antifascistes, sont intéressantes, estime Julien Troccaz, secrétaire fédéral de SUD-Rail, une des fédérations signataires de Désarmer Bolloré. On a ouvert des frontières et on voit qu’on se retrouve sur plusieurs champs de lutte partagés. Se retrouver avec toutes les composantes du mouvement social, c’est un signe de force. »

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