Dans la longue interview qu’il a accordée au « Figaro » du 29 novembre, le Premier ministre de M. Macron a été amené à répondre à la question de savoir si la mission confiée au politologue Pascal Perrineau sur « l’élection d’une partie des députés au scrutin proportionnel » n’était pas une façon d’enterrer la revendication des oppositions.
« C’est tout le contraire, a répondu M. Barnier. J’ai demandé au politologue d’évaluer toutes les options possibles permettant d’introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif ». Ajoutant clairement : « Sur la base de ses recommandations, nous serons en mesure de présenter un projet de loi au début du printemps ».
Comme il lui était enfin demandé s’il s’engageait « à reprendre dans ce texte les préconisations » qui lui seront faites, celui qui est aujourd’hui dans la position d’un président du Conseil de la IVème République, c’est-à- dire sur un siège éjectable à tout moment, a conclu : « Cette réforme devra respecter l’esprit des institutions de la Vème République ».
Que voilà un grand moment de duplicité !
Car l’homme politique est trop expérimenté pour ne pas connaître parfaitement « l’esprit des institutions de la Vème République », et sait tout aussi parfaitement que la représentation proportionnelle – à petite dose, à moyenne dose, ou à haute dose – est totalement incompatible avec la Constitution que le peuple français a adopté à l’appel du général de Gaulle.
Mais puisque « l’hôte de Matignon », comme on disait sous la défunte République, est d’abord préoccupé d’assurer sa survie en donnant des gages à droite et à gauche, et qu’il fait semblant de ne pas savoir, alors apportons-lui l’éclairage nécessaire à sa décision, un éclairage incontestable qui résulte des propos des fondateurs de la Vème République, Charles de Gaulle et Michel Debré.
Et, tout d’abord, sur les modalités de l’adoption ou du changement du mode de scrutin
Dans une « Déclaration » du 27 avril 1946, le général de Gaulle se prononce en faveur du recours au référendum pour la loi électorale : « Il serait abusif que l’Assemblée nationale puisse décider seule de la façon dont ses propres membres seraient élus. Du moment que l’obligation du référendum existe en matière constitutionnelle, il faudrait qu’elle existât également pour ce qui est du régime électoral, tant celui-ci influe profondément sur le fonctionnement des pouvoirs publics ».
Ainsi, en 1962, lorsqu’il s’agit d’introduire l’élection du président de la République au suffrage universel dans nos institutions, la décolonisation étant achevée, De Gaulle ne demande pas au Parlement de compléter le dispositif de 1958. Il fait adopter la révision constitutionnelle par référendum.
Après la forme, venons-en au fond
Pour De Gaulle, il ne saurait être question de recourir à un mode de scrutin empruntant à l’une et l’autre modalités de votation. Le 16 mars 1950, il est catégorique : « On peut mélanger le système proportionnel avec le système majoritaire : c’est un truquage ».
Au soir de sa vie, dans ses Mémoires d’espoir, le fondateur de la Vème République ne consacre certes que quelques lignes au choix du scrutin majoritaire à deux tours effectué en 1958. Mais elles sont dénuées de toute ambiguïté : « Afin d’avoir une majorité, il faut un scrutin majoritaire. C’est ce que décide mon gouvernement (…), rejetant la représentation proportionnelle, chère aux rivalités et aux exclusives des partis mais incompatible avec le soutien continu d’une politique, et adoptant tout bonnement le scrutin uninominal à deux tours ».
Autre architecte de l’édifice institutionnel de 1958, Michel Debré a combattu toute sa vie avec la plus grande énergie la fausse bonne idée de la représentation proportionnelle.
Dès 1947, dans « La mort de l’Etat républicain », il énonce un principe fondamental : « Le mode de scrutin fait le pouvoir, c’est-à-dire qu’il fait la démocratie ou la tue ».
Il souligne que pour les Anglais, comme pour les Américains qui en ont hérité, il est une règle immuable : « La règle majoritaire est considérée comme essentielle à la démocratie ». A l’appui de sa thèse, il cite un ami de Gambetta, Colani, pour qui « la recherche d’une représentation exacte de la minorité est la chose au monde la plus vaine et la plus futile ». Pour Michel Debré, la représentation proportionnelle n’est rien d’autre qu' »un truc pour maintenir l’autorité des partis ».
Dans ses Mémoires, « Trois républiques pour une France », Michel Debré relate les travaux du Conseil de Cabinet du 7 octobre 1958 consacré à l’adoption du scrutin majoritaire à deux tours pour l’élection des députés. Concluant cette réunion, le général de Gaulle déclare : « Si l’on veut une majorité, il faut un scrutin majoritaire. Le scrutin uninominal à deux tours est le scrutin de la République ».
Je mets au défi Michel Barnier de démontrer que son projet est conforme « à l’esprit des institutions de la Vème République ». Au fond de lui-même, il le sait d’ailleurs parfaitement, lui qui s’est opposé – par son vote à l’Assemblée nationale – à l’instauration de la représentation proportionnelle par François Mitterrand il y a 40 ans.
Alain Tranchant, président-fondateur de l’Association pour un référendum sur la loi électorale