• jeu. Oct 17th, 2024

En Bretagne, les maisons en carton poussent comme des champignons


La Vraie-Croix (Morbihan), reportage

Dans l’atelier de l’entreprise familiale qu’il occupe à La Vraie-Croix (Morbihan), il ne faut que quelques heures à Nicolas Le Dirach pour monter les murs en cartons des maisons et des extensions qu’il construit. Quelques planches de bois prédécoupées aux bonnes dimensions, des vis, des panneaux d’Ipac — un matériau de construction en carton alvéolaire — et un pare-pluie à agrafer suffisent pour créer un mur entier.

« C’est encore un peu artisanal, s’excuse presque le charpentier. La prochaine étape, c’est de créer mon bâtiment, acheter du gros matériel et embaucher pour répondre à la demande. » Une demande croissante, qui vient de toute la France, et qui concerne les maisons en carton à ossature bois que le charpentier fabrique. « Je suis le seul à faire ça en France pour l’instant, mais il y a des formations en cours. »

Car depuis une dizaine d’années, les constructions en carton séduisent les propriétaires bretons. Et même, pour la première fois en France dans le domaine du logement social, les bailleurs sociaux, puisque Brest Métropole Habitat a parié sur le carton pour les six maisons qu’elle a fait construire cette année.

L’air emprisonné dans les alvéoles sert d’isolant.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Cet engouement s’intensifie, fort des retours des tout premiers propriétaires à avoir misé sur ce matériau écologique, recyclé et recyclable : à Belle-Île-en-Mer, la première maison en carton de 100 m², construite en 2013, est sortie de sa garantie décennale sans aucun sinistre ni mise en cause. Un gage de qualité sur lequel s’appuie Bat’Ipac, le fabricant de l’Ipac utilisé pour construire les murs, les sols et les toitures des maisons en carton.

Des maisons montés sur des pieux

« Il y a eu beaucoup de scepticisme au départ, retrace Alain Marboeuf, le gérant de Bat’Ipac, car le carton a une connotation low cost. Mais nous avons prouvé que nos bâtiments tenaient dans le temps, grâce à des édifices tests. Aujourd’hui, nous travaillons sur des logements individuels ou collectifs, des bâtiments recevant du public… »

Pour convaincre ces clients de construire en carton, Alain Marboeuf a plusieurs arguments de poids. D’abord, le carton utilisé provient de nos poubelles jaunes : des cartons sont récupérés en centres de tri puis envoyés dans des Esat — Établissement et service d’accompagnement par le travail.

Les travailleurs, en situation de handicap, récupèrent les feuilles de carton cannelées, qu’ils collent les unes aux autres avec de la colle végétale à base d’amidon de maïs ou de blé. Le panneau est ensuite entouré d’une membrane étanche et ignifugée — les cartons sont de toute façon tellement denses que le feu aurait du mal à se propager.

Le pare-pluie est une bâche étanche fixée entre la toiture et la charpente pour empêcher la pluie de rencontrer l’isolant.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Ces panneaux (de 10 cm d’épaisseur pour le sol, 15 pour les murs, 25 pour le toit) restent recyclables encore près de 25 fois. Il faut environ 4,5 tonnes de carton pour fabriquer une maison de 100 m ².

Les constructions des maisons en carton à ossature bois se font sur des pieux métalliques, sans besoin de bétonner le terrain. Ce qui permet le passage et le ruissellement de l’eau de pluie sous la structure (qui est recouverte d’un bardage ou d’un enduit) et répond aux exigences de l’objectif Zéro artificialisation nette pour lutter contre l’artificialisation des sols.

L’isolant en carton. Les feuilles de carton cannelées sont collées à la main avec de la colle végétale à base d’amidon de maïs ou de blé.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

La maison peut d’ailleurs être entièrement démontée sans que le terrain ne garde aucune trace de la construction qu’il hébergeait. Alain Marboeuf insiste aussi sur l’abondance de la matière première. « Aujourd’hui, en France, on ne recycle pas tout le carton qu’on jette par manque de débouchés. » Pour fabriquer l’Ipac, son entreprise travaille avec des structures d’insertion, comme les Esat, sur des lignes low tech, sans machines.

Plus performant que les matériaux conventionnels

Des arguments qui font mouche auprès des collectivités, mais aussi auprès des particuliers. Dans le Morbihan, Nicolas Le Dirach a été l’un des premiers à se laisser convaincre, après avoir vu une émission consacrée au carton. Charpentier de métier, il a construit sa maison en carton en 2022, séduit par les propriétés du matériau, notamment en matière d’isolation thermique.

« En comparaison avec les laines minérales, le carton est meilleur en tout », affirme le Breton, qui a monté son entreprise Maison bois carton 56 juste après la construction de sa maison de 100 m². Depuis, la demande ne cesse d’augmenter. « En ce moment, je reçois trois ou quatre demandes de devis par semaine, se réjouit Nicolas Le Dirach. J’ai déjà deux maisons signées pour l’année prochaine et quatre autres devis qui doivent être validés d’ici la fin de l’année. Je vais bientôt être complet. » Ses clients, généralement engagés dans une démarche écologique, recherchent à la fois un matériau propre mais aussi de bonnes performances énergétiques.

La maison est construite sur des géo-pieux afin de limiter l’artificialisation.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Située à quelques minutes de son atelier, sa maison lui sert de « labo » pour expérimenter lui-même le matériau. « L’an dernier, je n’ai utilisé que dix-sept sacs de pellets pour me chauffer, on se rapproche des performances des maisons passives », assure l’artisan. Il y accueille ses clients curieux pour leur « montrer du concret. L’avantage, c’est que le carton a des propriétés isolantes très intéressantes. Il remplace à la fois le parpaing et l’isolation. Et sa rigidité permet de rendre la structure solide », poursuit Nicolas Le Dirach.

Il estime le coût d’une maison en ossature bois avec murs, sol et toiture en carton, menuiseries comprises, entre 1 300 et 1 500 euros du mètre carré. Un prix équivalent à la construction classique, mais qui permet de réduire de « 72 % les émissions de CO2 » par rapport au système constructif conventionnel, selon Alain Marboeuf.

Une solution dans les régions soumises aux inondations

Une fois que les murs et le sol sont montés dans l’atelier de Nicolas Le Dirach, ils sont transportés en camion sur le chantier et assemblés à l’aide d’une grue. Au total, il faut compter un mois pour construire et monter une maison en carton. « C’est super rapide ! » s’enthousiasme Nicolas Le Dirach, qui croit dur comme fer à son matériau. Et tant pis pour les clichés des comptines pour enfants. « On me parle souvent de la chanson Pirouette Cacahuète, au point que j’ai même pensé en faire le nom de mon entreprise, mais j’ai finalement choisi un nom plus sérieux », sourit l’artisan.

La technique de construction des cloisons est similaire à toutes les autres maisons.
© Jean-Marie Heidinger / Reporterre

Avec six maisons sur le port de Brest (Finistère), cinq autres à Belle-Île-en-Mer (Morbihan), une autre près de Vannes (Morbihan), sans compter les dizaines d’extensions montées un peu partout dans la région, la Bretagne compte actuellement une cinquantaine de maisons en carton.

Et il pourrait y en avoir bien plus dans les années qui viennent, partout en France. « C’est un concept qui va plus loin qu’un simple matériau écologique, assure Alain Marboeuf. Il y a dix ans, le carton, pour les gens, c’était une lubie. Aujourd’hui, c’est une réponse possible aux dommages que cause le dérèglement climatique sur les bâtiments. Les maisons en carton, qui sont construites hors sol, peuvent être une solution dans les régions soumises aux inondations ou à l’érosion littorale, notamment. »

Après les six maisons de Brest, son entreprise travaille déjà sur un autre gros projet zéro béton d’une trentaine de maisons en carton, dans le centre de la France, qui devrait voir le jour en 2025.



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